Ce week-end, du 13 au 15 septembre, se tient le Queen Classic Festival, un eldorado queer pour les amatrices de glisse mises à l’honneur sur la Côte des Basques, à Biarritz.
Le surf, c’est la liberté et l’indépendance. C’est moi, ma planche et les vagues. Au large, je suis seule, je suis bien. L’autre n’existe pas, et quoi qu'il en soit je l'éviterais comme un banc de méduses urticantes. Mais au Queen Classic Surf Festival, dont la 4ᵉ édition a lieu du 13 au 15 septembre, j’ai appris que le surf pouvait se partager. À Biarritz, sur la Côte des basques, encadrées par les falaises, on amuse la galerie sans se prendre au sérieux, comme un retour en enfance. Mais on ne va pas non plus se mentir, il arrive aussi qu'on se sente méga stylées au sortir de l'eau, la tête haute. Sur le front de mer, des centaines de meufs passionnées de sensations fortes, et quelques mecs qui font tapisserie.
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"Tu as d’entrée ta place dans l’eau. Ça change tout", explique Mathilde, membre du Club de surf queer, le bastillon biarrote réunissant des personnes queers en non-mixité choisie qui tient un stand sur le festoche. Le but, “se sentir plus fortes à l’eau et progresser ensemble”, renchérit Jihane, l’une des fondatrices. La raison est simple, surfer en commu, ça fait du bien. “Face aux vagues, de manière générale, on est tous plus ou moins à égalité, il y a une forme de transcendance qui opère”, avance Lee-Ann Curren, surfeuse du circuit pro estampillée Vans qui participe alors à l’édition 2023. Entre les moments forts de la compétition, qui réunit quelques-unes des meilleures surfeuses internationales, tout le monde peut profiter de l’océan. Une seule règle : priorité aux filles. D’ailleurs, lorsque des groupes de mecs trop importants s’aventurent sur les côtes, ils sont priés de décamper.
À l’eau avec Jihane et ses potes, je me sens à ma place et prends les vagues sans me poser de questions. Je les enchaîne avec plus de facilité que si j’essayais de prouver aux gars du coin que je mérite d’être là. Un pied qui glisse bêtement, une chute et c’est la grande poilade. Quand je réussis à caler un bottom turn sur une vague pas dégueu, je suis félicitée par des acclamations de meufs bien plus douées et expérimentées. Pas peu fière.
Un esprit bohème
La côte des Basques prend des airs de soirée queer, combinaisons néoprènes en plus, avec toutes ces surfeuses au nez percé, bras tatoués, mulet flamboyant et bob en crochet multicolore. Plus à l’aise sur terre ? Vous pouvez vous initier au skate sur rampe en compagnie du collectif SkateHer. Sinon, vous pouvez tout aussi bien décompresser sur un stand de manucures ou passer entre les mains d’une… cartomancienne (si si). Le Queen Classic s’est entièrement approprié l’espace, notamment grâce à une décoration réalisée par l’artiste Andy James dans un esprit bohème et disco à grands renforts de lanières métallisées, de brins de paille et de nombreux voiles colorés.
Entre les sessions, on se pose trempées sur un transat, on grignote des gaufres, on boit des latte glacés, on flâne ou, mieux encore, on écoute le discours d’une association de prévention du cancer du sein qui présente des moulages de poitrines en plâtre peint. L’esprit de sororité est partout. On écoute aussi des conférences sur la diversité des corps et des identités dans les sports nautiques. “C’est un milieu très standardisé avec beaucoup de filles blanches, minces et musclées parce qu’elles font du yoga ou du Pilate”, décrit Jihanne.
D’ailleurs, c’est au Queen Classic que pour la première fois j’ose tenter le topless. À force de croiser des mèches roses, des tops léopards, et des sandales Dr. Martens, j’ai l’impression que c’est le moment ou jamais de libérer les nénés. D’habitude, je suis à peine à l’aise en bikini. Entre le mulet, les tempes rasées et les chaînes en or, je sens que le contraste féminin/masculin attire les regards et suscite quelques étonnements.
"C’est la première fois que je me sens aussi confiante et sûre de moi au pic"
Sur le stand du Club de surf queer, on peut voir une expo photo réalisée par les membres qui défient les clichés. Des postures conquérantes, des looks queers flamboyants, des corps fems, butchs, trans, de la queerness en veux-tu en voilà. “Au Queen Classic, c’est la première fois que je me sens aussi confiante et sûre de moi au pic, affirme Kassia Maedor, icône lesbienne et ancienne longboardeuse pro de 42 ans qui faisait partie des meilleures mondiales. Quand elle n’est pas occupée à commenter la compétition, la légende se mélange au peuple incognito. Depuis la digue, le spectacle est saisissant avec ces longues planches colorées qui dépassent de plusieurs pieds leurs propriétaires qui enchaînent les déplacements maîtrisés tout en slalomant sur les vagues. “C’est quand on se retrouve entourée d’autant de femmes qu’on se rend compte à quel point c’est spécial. Ça donne envie de se donner à fond.”
Le circuit pro à la traîne
Malgré son aura très zen et son grand sourire, Kassia garde un regard critique sur le circuit pro. Il suffit de voir comment Sasha Jane Lowerson a été accueillie lors de sa dernière compétition sur la plage de Huntington Beach, au sud de Los Angeles, pour prendre conscience du conservatisme et de la transphobie du milieu. Le 25 avril dernier, l’organisateur de l'événement annonçait qu'il ne la laisserait pas concourir dans la catégorie féminine. Une décision immédiatement contestée puisque la World Surf League, qui chapeaute le circuit professionnel mondial, a mis en place l'année dernière une nouvelle politique qui autorise les femmes trans à participer aux compétitions si leur taux de testostérone ne dépasse pas le seuil fixé sur une durée de douze mois.
"J’ai décidé de continuer la compétition parce que si je peux aider une seule fille à ne pas se taper le quart des traumatismes auxquels j’ai fait face ces 30 dernières années, alors j’aurai fait quelque chose de bien”, assure Sasha sur la plage, planche sous le bras tandis que quelques fans attendent pour une photo. Depuis le début de sa transition, en 2020, elle a du mal à joindre les deux bouts. “Au début de ma transition, j’étais sponsorisée par l’une des plus grandes entreprises de combinaisons. Ce sponsor a disparu comme par magie, ironise-t-elle. Je suis passée de surfeur professionnel qui ne comptait plus les stickers de sponsors collés sur sa planche, à une surfeuse obligée de se rendre dans un surfshop pour acheter elle-même son matériel.”
"Soit t’es la petite copine du surfeur qui attend sagement assise sur le sable, soit tu gagnes le droit de faire partie des mecs."
Les normes hétéropatriarcales savent nager et n’épargnent pas les surfeuses dont l’image est scrutée en permanence. Depuis ses premiers pas à l’école de surf, Mathilde a toujours été entourée de garçons. "Il faut performer pour avoir droit au respect. Soit t’es la petite copine du surfeur qui attend sagement assise sur le sable, soit tu gagnes le droit de faire partie des mecs. Mais pour ça, il ne faut pas rater une vague, sinon on te prend pour la dernière des merdes et tu te persuades que tu ne seras jamais assez bonne, que tu n’es pas à ta place." Et puis il y a la pression physique : Agathe, amatrice qui a grandi sur la Côte des Basques et a été mise sur une planche dès ses sept ans, est catégorique : "Si tu ne corresponds pas à l’image de la bombe au joli cul, t’es une merde, tu n’existes pas."
Surfeuses et lesbiennes
Et la bombe se doit d’être hétéro : Mathilde a d’ailleurs préféré arrêter le surf pendant quatre ans lorsqu’elle a compris à l’adolescence qu’elle aimait les femmes. "Quand j'avais entre quinze et vingt ans, c'était vraiment mal vu, poursuit Lee Ann. C'était commun que les lesbiennes se fassent virer par leurs sponsors dès que ça fuitait." Lorsqu’elle a cessé de remuer ciel et mer pour cacher son homosexualité, la championne de 46 ans Keala Kennelly, première femme a avoir été tractée jusqu’à la mythique vague polynésienne et meurtrière Teahupo'o, a perdu de nombreux contrats. "Paradoxalement, à l’époque, le surf était tellement macho que si vous surfiez, vous étiez automatiquement lesbienne", s’amuse Lee Ann. "Au premier abord, la masculinité des surfeurs semble différente, explique Jihanne. Les cheveux longs, les traits fins… mais ce n’est qu’une vitrine, un ensemble de codes esthétiques. Il ne suffit pas d’une petite boucle d’oreille pour bousculer un imaginaire oh combien genré.”
"Plus tôt dans ma vie de surfeuse ainsi que dans ma carrière, être lesbienne était impossible, confie Kassia Meador. C’était impossible d’en parler, ni même de sortir de ce carcan très binaire, très normé." Pendant longtemps, elle a dû garder sa vie professionnelle et sa vie pro strictement séparées avant de lâcher prise progressivement. "J’ai foi en l'avenir, je vois les choses changer, les gens être plus ouverts d’esprit, abattre les barrières, questionner les normes. Mais il reste des tonnes de règles tacites, des codes auxquels il faut se conformer si vous voulez être acceptés. On est tous animés d’un esprit tribal qui nous dicte de nous conformer." Une tendance qui, selon elle, va pourtant à l’encontre de l’esprit de la discipline : "Pour surfer, vous devez rester ouverts à toutes les possibilités, vous adapter à chaque instant, faire preuve de fluidité. Je pense qu’on devrait avoir cette approche dans la vie." C'est grâce à ces modèles que Lee Ann n’a jamais hésité à être visible. La surfeuse n’a jamais caché son homosexualité et a pris l’habitude d'emmener ses copines sur les compétitions sans que cela ait de conséquences sur sa carrière. La vague est en route.
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Crédit photo : Hogo Bigonet