Lorsque Juste une question d'amour est diffusé pour la première fois en 2000, Cyrille Thouvenin, l'un des deux acteurs principaux, a 23 ans. Si ce téléfilm, le premier à traiter de l'homosexualité, a contribué à changer la société, il a également eu un impact sur sa carrière et sa vie privée.
Au tournant du siècle, en 2000, Cyrille Thouvenin est un jeune acteur en devenir lorsqu'il interprète l'un des deux protagonistes de Juste une question d'amour, le premier téléfilm français à aborder l'homosexualité, qui plus est de façon positive. Diffusé sur France 2, c'est un succès, une petite révolution cathodique, qui lance la carrière du comédien. La même année, on le voit ainsi dans La Confusion des genres, d'Ilan Duran Cohen , qui lui permet d'être nommé pour le César du meilleur espoir masculin. Aujourd'hui âgé de 48 ans, Cyrille Thouvenin tourne essentiellement pour la télévision. L'acteur revient auprès de têtu· sur ce début de carrière marqué par ces rôles gays emblématiques, dont il fut difficile pour lui de se démarquer.
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- Ton rôle dans le téléfilm Juste une question d’amour est arrivé au tout début de ta carrière d’acteur. À l'époque, d’autres l'avaient refusé en raison du sujet de l’homosexualité du personnage. Tu as hésité ?
Quelques proches étaient inquiets pour moi. Mais je m'étais dit que ce n'était qu'un téléfilm et que, au pire, je me ferais insulter de pédé pendant une semaine dans la rue et c'est tout. Évidemment, le truc a eu un impact énorme ! (Rires.) C'est vrai qu'à l'époque, faire ses cascades soi-même c'était ok, mais embrasser des garçons sur la bouche à la télé, surtout pas ! Mais bon, je ne me suis pas plus inquiété que ça.
- Qu'as-tu pensé la première fois que tu as lu le scénario ?
Je trouvais que c'était une histoire légère. Il n'y avait pas de sida, pas de tueur en série. Dans les productions des années 2000, les homos étaient toujours un peu déglingués. Et tous les films que j'avais vus qui abordaient l'homosexualité étaient plutôt glauques. Là, il s'agissait d'un jeune gay comme moi. D'ailleurs ce n'est pas le rejet par ses parents qui m’avait ému, mais la simplicité de son histoire d'amour.
- Comment s'est passé le tournage ?
C’est un film qui s’est fait dans l'insouciance la plus totale, dans une grande simplicité et sans arrière-pensées sociales ou politiques. On ne se disait pas qu'on allait changer le monde. Nous étions dans une banlieue bruxelloise, on a fait notre petit truc que personne n'attendait. On s'est amusés, on a rigolé, et ça a donné quelque chose d'assez magique.
- Sur le plateau, Stéphan Guérin-Tillié, qui jouait ton amoureux, et toi avez improvisé plusieurs scènes, notamment un baiser passionné…
Ce baiser n’était pas écrit dans le scénario, qui était assez soft. J’ai encore les vieux scripts et il était écrit, en gros, qu’on se quittait le soir sur un "bonne nuit" ou un "non, pas le premier soir" – un truc complètement surréaliste. Je ne connais pas beaucoup de mecs de 20 ans qui s'attirent et vont se coucher chacun dans leur lit en se disant "à demain matin". On a imaginé comment les personnages réagiraient dans la réalité. On a tourné le baiser de façon totalement clandestine parce que ce n'était évidemment pas dans le deal avec France Télévisions.
- Le soir de la diffusion, le 26 janvier 2000, tu pressentais que ce serait un succès ?
Pas du tout. À l’époque, internet était peu présent, il n'y avait pas beaucoup de téléphones portables… Alors la télévision, c'était un truc important, donc je savais que ça aurait un peu d'impact, mais deux ou trois jours, le temps d’être reconnu au Franprix. Je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi important.
- Tu as reçu des sollicitations ?
J'étais dans l'annuaire à l'époque… Dès le lendemain de la diffusion, j'ai dû me rendre chez France Télécom pour changer mon numéro, et même le mec qui m'a reçu avait vu le film ! Il était très heureux et m’a d'ailleurs remercié.
- Tu avais conscience d'avoir diffusé, avec ce film, un message important ?
Je ne m'en rends compte qu'aujourd'hui. À l'époque, mes ambitions n'étaient pas de changer le monde, mais juste de travailler, d'être un peu connu, de faire des choses, de me faire comprendre. Mais j’étais très heureux du succès du film. Encore hier, j’ai reçu un très joli mot à ce sujet. Grâce aux réseaux sociaux, on a maintenant des connexions avec des spectateurs à travers le monde et c’est très étrange de se dire que vingt-quatre ans plus tard, Juste une question d'amour parle toujours aux gens.
- Au moment de la diffusion, la société de production expliquait recevoir des lettres de téléspectateurs par centaines…
Celles qui m'étaient adressées, je les ai toutes gardées. J’en recevais une vingtaine par jour. Elles étaient toutes remplies de reconnaissance, mais il y avait aussi des trucs un peu dégueulasses, même si c’était minime par rapport au reste. Je me souviens encore d’une lettre d’un mec qui voulait me faire rentrer dans le droit chemin. (Rires.)
J'étais assez troublé par la détresse des jeunes : un gamin de 15 ans m’avait écrit pour me parler de son homosexualité et de sa peur d’être rejeté par ses parents. Je lui avais répondu parce que je le trouvais très dur envers lui-même. Avant de penser à l’échec, je l'implorais de vivre sa vie. Les choses ne sont jamais aussi noires qu’on l'imagine.
- As-tu le sentiment que Juste une question d’amour t'a ouvert des portes dans ta carrière d’acteur ?
Au contraire. Ce film a touché des gens, mais ce fut très difficile de sortir de ce personnage. En plus, le milieu du cinéma est très homophobe. C'était vrai hier et ça l'est toujours aujourd'hui. On peut faire semblant, prétendre être inclusif, mettre des quotas, tout ça, mais rien ne change vraiment. J'avais joué un autre rôle d’homo pour lequel j’avais été nommé aux César, dans La Confusion des genres (2000). Ces rôles, j’en suis très fier, mais c'est aussi un poids.
Autour de moi, plein d'acteurs travaillent tout le temps, font des séries, etc. C'est super pour eux, ce fut mon cas aussi. Mais même si ma carrière est très compliquée à gérer depuis quelques années, je me dis tout de même : "Putain, j'ai quand même fait Juste une question d’amour. Je suis content d’avoir apporté ma petite contribution."
Je tâche de continuer à jouer le plus sereinement possible, mais c'est une période compliquée. J'ai l'impression de vivre ce que peuvent vivre certaines actrices. (Rires.) Je crois que j'ai été un fantasme il y a vingt-cinq ans pour plein de gens, et aujourd'hui je ne le suis plus. Et c'est quelque chose qu'on paye un peu en vieillissant à l'image.
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Crédit photographique : Franck Laguillez-Arrondeau