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interviewTodd Haynes : "La politique de Trump commence à réveiller les consciences"

Par Franck Finance-Madureira le 23/05/2025
Todd Haynes

Le réalisateur américain de Carol, Todd Haynes, a reçu lors du Festival de Cannes 2025 le Carrosse d'or, un prix remis par la Quinzaine des cinéastes. Nous avons profité de sa présence sur la Croisette pour évoquer avec lui son actualité ainsi que la situation de son pays.

C'est une année pleine de reconnaissance pour Todd Haynes. En février, l'américain a reçu un Teddy Award d’honneur alors qu’il présidait le jury de la dernière Berlinale. Et la Quinzaine des cinéastes du Festival de Cannes 2025 vient de lui décerner un Carrosse d'or pour l'ensemble de sa carrière. C'est à cette occasion que nous avons rencontré le réalisateur gay du classique lesbien Carol (Queer Palm 2016) pour évoquer son prochain film, dont le tournage a été annulé à la dernière minute l’année dernière, ainsi que le contexte politique de son pays.

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  • L’année dernière, le tournage de votre dernier film a été annulé à quelques jours du lancement. Où en est ce projet ?

Je pense qu’il va renaître de ses cendres et que nous allons parvenir à le tourner ! C'est une histoire d'amour très inattendue, voire improbable entre deux gays. L'histoire se déroule dans les années 1930 à Los Angeles où les personnages sont confrontés à une série d'éléments liés à la corruption. L’histoire est inspirée du Los Angeles des années 1937-1938, un moment où le procureur, le bureau du maire et la police étaient tous extrêmement corrompus. Les deux hommes vont finalement fuir Los Angeles ensemble pour se réfugier au Mexique, où les attendent d'autres épreuves.

  • Vous travailleriez également sur une série…

C'est exact, avec Kate Winslet. Le succès d'Adolescence sur Netflix est très intéressant, car on ne s'attendait pas à ce que cette série remporte un tel succès auprès du public. C’est encourageant, ça veut aussi dire que le public ne veut pas seulement voir des films de franchise et des Marvel. Il veut quelque chose qui a du fond, qui est stimulant et qui n'est pas simple.

  • Pour Christophe Honoré, président du jury de la Queer Palm à Cannes cette année, il est plus difficile pour un réalisateur gay d’évoquer librement des sujets intimes. Vous êtes d'accord avec lui ?

Pour moi, l'intimité a toujours plus de sens dans un contexte de contrainte et de répression, quand elle n'est pas libre. C'est ce qui lui donne autant plus de valeur. Dans Carol, ce que les femmes, en particulier le personnage éponyme, doivent sacrifier pour simplement aimer une autre personne rend cet amour d'autant plus puissant, poignant et politique, car pour la société cet amour est menaçant. Et cette interaction entre la société et le désir, je l'ai explorée, je pense, de différentes manières dans mes films, qu'ils traitent littéralement ou non de personnes homosexuelles.

  • Sur cette question, que pensez-vous du retour en arrière initié par Donald Trump ?

Cela dépasse tout ce que nous avions imaginé. Et cela s'accompagne surtout d'une obsession malsaine pour la transidentité, en plus du fait qu'il soit raciste, homophobe, anti-minorités, anti-immigrés… La cruauté et la haine sont des choses qui se propagent vite chez les gens, comme nous l'avons déjà vu par le passé. Libérer ces sentiments est extrêmement dangereux. C'est terrifiant, car nous savons que les êtres humains sont capables des pires atrocités.

  • Qu'est-ce qui vous choque ?

Je pense que c'est la rapidité avec laquelle les choses évoluent aux États-Unis. Cela dit, c'est aussi une faiblesse dans leur stratégie. D'autres gouvernements autoritaires ont mis beaucoup plus de temps à en arriver là, ce qui fait que les gens ont commencé à s'habituer et à s'acclimater. C'est comme la grenouille qui cuit dans l'eau chaude : si vous le faites assez lentement, elle ne se rend pas compte qu'elle est en train de mourir. Mais si vous le faites rapidement, elle ressent la douleur. Je pense que la politique de Trump commence à réveiller les consciences. Mais nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir.

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  • Vous pensez que vos compatriotes regrettent d'avoir voté pour lui ?

La plupart des Américains pensent que nous allons entrer en récession. Les sondages sont défavorables aux politiques de Trump, même quand il s'agit de celles qui lui ont valu un large soutien en matière d'économie et d'immigration. Tant de gens ont voté pour lui lors des élections parce qu'ils voulaient simplement que les coûts baissent… Je pense que quelque chose s'est passé avec le covid, qui a provoqué une sorte d'amnésie. Les gens ont oublié à quel point c'était terrifiant, et ils ont oublié à quel point Trump avait joué un rôle dans tout cela.

  • L'industrie cinématographique américaine peut-elle résister ?

Je pense qu'il faut prendre exemple sur les personnes qui disent simplement la vérité, comme De Niro, qui le fait depuis le début du mandat de Trump, sans crainte et sans peur. Et il faut qu'il y en ait davantage. Surtout si ses personnes sont privilégiées, puissantes, influentes. Parce qu'en réalité, ceux qui se rebellent n'ont rien, ce sont des gens ordinaires, et ce sont eux qui manifestent tous les jours, parfois en petit nombre avec des pancartes dans la rue. Les puissants ont peur de perdre leurs privilèges. C'est un aspect pathétique mais guère surprenant de la faiblesse, de la vulnérabilité et des peurs humaines.

  • Vous êtes optimiste pour la suite ?

La seule façon de faire un film, c'est de se bercer de l'illusion que tout va s'arranger. Tout le monde se donne la main, ferme les yeux et retient son souffle à chaque fois. J'ai côtoyé des gens formidables qui se sont battus sans relâche et n'ont jamais baissé les bras.

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Crédit photo : Samir Hussein