[Article à retrouver dans le magazine têtu· de l'automne] Paris outragé ! Paris maquillé ! Mais oui, c'est le Paris de Le Filip ! Alors que la scène drag n'y était qu'à ses balbutiements, la reine de Drag Race France saison 3 régnait déjà sur les soirées. Témoignages des queens qu'elle a inspirées.
Marie-Antoinette est partie sans le savoir, mais en France, on aime les reines. La preuve, on en couronne une chaque année : dans la troisième saison de Drag Race France, Le Filip, queen croate de la nonchalance, a su charmer le cœur des spectateurs. Avec sa victoire, la scène drag parisienne célébrait celle d'une sœur, d'une mère, d'un pilier. "La première fois que je l'ai vue, elle dansait sur la table du DJ, elle ne portait qu'une perruque blonde, un soutif, une culotte, du mascara et une bouche rouge… Et je suis tombée amoureuse ! se remémore Calypso Overkill, la diva philippine du lip sync à Paris. Personne ne faisait du drag avec un soutif et un string à l'époque, ça n'existait pas. Il n'y a que Le Filip qui faisait ça."
À lire aussi : "Drag Race France" : sous la wig couronnée du Filip
Au début des années 2010, la scène drag, à Paris comme dans le reste de la France, est encore balbutiante, confidentielle. Il n'y a qu'un seul endroit où l'on peut rencontrer les créatures fabuleuses, un temple du glamour queer, l'inoubliable soirée House of Moda. "L'une des stars de cette soirée, c'était Le Filip, connue pour ses «lollipop lips», ses lèvres rouges qui finissaient complètement effacées à force d'embrasser trop de mecs au cours de la soirée, poursuit Calypso. Tout le monde était obsédé par elle !"
Une étoile drag est née
"C'était là que la culture drag et queer bouillonnait à l'époque. Le Filip était souvent derrière les platines, à danser sur la table du DJ, complète Enza Fragola, une créature drag moustachue. C'était une vraie party girl, elle était de toutes les soirées. Elle ne se souvenait pas toujours de toi mais elle était adorable, très vaporeuse et tête en l'air." C'est lors de ces soirées qu'Enza, Calypso, Le Filip et Cookie Kunty deviennent des amies proches.
"On faisait des barbecues chez moi le week-end, et j'avais un poulailler. Un jour, Filip a décidé que la poule blanche s'appellerait Le Filip ! On avait la poule Cookie Kunty, la poule Calypso…" raconte Enza. C'est la naissance de Maison Chéri·e. La petite troupe part pour Amsterdam participer à l'un des plus grands concours de drag en Europe. "On était sept drag queens et un drag king, tous entassés dans une camionnette, en mode Priscilla, folle du désert", se souvient-elle. Le Filip s'installe un moment dans la capitale néerlandaise, avant de revenir à Paris où elle quitte Maison Chéri·e pour se concentrer sur une nouvelle venue qui va bouleverser la scène de manière permanente : Haus of Morue.
La plus fraîche des Morues
"Ce sont les pionnières du drag français moderne. Elles avaient tout compris et ont apporté des codes qui manquaient cruellement en France, retrace l'artiste drag Trashenda. C'étaient les personnes les plus punks que je connaisse, elles n'en avaient rien à foutre." Cette maison de drag crée son style, son esthétique, son propre vocabulaire, et conquiert la scène drag parisienne avec des looks exagérés, des traits surréalistes et des coiffures hautement soignées. Les Morues sont de toutes les soirées dignes de ce nom, arrivant tard, effrayant les baby queens avec des expressions qu'elles seules sont autorisées à utiliser, comme "va te faire cincher !" (qui signifie "va te serrer le corset") ; et bien sûr, Le Filip y met son grain de folie.
"Quand j'ai commencé, une copine m'a demandé quel genre de drag queen je voulais être. Je lui ai dit : «Trash queen.» Et elle m'a répondu : «Bah, à Paris, il y a déjà Le Filip !»" se souvient Trashenda. Le talent et le charisme de notre nouvelle reine couronnée l'inspirent, et surtout sa générosité. “Une fois, avant de partir en soirée, on a rejoint une copine qui venait de faire son coming out trans. Filip a tout de suite voulu lui faire un gaff [une culotte qui cache le paquet] et en a fabriqué un sur le champ. Elle est là pour les filles… Quand elle a gagné, j'étais très émue."
"Je viens de Zagreb, j'ai commencé là-bas, c'était tellement la merde que le moindre truc qui peut arriver à Paris, ça n'a aucune importance !"
"Si Paloma représente le théâtre et le cinéma, et Keiona la ballroom, Filip incarne la culture club, le drag né dans les boîtes de nuit, dont le but ultime était de se faire des copines", analyse Tiggy Thorn, club kid et cofondateur de la soirée Kindergarten, à Paris. Le Filip est l'une des premières drags qu'il a rencontrées, au cours des années 2010, ce qui lui a permis de devenir l'artiste qu'il est aujourd'hui. Mais ce qui lui fait admirer encore plus Fifi, c'est qu'avant de venir en France, elle faisait déjà du drag en Croatie : "Un soir d'été, il était 21 h, on était dans le métro et la moitié d'entre nous était en string. On était en sueur, craignant de se faire arrêter par les flics ou d'être agressées. Et Filip était en mode : «Non, mais on s'en fout, t'inquiète ! Franchement, les meufs, je viens de Zagreb, j'ai commencé là-bas, c'était tellement la merde que le moindre truc qui peut arriver à Paris, ça n'a aucune importance !» Elle avait cette capacité à ne rien craindre… à la télé, ça a pu passer pour de la nonchalance, mais en réalité c'est de la résilience." Si elle n'a que 29 ans, sa victoire est aussi celle de toutes ces queens qui ont ouvert la voie à Drag Race France et de toutes les filles qui aiment le vacarme et un peu trop les bulles…
À lire aussi : [Quiz] Quelle drag queen es-tu ?
Crédit photo : Valentin Fabre