portraitUèle Lamore, la cheffe d’orchestre devenue touche-à-tout de la musique indé

Par Thomas Pouilly le 24/06/2025
Uèle Lamore.

Après s'être fait connaître en tant que cheffe d’orchestre, l'artiste franco-américaine Uèle Lamore a décidé d'explorer pleinement d'autres manières de faire de la musique.

Entre Uèle Lamore et têtu·, c’est une histoire qui dure. La dernière fois que nous l’avions rencontré, en 2018, elle avait 24 ans. Elle venait de monter Orage, un orchestre indépendant d’une vingtaine de musicien·nes qui s’intéressaient aux musiques actuelles, avec lequel elle avait déjà foulé la scène du théâtre du Châtelet, à Paris, mais aussi celle du Printemps de Bourges.

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En quelques années, l’une des rares femmes cheffe d’orchestre en France – elles étaient 4% en 2017, d’après les derniers chiffres de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques – est brillamment parvenue à se faire une  place dans le milieu de la musique indé. Aujourd’hui trentenaire, est-elle toujours la même qu’il y a sept ans ? "Je ne crois pas", nous répond-elle avant de marquer un temps d’hésitation et de compléter : "Je ne crois pas, et je pense que c’est bien de ne plus être la même. Après tout, j’ai passé le cap des trente ans ! Je fais plus de choses qu’avant, je pense avoir gagné en maturité, tant humainement qu’artistiquementDu moins, je  l’espère !"

Albums solo et musiques de films

Ces dernières années, Uèle Lamore n’a en effet cessé de prouver qu’elle est une touche-à-tout. Outre sa casquette de cheffe d’orchestre, l’artiste franco-américaine a également enfilé celle de compositrice en sortant plusieurs EP comme Tracks (2020), Multiply (2022) ou Méditations.1 (2024), mais aussi deux premiers albums. Après Loom (2021), elle vient ainsi de sortir The magnificient day of Giacomo P., dans lequel elle revisite l’œuvre de l’Italien Giacomo Puccini (1858-1924), considéré comme l’un des plus grands compositeurs d’opéra de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle.

"Le seul compositeur d’opéra que j’ai vraiment réussi à aimer", confie la musicienne, qui avait initialement pensé au Français Maurice Ravel (1875-1937) avant de devoir abandonner l’idée pour une question de droits d’auteur. L’occasion, quoi qu’il en soit, de dépoussiérer la musique classique et d’encourager les jeunes générations à donner sa chance à ce genre musical qui souffre encore d’une image vieillotte et élitiste.

Aux casquettes de cheffe d’orchestre et de compositrice s’ajoute celle de créatrice de bandes originales pour le petit et le grand écran : pour le festival Séries Mania 2019, pour un documentaire et un court-métrage d’Aïssa Maïga, pour un film d’horreur américain (The Apology, d’Alison Locke), pour le film Les femmes au balcon, de Noémie Merlant, projeté au Festival de Cannes en 2024…

Son et image

"Au début, ce qui a été dur, surtout en France, ça a été de faire comprendre aux gens qu’on peut à la fois faire de la musique de films et de séries, de la direction orchestrale, et avoir son  propre projet artistique, explique Uèle Lamore. Pourtant, les trois casquettes sont totalement complémentaires. Pour moi, je fais juste de la musique." Pas évident, de prime abord, de mettre des mots sur le style de l’artiste franco-américaine. Ce n’est pas qu’elle cherche à tout pris à déjouer les attentes : "Je fais simplement ce qui me plaît", résume-t-elle, ce qui lui vaut de se voir proposer, "des projets toujours différents". Pour autant, estime-t-elle, "ça ne part pas dans tous les sens, et ça ne m’empêche pas d’avoir mon style à moi".

Un style imprégné par ses "influences électro, pour beaucoup, et rock, pop et classique en partie", énumère-t-elle, même si Uèle Lamore affectionne par-dessus tout le mélange des genres musicaux. Un style également "très imagé, un peu cinématographique", où les morceaux ont en commun leur capacité à ouvrir instantanément, dès l’écoute des premières notes, sur des mondes qui ne demandent qu’à être explorés, ou à faire apparaître comme des flashs des scènes de séries, de films ou de jeux vidéos qui nous sont familières. "Je pense que c’est pour ça que je me suis assez vite tournée vers la création de musique de films et de séries. Le rapport image/son, c’est  quelque chose qui me parle beaucoup", analyse t-elle. 

De la culture ballroom à Maigret 

La curiosité, c’est le maître mot qu’Uèle Lamore met en avant lorsqu’on l’interroge sur la nature résolument féministe et queer de son œuvre. Jusqu’à présent, elle a d’ailleurs principalement travaillé avec des femmes réalisatrices et sur des projets féministes. Dernier exemple en date : une série documentaire d’Amandine Gay autour de la culture ballroom, dont la sortie est prévue pour cette année. "À chaque fois, c’est un peu le fruit du hasard. Je suis sensible aux projets associés aux causes féministe et LGBT puisque je fais partie de la communauté, mais pour moi le plus important c’est la vision artistique du projet et ce que je vais pouvoir y apporter", développe-t-elle, avant d’ajouter dans un rire : "J’ai récemment composé la musique d’un reboot de la série policière Maigret, on ne peut pas dire que ce soit queer !"

Ces deux projets ne sont pas les seuls sur le feu. Uèle Lamore souhaiterait notamment pouvoir se concentrer sur sa musique avec un troisième album, déjà dans les tuyaux, "plus dans la continuité du premier". Pour l’heure, la direction orchestrale est donc mise entre parenthèses, "de temps en temps" : "C’est  extrêmement prenant et très fatigant, si j’en fais je peux très peu faire autre chose." Lors de notre précédente rencontre en 2018, la jeune femme soulignait déjà qu’il est "vraiment  très important" pour elle de "donner à voir des artistes indépendants qui n’occupent pas le devant de la scène". Pourrait-elle se lancer dans une nouvelle carrière de productrice ? "Avec l’âge, c’est vrai que c’est le genre de choses dont on commence à avoir envie, reconnaît-elle. Pourquoi pas, j’y pense. J’aimerais bien, à l’avenir, avoir d’autres personnes dans mon label, qui ne sert pour l’instant que pour mes projets. Mais pas avant deux ou trois ans, au moins, le temps déjà que ça roule vraiment bien pour moi !" C’est bien parti.

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Crédit photo : Stéphane Viard