cinéma"Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde" : rencontre avec le lauréat de la Queer Palm

Par Franck Finance-Madureira le 24/10/2024
Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde de Emanuel Pârvu, Queer Palm 2024

Lauréat de la Queer Palm 2024 au Festival de Cannes, le film Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde, du réalisateur Emanuel Pârvu, dénonce l'homophobie prégnante dans la société roumaine. Sortie en salles ce mercredi 23 octobre.

Un baiser, et le monde s’écroule. En vacances dans son village natal, Adi, 17 ans, a été vu avec un étranger de passage, et les jeunes du coin n’aiment pas ça, les pédés, alors ils le tabassent. Il est victime, pourtant les habitants, et même ses parents, se retournent contre lui. Pour raconter cette histoire dans son nouveau film, Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde, reparti du dernier Festival de Cannes avec de très bonnes critiques et la Queer Palm (dont l’auteur de ces lignes est le fondateur), le réalisateur roumain Emanuel Pârvu et sa compagne (et productrice), Miruna Berescu, ont longtemps cherché qui pouvait interpréter Adi, "l’âme pure de cette histoire".

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Est finalement retenu Ciprian Chiujdea, 23 ans aujourd’hui, alors que le jeune homme tout juste sorti de son école de théâtre passait des essais pour un rôle mineur. "J’aimais beaucoup le script et j’étais vraiment heureux de passer le casting, même si j’étais très stressé, se souvient l’acteur. Quelques jours plus tard, quand on m’a appelé pour me dire que je n’aurais pas le rôle pour lequel j’avais passé les essais, je me suis dit que c’était fichu… Mais le réalisateur a proposé de me revoir pour parler du personnage d’Adi !" Emanuel Pârvu a perçu le potentiel de Ciprian à travers les nombreuses similitudes entre son parcours et celui du personnage principal de son film. Le jeune comédien est originaire du village où se déroule l’action, situé dans le delta du Danube, très touristique l’été et refermé sur lui-même le reste du temps. "Je connais les endroits, je connais les gens, je sais ce qu’il se passe avec les jeunes qui ne suivent pas les normes, confirme Ciprian. Pour ce rôle, je me suis simplement replongé à l’époque de mes 17 ans, quand j’ai commencé à me sentir différent des autres et que j’avais l’impression que tout le monde était contre moi."

"Un film peut libérer la parole"

"L’idée de Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde vient d’un crime horrible commis dans un village il y a une dizaine d’années, explique le réalisateur. Une jeune femme, violée par sept hommes, avait vu sa parole mise en doute alors qu’elle était la victime." Avec sa compagne, ils ont souhaité en tirer un plaidoyer contre l’homophobie, encore très présente en Roumanie. "C’est quelque chose de profondément implanté. Le film va faire débat ici, estime Emanuel Pârvu. C’est très important pour nous de voir le pays s’améliorer. Et si je pense que nous allons dans la bonne direction, nous n’allons certainement pas à la bonne vitesse !" Alors que le film a rencontré pour la première fois le public roumain en juin dans un festival de cinéma, la réaction du public l’a fortement ému : "Il y avait environ 3.000 spectateurs, et de nombreuses jeunes personnes ont osé prendre le micro pour dire qu’elles avaient vécu une histoire similaire. C’était extrêmement émouvant ! Je sais qu’un film ne peut pas changer le monde mais le courage de ces témoignages en public prouve qu’il peut libérer la parole."

Soucieux de faire en sorte que chacun puisse se plonger dans cette histoire, le cinéaste a fait le choix de laisser la violence physique hors champ pour s’intéresser plus précisément à la psychologie de ses personnages, à la façon dont ce drame va influer sur chacun d’entre eux. La maîtrise des cadres et l’économie de dialogues donnent au film une force évidente. Sans compter certains petits détails qui ont leur importance, comme le poster dans la chambre de l’adolescent : "C’est une affiche de U2, souligne le réalisateur. Cela aurait pu être n’importe quel groupe de musique mais j’aimais bien qu’on puisse y lire «you too» [«toi aussi»], histoire de rappeler que chacun d’entre nous peut se retrouver minoritaire et vivre un drame semblable à celui d’Adi."

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Crédit photo : Memento

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