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magazineConnaissez-vous ces 10 œuvres d'art au sous-texte amoureux ?

Par Hugo Spini le 09/05/2025
Herve Guibert, le fiancé II copie

[Article à lire dans le magazine têtu· du printemps] Quel plus beau geste d'amour que de peindre ou photographier la personne qu'on aime ? Même dans des époques homophobes, les artistes gays et lesbiennes ont représenté leur muse.

  • Saint Jean-Baptiste, de Léonard de Vinci, 1508-1519, musée du Louvre (Paris)
© GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Franck Raux

Ce saint Jean-Baptiste est certainement l'une des dernières toiles réalisées par Léonard de Vinci avant qu'il ne perde l'usage de sa main droite. On suppose que le maître toscan a fait poser son apprenti Salai, "petit diable" en italien, de 28 ans son cadet, dont il était amoureux et – peut-être – l'amant. L'adolescent à la beauté androgyne est le modèle de nombreux dessins de Léonard de Vinci, dont l'un, retrouvé en 1991, le représenterait la bite tendue… Ce tableau-ci est revenu radieux des ateliers de restauration du Louvre après l'allègement de quelques couches de vernis jaunis.

  • Garçon à la corbeille de fruits, de Caravage, vers 1593, galerie Borghèse (Rome)
© Galleria Borghese

Il n'est pas aisé de distinguer le vrai du faux dans la vie tourmentée de Caravage. Certes, il fut accusé d'être "sodomite" lors de ses procès (au pluriel, on vous a dit "tourmentée"), mais peut-être n'étaient-ce que des tentatives pour lui nuire. Difficile néanmoins de nier l'érotisme qui habite les portraits de garçons réalisés par l'artiste, qui n'a jamais peint de femmes nues… Dans cette œuvre de jeunesse, Garçon à la corbeille de fruits, qu'on situe autour de 1593, le modèle serait d'ailleurs le futur artiste Mario Minniti, alors âgé de 16 ans, que Caravage a représenté à plusieurs reprises et dont on suppose qu'ils étaient amants.

  • Nude study of Thomas E. McKeller, de John Singer Sargent, 1917–1921, musée des Beaux-Arts de Boston (États-Unis)
Crédit : John Singer Sargent / Museum of Fine Arts, Boston

Célibataire endurci très discret sur sa vie privée, le peintre américain John Singer Sargent a vécu la majeure partie de sa vie en Europe. Son succès est attesté par la multitude de portraits que lui ont commandés les riches et les puissants. La sensualité de ses nus masculins, en particulier ceux du modèle noir américain Thomas McKeller, ouvre des questionnements sur sa sexualité, d'autant que le jeune homme deviendra un modèle prisé de l'artiste et travaillera à ses côtés pendant huit ans, donnant naissance à ce sublime et audacieux nu de McKeller. Une récente exposition à Boston est revenue en détail sur la collaboration entre les deux hommes, sans réussir à faire complètement la lumière sur leur relation dans une Amérique raciste et homophobe.

  • Portrait de Natalie Clifford Barney, "L'Amazone", de Romaine Brooks, 1920, musée Carnavalet (Paris)
© The Romaine Brooks Estate-Pascal Alcan Legrand

Dans l'entre-deux guerres, la riche héritière et femme de lettres américaine Natalie Clifford Barney réunissait chez elle le tout-Paris lesbien. Ses écrits, dans lesquels elle évoque ses amours (nombreuses), lui valent le surnom d'"Amazone". L'artiste américaine Romaine Brooks, elle aussi établie à Paris et l'une de ses compagnes pendant plus de 50 ans, l'a immortalisée en subtiles nuances de gris, avec une sculpture de cheval, clin d'œil à son surnom, et un saphir au cou, cadeau de Brooks à Barney rappelant leur relation saphique.

  • Sur la route d'Anacapri (On the Way to Anacapri), de Gerda Wegener, 1922, collection privée
Collection privée

Remise en lumière grâce au film Danish Girl en 2015, l'histoire de Lili Elbe et Gerda Wegener bouscule les esprits étroits. Installée à Paris au début des années 1910, l'artiste danoise Gerda Wegener avait pour modèle favorite sa compagne Lili Elbe, la première femme trans à avoir recouru à une opération de réassignation sexuelle. Dans cette toile de 1922, elle se représente avec elle sillonnant la côte de l'île de Capri.

  • Jean Marais dans Le Lit à colonnes, de Jean Cocteau, 1942, Centre Pompidou (Paris)
© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. GrandPalaisRmn / Philippe Migeat © ADAGP, Paris

Poète, dramaturge et cinéaste, Jean Cocteau a rencontré le jeune Jean Marais pendant les auditions de sa pièce Œdipe-roi, en 1937. Il est alors ébloui par ce nouveau talent, qui ressemble à s'y méprendre aux portraits d'apollons qu'il ne cesse de dessiner. Cocteau déclara : "Je ne l'ai pas connu, je l'ai reconnu."

À lire aussi : De Radiguet à Jean Marais, les amours de Cocteau

  • In Memory of George Dyer, de Francis Bacon, 1971, fondation Beyeler (Suisse)
© The Estate of Francis Bacon / All rights reserved / ADAGP, Paris and DACS, London, 2025

Après des débuts difficiles, le peintre Francis Bacon, chassé de chez lui par son père homophobe, connaît le succès dans les années 1950. Une décennie plus tard, il fait la rencontre de George Dyer, qui devient son amant et l'un de ses modèles. Leur relation tumultueuse s'achève par le suicide de Dyer en 1971, quelques jours avant la rétrospective de Bacon au Grand Palais, à Paris. Profondément marqué par sa perte, Bacon réalise la même année un triptyque, En mémoire de George Dyer, qui dévoile la nature complexe de son amant, cherchant à pénétrer son âme et ses entrailles.

  • Portrait of an Artist (Pool with Two Figures), de David Hockney, 1972, collection privée
© David Hockney

Le peintre britannique David Hockney, figure emblématique du pop art, avait deux passions : les piscines et les doubles portraits. En 1972, il représente en veste rose son amant, l'artiste Peter Schlesinger, qui suivait ses cours à l'université de Los Angeles. Hockney immortalise sur toile la fin de leur couple, alors que leur relation vient de prendre fin subitement.

>> Du 9 avril au 31 août, la Fondation Louis Vuitton à Paris présente plus de 400 œuvres de David Hockney au sein de l'exposition Do remember they can't cancel the Spring.

À lire aussi : David Hockney, l'expo monumentale d'un géant du pop art

  • Le Fiancé II, d'Hervé Guibert, 1982, Maison européenne de la photographie (Paris)
© Hervé Guibert

En 1976, l'écrivain et photographe Hervé Guibert rencontre Thierry Jouno. Pendant quinze ans, ils vivront une passion amoureuse qui inspire l'artiste et ses œuvres, dans lesquelles il rebaptise son amant "T". Simplement couvert d'un voile blanc, cette photo en "fiancé" est la seule qui fasse allusion à la relation des deux hommes. Elle offre également une inquiétante image fantomatique où l'on croit lire le destin tragique du couple : tous deux meurent du sida au début des années 1990, à quelques mois d'intervalle.

  • "Untitled" (Portrait of Ross in L.A.), de Félix González-Torres, 1991
© Estate Felix Gonzalez-Torres / Courtesy of The Felix Gonzalez-Torres Foundation

Au sol, un amas de bonbons, dans lequel vous êtes invité à vous servir. Libre à vous d'en prendre un ou plusieurs, de les manger ou de les garder en souvenir. La légende de l'œuvre mentionne un "poids idéal" de 79 kg. L'artiste américain d'origine cubaine Félix González-Torres représente ici la perte de poids puis le décès de son partenaire, Ross Laycock, mort du sida en 1991 – lui-même en meurt cinq ans plus tard. Pourtant, si une version de l'œuvre peut disparaître physiquement au fur et à mesure que des pièces y sont prélevées, elle peut aussi se reconstituer, suggérant non seulement une perte, mais aussi une continuité et un renouveau.

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Crédit photo d'illustration : © Hervé Guibert