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sexoFaut-il coucher avec ses potes ?

Par Tessa Lanney le 16/02/2022
Action ou vérité entre potes…

Au-delà d'un bête action ou vérité entre potes, que celui qui n'a jamais éprouvé de désir pour un·e ami·e jette la première pierre. Décryptage d'une pratique plus fréquente qu'elle n'en a l'air.

Combien de fois les a-t-on entendus, ces hétéros qui disent “moi je ne crois pas à l’amitié fille-garçon”. Un verdict définitif, comme si la possibilité de coucher ensemble empêchait de créer d’autres liens. Évidemment, c’est faux – et même les hétéros sont en train de le comprendre. Mais, ne nous voilons pas la face, le désir peut en effet tout compliquer. Alors qu’on avance dans sa vie de jeune gay ou de jeune lesbienne, on découvre souvent que la frontière entre l’amitié, le sexe et l’amour est souvent plus poreuse que ce que les contes de fées et les reportages de 66 minutes voulaient nous faire croire. Dans nos groupes d’amis, il arrive que l’on rencontre des gens avec qui l’on baise, et avec qui cela se passe si bien que l’on devient amis. Mais il arrive également que des amis de longue date deviennent des partenaires sexuels inattendus.

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“J’ai souvent mélangé sexe et amitié, confie Gilles, du haut de ses 30 ans. J’ai couché avec pas mal des mecs de mon gay crew. Mais ça durait le temps d’une soirée, puis on passait à autre chose.” Aucune gêne, et, surtout, aucune chaîne. “Le lendemain, on se retrouvait pour boire un verre et se raconter nos vies”, s’amuse-t-il. Pour Florian, la quarantaine, coucher avec ses potes est “un moment d’affection entre deux personnes qui s’aiment et qui se sentent un peu seules. L’amitié reprend toujours le dessus”.

Match sans couple

Pour d’autres, les rapports intimes ont souvent précédé la relation amicale. C’est un plan cul qui finit bien, ou même un date pendant lequel quelque chose se passe, sans que l’on sache très bien à quel sentiment se vouer. Florian a ainsi rencontré plusieurs de ses potes grâce aux applis de rencontres. “Si un mec me fait rire, c’est sûr que je vais plutôt lui proposer un café qu’un plan cul, explique-t-il. Quand la connexion se fait avec la personne, tu as évidemment envie de croire que tu as trouvé le prince charmant. Mais, souvent, c’est juste un bon match amical.” C’est ce qui s’est passé avec Julien, l’un de ses plus vieux amis. Il y a dix ans, ils ont cru un instant qu’ils pourraient tomber amoureux. “Il y avait une attraction sexuelle folle et une grande similarité dans nos façons de fonctionner, confie le presque quadra. Pourtant, on n’a jamais réussi à être en couple. Alors nous sommes devenus de très proches amis, et, une fois par an environ, ça dérape, et ça n’a aucune influence sur notre relation.”

Si Florian et Gilles semblent s’accommoder de ces petits arrangements entre potes, pour d’autres, ils peuvent être destructeurs. Sophie l’a compris à ses dépens le jour où elle s’est laissé embrasser par la nouvelle copine de l’ex de son ex (vous suivez ?) lors d’une soirée. Accusée de haute trahison, la lycéenne a été mise au ban de son groupe d’amies. Et c’est loin de n’être qu’une situation de drama gouines, car le cercle de Gilles a lui aussi explosé en raison de tensions créées par de petits plans cul en interne. “Un ami s’est attaché à moi, et, malheureusement, ce n’était pas réciproque”, explique-t-il. Faut-il alors éviter de baiser avec ses potes ?

"L’amitié est par définition une relation réciproque. L’amour est conceptuellement à sens unique."

La frontière est poreuse entre l’amour et l’amitié. Si bien qu’il est même parfois difficile de faire la distinction entre les deux. D’ailleurs, le philosophe français Francis Wolff s’est astreint à l’exercice de donner une définition complète de l’amour dans son essai Il n’y a pas d’amour parfait. “C’est la fusion instable, en proportion variable, d’au moins deux des trois tendances centrifuges, l’amicale, la désirante, la passionnelle”, établit-il. Si l’amitié nous apparaît comme une construction éminemment sociale, la différence entre désir et passion semble plus ténue. Or la passion s’apparenterait davantage à un état, ferait appel aux émotions, tandis que le désir, lui, serait une réaction à des besoins primaires.

Francis Wolff insiste cependant sur une différence majeure expliquant en partie pourquoi coucher avec ses potes devient compliqué lorsque l’amour s’en mêle, voire s’emmêle. “L’amitié est par définition une relation réciproque, affirme-t-il. L’amour est conceptuellement à sens unique. Vous pouvez vouloir être ami de quelqu’un mais vous ne pouvez pas l’être sans que cet ami le soit aussi de vous. [À l’inverse] vous pouvez aimer quelqu’un sans qu’il vous aime.”

L'amour rassurant entre potes

C’est aussi cette “réciprocité” de l’amitié qui encourage certain·es à privilégier leurs ami·es pour faire du sexe. Pour la thérapeute et sexologue Évelyne Dillenseger, il y a quelque chose de rassurant à faire l’amour avec eux. Déjà, parce que c’est un moindre risque. Baiser avec ses potes, c’est s’affranchir de l’anxiété du plan cul d’un soir. C’est idéal lorsqu’on veut éviter le “danger” que représente l’arrivée d’un inconnu en jockstrap dans notre appartement. “Une personne qui a peur d’être abandonnée, par exemple, préférera toujours miser sur une relation familière”, poursuit la thérapeute.

Nina, jeune lesbienne de 23 ans d’un naturel souriant et chaleureux, avait ainsi moins d’appréhension à entamer une relation physique avec ses amies qu’avec des filles rencontrées en soirées. “Si finalement je décide de ne plus coucher avec elle, mais que c’est vraiment mon amie, elle ne me laissera pas tomber”, croit savoir la jeune femme. Mais ce jeu-là peut également s’avérer délicat.

"C’est devenu très malsain…"

Un jour, Nina a commencé à développer des sentiments amoureux pour l’une de ses amies, avec laquelle elle s’amusait de temps à autre : “C’est devenu très malsain. J’étais jalouse de toutes les filles avec lesquelles elle couchait.” Quand son amie a finalement décidé de ne plus coucher avec elle afin de se recentrer sur leur amitié, Nina fut bouleversée. “Je n’osais pas parler de mes sentiments, j’avais peur qu’elle m’abandonne, raconte-t-elle. J’aurais pu éviter de souffrir en étant honnête.”

C’est peut-être le plus gros défi qui se présente à celles et ceux qui couchent avec leurs potes, comme le résume la thérapeute Claire Alquier : “Pour moi, il n’y a pas de contradiction à coucher avec ses amis. Le seul piège, ce serait de s’enfermer dans quelque chose qui ne nous convient pas, et d’en souffrir. Il faut maintenir une communication claire et transparente. Oser partager ses sentiments et ses attentes.” Et se préparer aux “émotions inattendues” qui ne manqueront pas de survenir. Les enjeux ne sont finalement pas si différents de ceux du couple ouvert, note la sexologue, citant des exemples de couples libres ou polyamoureux : “Il y a parfois un réel besoin de faire des ajustements pour éviter les souffrances des uns et des autres.” Baiser avec ses potes demande donc un cadre clair.

Règles d'action et vérité

Julie, une autre aficionada du sexe entre potes, met ainsi en place des règles lorsqu’elle sent que la relation devient ambiguë. “Il faut fixer des limites et beaucoup communiquer, pointe-t-elle. Je me suis retrouvée dans une relation dans laquelle je n’étais pas d’accord avec ce que l’on me faisait. Nous n’avions pas les mêmes envies, les mêmes pratiques. Sur le coup, je n’ai pas osé le dire pour ne pas la vexer, justement parce qu’on était amies.” “Si ça se passe mal, c’est un peu gênant, abonde Gilles. À la différence d’un plan cul, ton pote, tu vas être amené à le revoir !” Surtout si vous faites partie de la même bande. Attention, toutefois, à ne pas faire primer la cohésion du groupe sur ses désirs personnels : “Parfois, on peut se laisser influencer, analyse Claire Alquier. Cela vient frotter avec nos propres limites sans qu’on en ait conscience. C’est aussi un apprentissage de soi-même.”

Cette amitié hybride n’est cependant en aucun cas une norme obligatoire : “Ce sont des bases de réflexion qui nous font avancer sur nos conceptions des relations, insiste la sexologue. Mais il ne faut pas oublier les sentiments humains. Ce n’est pas parce qu’on apprécie l’amour libre sur le papier qu’on va le vivre avec bonheur.” Mais on peut y trouver son épanouissement... jusqu’au moment où l’on s’engage dans une relation exclusive ? Se retrouver à devoir expliquer à sa meuf qu’elle a couché avec ses amies proches, c’est ce que redoute Nina. “Je préfère ne rien dire parce que, si je dis la vérité, ma copine va s’inquiéter dès que je passerai un moment avec une pote, même si c’est innocent”, tranche-t-elle.

Gilles était du même avis avant que ce genre de cachotteries ne lui coûte son histoire d’amour. “On s’était connus par le biais d’amis en commun, sauf que je ne lui ai pas dit que j’avais couché avec les gens qui gravitaient autour de nous”, confesse-t-il. Plus qu’un non-dit, il soutient à son copain, quand le sujet arrive sur le tapis, qu’il n’a couché avec aucun de ses potes. Évidemment, tout finit par se savoir, et leur relation prit fin. Florian, qui connut une situation similaire, en tire, quant à lui, la conclusion suivante : “C’est aussi bien que ce se soit terminé. Je me suis imaginé dire oui devant la moitié de mes amants/amis sur les bancs de la mairie, j’étais gêné d’avance.”

"Avoir une sexualité avec ses potes peut être un moyen d’explorer sa sexualité."

Finalement, jongler avec les sentiments des uns et des autres, établir des règles, tester et comprendre nos limites ou tout simplement discuter des modalités d’une relation qui sort des schémas traditionnels de la relation de couple, ça ne vous rappelle rien ? Ces réflexions, on les retrouve en substance dans la pratique et le discours des polyamoureux. Dossie Easton et Janet W. Hardy sont les autrices de livres de référence sur le sujet. “Si vous rêvez de liberté, d’être entouré d’amis, de flirter quand ça vous chante, de suivre vos désirs pour voir là où ils vous mènent, de partager une intimité forte et authentique avec plusieurs partenaires”, développent-elles dans L’Éthique des amours plurielles, alors vous êtes peut-être fait pour le polyamour. « Je suis poly » ne signifie pas que l’on est courtois, mais que l’on pratique les relations polyamoureuses, plaisantent-elles. Si certaines personnes utilisent ce terme pour désigner des relations fortes et multiples, une sorte de mariage de groupe, pour d’autres il s’agit d’un terme générique recouvrant toutes formes d’amour, de pratiques sexuelles et de rapports intimes en dehors de la monogamie conventionnelle.”

Baiser avec ses potes pourrait donc être beaucoup plus qu’une simple passade ou un échange de bons procédés “en attendant de trouver la bonne personne”. “Avoir une sexualité avec ses potes peut être un moyen d’explorer sa sexualité, précise Claire Alcquier. Mais, pour certain·es, c’est plus qu’une exploration, dans la vie sexuelle, d’une liberté ou de relations diverses, c’est la construction d’un autre modèle, qui s’éloigne du modèle hétéronormé – romantique et monogame.” Baiser avec ses potes peut donc être un vrai mode de vie, de couple et d’amitié. Si tout le monde est d’accord, bien sûr.

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Illustration : Hugo Devoucoux