spectacleLe réalisateur du docu-série "L'Ultime Création" revient sur ses deux mois passés avec Mylène Farmer

Par Florian Ques le 25/09/2020
mylène farmer

Pendant plus de deux mois, Mathieu Spadaro et sa caméra ont suivi Mylène Farmer comme son ombre. Segmenté en trois épisodes, son docu-série lumineux nous entraîne dans les coulisses de la résidence de la chanteuse à la Défense Arena. Entretien.

Incroyable. Voilà l'adjectif qui revient, encore et encore, de manière presque instinctive, lorsque Mathieu Spadaro nous raconte son expérience sur L'Ultime Création. Des répétitions jusqu'à la dernière représentation, ce réalisateur parisien de 29 ans a suivi Mylène Farmer pendant plus de deux mois. Caméra à la main, il a exploré les coulisses de la résidence de la chanteuse à La Défense Arena. Neuf dates, près de 30.000 fans par soir. Du jamais vu pour une artiste féminine à l'échelle française.

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Ajoutés au catalogue d'Amazon Prime Video ce 25 septembre, les trois volets de L'Ultime Création représentent une immersion jamais vue dans la psyché de Mylène Farmer. Et l'on découvre la chanteuse sous un nouveau jour, parfois pétrie de doutes, d'appréhension, mais aussi joviale, drôle… Entre prestations scéniques léchées et instants intimistes, ce docu-série s'impose comme un incontournable pour ses fans. Pour TÊTU, Mathieu Spadaro revient sur cette expérience singulière, dont il ne regrette absolument rien.

Dans le second épisode, Mylène parle de ce projet de documentaire comme "une nouvelle forme de désobéissance à moi-même". Comment est né ce projet de série documentaire auquel personne ne s'attendait ?

Mathieu Spadaro : La première fois que j'ai rencontré Mylène, c'était en 2018. J'ai eu la chance de faire le making-of du clip de "Désobeissance" - justement - réalisé par Bruno Aveillan. On avait passé toute la nuit à bosser ensemble sur le tournage. Elle était contente du résultat et m'a rappelée quelques mois plus tard, en me proposant de filmer les coulisses de son spectacle. Très vite, l'idée de faire un documentaire est née.

Mylène Farmer a une énorme communauté de fans qui guettent ses moindres faits et gestes, qui surveille toutes ses actualités. Faire un film sur elle, ce n'est pas trop de pression ?

En tout cas, je savais que j'avais une place privilégiée en vivant cette expérience incroyable. Je ne me suis pas mis la pression par rapport à ses fans. Mais je me suis mis la pression pour être le plus juste possible. Je voulais faire quelque chose qui lui ressemble, avec beaucoup de bienveillance. J'ai rencontré une femme incroyable derrière l'artiste. L'idée, c'était de montrer aussi qu'elle était simple, drôle et très émouvante dans sa personnalité. Et en même temps, ce documentaire, c'est un point de vue qui est le mien. Quand on s'est vus, elle m'a présenté le projet et elle m'a demandé de faire le film que j'avais envie de voir. Elle m'a donné carte blanche.

Mylène Farmer avait-elle fixé des limites sur ce qu'elle voulait montrer  ?

Non, c'était vraiment une question de feeling. Sur le tournage, on s'apprivoisait un peu tous les jours. On sentait instinctivement s'il fallait que je me fasse plus discret ou si je pouvais me rapprocher davantage. Au feeling. Il faut beaucoup regarder, écouter, se faire confiance aussi. Après, elle avait vraiment l'envie d'aller au bout du projet. Si elle m'a donné carte blanche, c'était pour qu'on se donne à 300%.

Le réalisateur du docu-série "L'Ultime Création" revient sur ses deux mois passés avec Mylène Farmer
Crédit photo : Mathieu Spadaro / Amazon Prime Video

Quand on s'imagine les grandes icônes comme Mylène en coulisses, on a tendance à concevoir un personnage très control freak, qui veut que tout soit millimétré. C'est le cas ?

Je suis arrivé dans cette aventure un peu vierge, sans aucun à priori. Juste avec l'idée de redécouvrir cette femme au-delà de ce qu'on peut lire sur Internet ou de ce que je connaissais en amont de son œuvre. Et j'ai vraiment été surpris parce que c'est une performeuse incroyable. Les premières répétitions, dès qu'elle a commencé à chanter ou à danser, je me suis demandé où j'étais. Ce n'est pas possible de travailler aussi dur, aussi longtemps.

J'étais impressionné par la personne qu'elle est. Elle est au cœur de tout ce dispositif, et fait attention au moindre détail. Et pourtant, elle est aussi à l'écoute des autres, elle demande conseil et garde les bons. Ce projet, cette résidence, c'est comme une famille dont elle est l'élément central. Tout le monde la suit, croit en elle et est prêt à se battre pour sa vision, ses convictions. Tous les gens qui travaillent pour elle ont une espèce d'engouement, d'énergie incroyable.

Les trois épisodes se focalisent beaucoup sur ses prestations scéniques et la préparation nécessaire pour chacune. Mais le dernier épisode nous montre un pan des coulisses où Mylène ne s'entraîne pas et échange avec son équipe, comme son cuisinier, son entourage proche. Pourquoi laisser voir la personne derrière l'artiste aussi tard ?

Faire une série, ça n'est pas comme faire un film. Il fallait donner un thème à chaque épisode. Celui du premier, c'est plutôt la réappropriation de ses chorégraphies, de ses chansons qui ont été retravaillées spécialement pour ce spectacle. Le deuxième est davantage centré sur la découverte de la salle, la mise en place de la scène. Et le troisième, qui est d'une certaine manière un peu plus personnel, raconte à la fois son excitation et son appréhension de la première date. Et ce moment à la cantine faisait partie des moments de vie plus intimes que j'ai réussi à capter. Je devais l'inclure.

Mylène est omniprésente tout au long du docu de par sa voix off, avec toujours des textes élaborés, presque poétiques. Comment ça s'est passé à ce niveau-là ?

C'est un principe un peu particulier. D'habitude, les documentaires se font de manière plus classiques avec des interviews face caméra sur lesquelles on superpose des visuels pour illustrer ce qui est commenté. Là, ce n'est pas du tout ce que Mylène voulait. On a pris alors complètement le contre-pied, de manière assez naturelle.

On s'est dit qu'une voix off où elle pourrait elle-même raconter était plus forte. J'ai monté le film que j'avais envie de voir, en laissant un peu de place à ses interventions. Et elle est venue se réapproprier le film et dire "ah ben voilà, là j'ai envie de parler de ci ou de ça". C'était un peu sa contribution, la dernière touche de pinceau sur le tableau.

Un des rares moments où Mylène regarde la caméra, elle dit "tu veux que je te raconte une petite histoire ? [rires] Je ne sais pas faire ça". Et pourtant, on a l'impression qu'elle nous raconte bel et bien une histoire à travers ces trois épisodes.

Bien sûr. C'est pour ça que j'aime beaucoup ce message et que je l'ai laissé. Il est sous-entendu. Elle me dit ça et en même temps, il y a une vraie mise à nu au fil de ces trois épisodes et je trouvais que cette phrase-là était très amusante, comme un clin d'œil. Ça symbolise aussi la proximité entre nous deux et la confiance qu'il y a eue tout au long de ce tournage.

Quel souvenir garderez-vous de toute cette expérience ?

Deux mois et demi à vivre ça est une expérience et un souvenir de vie en soi.  Mais je pense à une image forte. C'est le dernier soir, celui du neuvième concert. Je me mets en coulisses et elle descend de scène avec sa grande robe rouge. C'est très curieux parce qu'elle comme moi savions que c'était la dernière date. Elle ne remontera pas sur scène pour ce projet-là et il y a quelque chose de fort, comme la fin d'un cycle. Pour moi, c'était très marquant.

L'Ultime Création implique la fin de quelque chose… La fin de Mylène Farmer en tant qu'artiste ?

J'aime beaucoup la force de mots qui, une fois agencés entre eux, peuvent donner naissance à un peu d'ambivalence ou à ses sous-entendus. Il y a une vraie réflexion que chacun peut se faire personnellement. Ultime et création, c'était l'association de mots qui sont très forts et à la fois très représentatifs de ce docu-série et de cette histoire. Tout ce que je peux dire, c'est : qui sait ?

Crédit photos : Mathieu Spadaro / Amazon Prime Video