La plus haute juridiction des États-Unis, à majorité conservatrice, a offert au président Donald Trump deux grandes victoires, mettant à mal le principe d'une éducation publique débarrassée de l'influence religieuse et limitant le pouvoir des juges à contrer les décrets de la Maison-Blanche.
Recul majeur pour l'éducation publique aux États-Unis. La Cour suprême américaine, à majorité conservatrice depuis les nominations du premier mandat de Donald Trump, a donné raison ce vendredi 27 juin à des parents d'élèves qui revendiquent, au nom de la liberté religieuse, de pouvoir retirer leurs enfants de classe quand des livres abordant des thèmes LGBT+ y sont utilisés.
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Par six voix contre trois – celles des six juges conservateurs contre celles des trois magistrats progressistes –, la plus haute juridiction du pays considère que priver des parents d'élèves de la possibilité de ne pas exposer en cours leurs enfants aux thèmes LGBT+ est "une atteinte inconstitutionnelle" à leur liberté de culte et "interfère de manière substantielle avec le développement religieux des enfants". Au cours d'une conférence de presse à la Maison-Blanche, le président américain Donald Trump a rapidement revendiqué "une formidable victoire pour les parents" qui avaient "perdu le contrôle des écoles et de leurs enfants". Le cercle de réflexion ultra-conservateur Heritage Foundation applaudit également "une victoire retentissante pour les parents américains, affirmant leur droit fondamental à conduire l'éducation morale et religieuse de leurs enfants".
L'école vs. la religion des parents
À l'origine de l'affaire, des parents d'élèves d'écoles publiques du Maryland, près de Washington, ont contesté l'introduction en 2022 dans le cursus des écoles maternelles et primaires de livres pour enfants visant à combattre les préjugés sur l'homosexualité ou l'identité de genre. Les autorités scolaires, après avoir initialement prévu de notifier les familles pour leur permettre de demander que leurs enfants soient dispensés des cours quand ces livres seraient utilisés, ont annulé cette option. Des parents de confession musulmane ou chrétienne ont alors saisi la justice en invoquant la liberté religieuse, garantie par le Premier amendement de la Constitution américaine.
"Ces livres imposent aux enfants un ensemble de valeurs et de croyances hostiles aux croyances religieuses de leurs parents" et "exercent (sur eux) une pression psychologique pour se conformer à ces points de vue spécifiques", écrit, au nom de la majorité de la Cour suprême, le juge conservateur Samuel Alito, en citant l'exemple d'ouvrages traitant du mariage de personnes de même sexe. "Les livres sont indubitablement normatifs. Ils sont conçus pour présenter certaines valeurs et croyances comme des choses à promouvoir, et d'autres, contraires, comme des choses à condamner", poursuit-il, et ce auprès de "jeunes enfants impressionnables". Et le juge de marteler : "Pour de nombreuses personnes croyantes, peu d'actes religieux sont plus importants que l'éducation religieuse de leurs enfants."
Dans son avis de désaccord, la juge progressiste Sonia Sotomayor argumente que les écoles publiques "offrent aux enfants de toute confession et origine (...) une opportunité de se familiariser avec notre société multiculturelle". Et de s'inquiéter : "Cette expérience essentielle à la vitalité civique de notre nation (...) sera un simple souvenir si les enfants sont privés de toute exposition à des idées et des concepts susceptibles d'entrer en conflit avec les croyances religieuses de leurs parents." Juriste de l'organisation de défense des libertés civiles américaine ACLU, Daniel Mach estime que la décision de la Cour suprême pourrait faire des petits et mener à rouvrir, par exemple, la question de l'enseignement de la théorie de l'évolution. "Cette décision risque de faire des dégâts dans les écoles publiques, en entravant des décisions fondamentales sur leurs programmes scolaires et en compromettant leur capacité à préparer les élèves à vivre dans notre société pluraliste", dénonce-t-il.
Feu vert total de la Cour suprême à Trump
Un vendredi d'autant plus noir pour les progressistes que le même jour, la Cour suprême a limité le pouvoir des juges de bloquer à l'échelle nationale les décisions de l'exécutif. Toujours par les mêmes six voix contre trois, l'institution considère ainsi que les décisions de portée nationale émises par des juges fédéraux "excèdent probablement les pouvoirs conférés par le Congrès aux tribunaux fédéraux". Une autre victoire pour Donald Trump, dont plusieurs décrets ont été suspendus ces six derniers mois par des juges à travers le pays, par exemple l'arrêt de la délivrance de passeports différents du genre de naissance. Lors d'une conférence de presse, le président américain a salué une décision "brillante", revendiquant une liberté d'action accrue pour appliquer les volets les plus controversés de son programme : "Nous pouvons désormais nous pourvoir en justice pour faire progresser ces nombreuses mesures qui ont été bloquées de manière erronée à l'échelle nationale."
Les administrations successives, républicaines comme démocrates, ont régulièrement exprimé leur frustration envers ces suspensions à portée universelle qui permettent à un seul juge fédéral de bloquer leur politique sur des sujets d'importance nationale comme l'avortement, l'immigration ou les prêts étudiants. L'administration Trump en particulier dénonce un "tsunami" de suspensions de ses décisions par des juges. Mais les experts font valoir que leur nombre est proportionnel à l'avalanche de décrets présidentiels dans tous les domaines, de l'immigration à la suppression d'agences gouvernementales, en passant par la lutte contre les politiques en faveur de la diversité.
À l'origine du contentieux porté devant la Cour suprême, la constitutionnalité du décret présidentiel de Donald Trump revenant sur le droit du sol, déclaré inconstitutionnel et suspendu par tous les tribunaux et cours d'appel fédéraux qui en ont été saisis. L'administration Trump demandait à la Cour non pas de lever la suspension de son décret à ce stade, mais de limiter la portée des suspensions aux seules personnes ayant saisi la justice. "Le pouvoir exécutif peut maintenant appliquer des politiques qui bafouent la jurisprudence établie et violer les droits constitutionnels d'innombrables individus et les tribunaux fédéraux seront entravés pour pleinement arrêter ces actions", déplore, dans un avis de désaccord auquel s'associent les deux autres juges progressistes, la juge Sonia Sotomayor, qualifiant la décision de la Cour d'"invitation au gouvernement à contourner la Constitution". "Aucun droit n'est sûr dans le nouveau régime juridique que crée la Cour", résume la juge Sotomayor, tandis que sa collègue progressiste Ketanji Brown Jackson voit dans la décision "une menace pour l'État de droit". Le chef de file de la minorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, s'est également alarmé d'un "pas sans précédent et terrifiant vers l'autoritarisme".
Crédit photo : Joe Raedle/Getty Images via AFP