La parole est à l'accusation : les ex. Dans Fragments d'un parcours amoureux, la réalisatrice française Chloé Barreau est allée interroger douze anciennes relations pour dresser le portrait de sa vie sentimentale. En salles ce mercredi 4 juin.
Les ex, ce douloureux problème : votre mère cite toujours en exemple celui qui vous a le plus fait souffrir, tous vos potes vous déconseillent de recoucher avec ou même de les recontacter… La réalisatrice française Chloé Barreau a pris le contre-pied : non seulement elle a rappelé tous ses ex, mais elle les a même réunis… dans un documentaire, Fragments d'un parcours amoureux, en salles ce mercredi 4 juin. Elle a tout gardé depuis ses 16 ans : les photos, les vidéos, les lettres, les déclarations d'amour… À l'approche de la cinquantaine, cette "lesbienne à tendance hétéro" a compilé ces archives personnelles et les a mêlées à des interviews de ses anciens et anciennes partenaires recontactés pour l'occasion. Ses douze ex, qui l'ont connue à différentes étapes de sa vie, livrent des témoignages sans fard sur leur relation passée. C'est beau, sincère, parfois tendre, parfois douloureux.
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- Reprendre contact avec tous ses ex… C'est de la thérapie ou du masochisme ?
(Rires.) Je ne dirais pas que ma motivation était thérapeutique… plutôt artistique. J'hésitais à me mettre ainsi en jeu, mais j'ai choisi de m'appliquer ce dispositif pour plusieurs raisons : d'abord, ma soif de réalisatrice en devenir qui a accumulé toutes ces images pour, peut-être un jour, en faire quelque chose. Ensuite, je trouve que plusieurs éléments rendent l'histoire singulière : on est entre Paris et Rome, il y a des hommes, des femmes… Mais il est vrai que ça m'a couté. J'ai dû dissocier la personne et la réalisatrice. En tant que personne, des choses m'ont blessée, gênée, bouleversée.
- Vous avez quand même décidé d'aller jusqu'au bout du projet. Qu'en avez-vous retiré ?
C'est certainement enrichissant d'examiner ainsi son propre passé et d'avoir accès à la version des autres. J'espère que ça l'a été pour eux aussi, même si certains étaient réticents au départ… Une personne n'a pas voulu participer au film. C'était quelqu'un avec qui j'avais perdu tout contact, mais on a profité de cette occasion pour se retrouver dans la vraie vie – c'est quand même le plus important.
- Dans le film, une ex explique ne pas vous avoir pardonné une trahison amoureuse, encore à ce jour. Qu'est-ce que ça fait d'entendre ce genre de choses ?
Il s'agit d'Anne, qui ne me parle plus depuis 25 ans. On a juste échangé par mails de manière très neutre. Elle a quand même accepté de participer au film au nom de l'écriture – car c'est une autrice. Je suis très reconnaissante qu'elle ait accepté de le faire, j'ai trouvé ça très généreux. À défaut de l'avoir retrouvée dans la vie, je l'ai retrouvée dans un film. C'est déjà pas mal.
- Cette démarche vous a permis de faire la paix avec votre passé ?
J'en tire plein de leçons ! La principale – et c'est une bonne nouvelle –, c'est que si les histoires d'amour se terminent – pour différentes raisons –, l'amour ne s'arrête jamais vraiment. Le film m'a permis de récupérer, de réparer, de m'approprier mon propre destin et de le mettre en perspective. J'ai commencé à écrire au moment d'une grande rupture amoureuse. Je pensais que la relation allait durer pour toujours, et ça s'est terminé dans un bain de sang. Au moment où l'on rompt, on pense qu'on n'aimera plus jamais. Mais on se trompe !
- Dans le documentaire, tous les témoignages soulignent l'intensité de chacune des relations…
C'est la fin qui est difficile : les histoires d'amour finissent souvent mal. Mais a posteriori, on se rend compte que la fin est juste, et que c'est une bonne chose que ces histoires se soient terminées parce que ça nous a permis d'en vivre d'autres. Le titre du film, qui est évidemment une référence à Fragments d'un discours amoureux de Roland Barthes, devait être provisoire, mais on l'a conservé car il décrit si bien le projet dans son ensemble. Au bout du compte, je vois presque ça comme un roman d'éducation du XIXe siècle.
- Il y a le sexfriend, l'amour fou, le premier couple… Avec le recul et l'expérience, à quoi ressemble une relation parfaite ?
La relation parfaite, c'est quand on regarde un couple et qu'on n'arrive pas à déterminer lequel des deux est le plus amoureux, quand il y a la même intensité au même moment. C'est rare, car il y a souvent une asymétrie. Mais chez les couples équilibrés, on observe un changement de rôles, selon les périodes.
- Il y a des hommes et des femmes dans votre historique amoureux. Mais vous ne vous définissez pas dans le documentaire comme, par exemple, bisexuelle. Pourquoi ?
C'était totalement volontaire ! Aujourd'hui, alors que les questions identitaires surgissent, j'ai envie d'être post-identitaire. Il faut qu'on se déleste de ce poids. J'ai eu un parcours assez classique pour les gens de ma génération, avec de l'homophobie intériorisée, où l'on simule beaucoup, où l'on est dans le déni, dans le secret… Mais je n'ai jamais aimé les étiquettes et être définie. Dès lors qu'on met un mot sur une expérience, on devient une catégorie avec ses normes et ses attentes.
- Conseillez-vous de recontacter ses ex pour faire le bilan ?
Ah ouais, absolument ! J'ai toujours eu beaucoup de mal avec les gens qui font table rase du passé. J'ai toujours été celle qui reprend contact. Je comprends que ce soit parfois nécessaire de rompre le contact pendant un moment pour s'en sortir. Un an, deux ans peut-être. Je mets évidemment comme exception les relations abusives, mais en règle générale je pense qu'on gagne à reprendre contact. Le passé est une des rares choses qu'on possède et dont il faut prendre soin.
Fragments d'un parcours amoureux, de Chloé Barreau. En salles ce mercredi 4 juin.
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Crédit photo : Azzura Primavera