magazineQuand la télévision posait "Juste une question d'amour"

Par Thomas Desroches le 10/07/2024
Cyrille Thouvenin soufflant la fumée d'une cigarette dans "Juste une question d'amour"

[Cet article est à retrouver dans le magazine têtu· de l'été, disponible en kiosques ou sur abonnement] En 2000, pour la première fois dans l'histoire de la télévision française, une homosexualité heureuse était au centre d'un téléfilm, Juste une question d'amour.

Pour ceux qui ne s’en souviennent pas, la télévision des années 1990 n’était pas un modèle d’inclusivité. La représentation gay s’y limitait essentiellement à des blagues graveleuses et des rediffusions de La Cage aux folles. Mais le mercredi 26 janvier 2000 à 20 h 50 est diffusé sur France 2 Juste une question d’amour, de Christian Faure, et tout change. Premier téléfilm à aborder le sujet de l’homosexualité, il réunit 6,3 millions de Français, près d’un tiers des téléspectateurs. Ce soir-là dans les foyers, des silences sont rompus, des vies prennent un nouveau tournant.

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Les jours qui suivent, la chaîne, la société de production et les acteurs reçoivent une montagne de lettres et des centaines d’appels. Beaucoup témoignent, racontent leur histoire semblable à celle racontée dans le long-métrage, et font état d’un soulagement, d’une libération. “Depuis ce film, j’ai l’impression de vivre mieux. Non pas encore d’être capable de dire, mais déjà d’être mieux”, écrit un télé­spectateur nommé Laurent.

Le scénariste Pierre Pauquet avait reçu la commande d’une histoire d’amour pour France 2, sans plus de consignes. L’auteur, aujourd’hui décédé, se base sur un ancien projet de roman autobiographique et se laisse aller à ses souvenirs, donnant ainsi de l’authenticité au scénario, qui n’évite ni l’homophobie ordinaire, ni le rejet parental, ni les clichés intracommunautaires, et donne une juste place à une meilleure amie et à une mère alliées.

Des héros ordinaires

“Cette histoire, c’est la mienne, sauf qu’elle s’est déroulée trente ans plus tôt”, précise Pierre Pauquet dans un communiqué de presse de l’époque. Il imagine la rencontre entre Laurent, jeune étudiant en école d’agronomie, et Cédric, son tuteur de stage. Un temps mise à mal par l’homophobie des parents du premier, leur idylle finit dans la joie, loin des clichés et du misérabilisme des représentations de l’époque.

La force de Juste une question d’amour repose justement sur cette simplicité et ce réalisme. L’action se déroule dans le Nord de la France et suit des héros ordinaires. Vingt-cinq ans plus tard, il est intéressant de constater que les personnages, compressés par les conventions qu’ils s’imposent, sont encore d’actualité.

De nombreux comédiens ont refusé d’endosser le rôle de Laurent, jusqu’à ce que Cyrille Thouvenin, alors au tout début de sa carrière, accepte. “Faire ses cascades soi-même ne posait pas de problèmes, mais embrasser un garçon à la télé, c’était impossible, retrace-t-il aujourd’hui, non sans ironie. Je me disais, qu’au pire, j’allais me faire insulter de pédé dans la rue pendant une semaine.” Mais c’est l’inverse qui se produit : il reçoit une vingtaine de lettres par jour. “Je les ai toutes gardées, révèle-t-il. Elles étaient emplies de reconnaissance, même s’il y avait certains trucs dégueulasses.”

Juste une question d’amour a ouvert la voie. Deux ans après sa diffusion, l’Observatoire du traitement de l’homosexualité dans les médias soulignait auprès du Parisien : “Les homos sont régulièrement représentés dans les téléfilms. On les voit en couple ou de façon banalisée. Ils ont des rôles plus positifs.”

Juste une question d’amour, de Christian Faure. Disponible en DVD.

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Crédit photographique : France Télévisions

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