Alors que l'invasion de l'Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine sème le chaos dans ce pays d'Europe de l'Est, de nombreux Ukrainiens tentent d’échapper à la guerre. Les personnes LGBTQI+ sont particulièrement exposées. Entretien avec Vadim Yakovlev, journaliste queer sur place.
La guerre déclenchée en Europe de l'Est par l'invasion russe de l'Ukraine fait craindre en particulier pour le sort des personnes LGBTQI+. Dans un pays conservateur néanmoins marqué ces dernières années par le militantisme LGBTQI, l'irruption des troupes de Vladimir Poutine est une terrible nouvelle pour les communautés queers. Ce jeudi 24 février, l’activiste féministe et militante lesbienne Olena Shevchenko a interpellé la communauté internationale sur l’extrême urgence de la situation, évoquant le risque de nouvelles persécutions à l’encontre des personnes LGBTQI, l’isolement et l’impossibilité de maintenir les structures d’hébergement et de solidarité qui leur sont destinées.
Vadim Yakovlev est journaliste en Ukraine, et a écrit l'un des premiers romans queers ukrainiens, Où le territoire commence. Alors que les sirènes signalant les attaques aériennes retentissent toutes les heures, lui laissant peu de répit, et que sa ville natale d'Odessa, où vit encore sa famille, a connu des bombardements de l’armée russe, iel a pris le temps de répondre à nos questions sur la situation.
Où te trouves-tu en ce moment en Ukraine ? Quelle est la situation sur place ?
Vadim Yakovlev : Je suis à Lviv. C’est pour le moment l’une des villes les plus sûres d’Ukraine, même si la situation évolue d'heure en heure au fil des opérations de l’armée russe, car elle se trouve dans l’ouest du pays, non loin de la Pologne. J’avais quitté Odessa il y a six mois pour beaucoup de raisons, notamment parce que Lviv accueille une communauté queer très intéressante, très impliquée sur la scène culturelle, l’une des plus riches d’Ukraine. J’ai aussi dû quitter une situation de conflit avec ma famille qui n’est pas au courant de mon identité trans.
Que peux-tu nous dire sur la situation actuelle de tes proches dans le pays ?
Mes ami·es à Lviv, Odessa et Kiev sont dans un état de panique parce qu’iels représentent une minorité très vulnérable en Ukraine. Quand une forme active de guerre se déroule dans un pays aussi conservateur que le mien, très peu de monde dans la société et l’élite politique pense à nous. Lorsque les bombardements russes ont commencé, une personne trans de ma communauté a tenté de se réfugier dans un abri anti-bombe mais ses voisins ont refusé de le laisser entrer en raison de sa transidentité. Certains LGBT veulent rester en Ukraine, combattre Poutine et aider l’armée ukrainienne, mais beaucoup veulent quitter le pays. Un autre problème est que notre pays est pauvre et que les personnes LGBTQI que je connais craignent qu’avec cette situation de guerre, qui va également détruire l’économie, il sera encore plus dur de trouver un travail et de survivre.
Quelle était la situation des personnes LGBTQI+ en Ukraine avant le début de cette guerre ?
Après la révolution de Maïdan de 2013-2014, les LGBTQI+ sont devenus plus visibles dans la société et les médias. Nous organisons par exemple chaque année des marches des Fiertés. Mais le problème réside dans le fait qu’une partie de la communauté s’oriente vers l’ultrapatriotisme. Les activistes et artistes queers qui cultivent des perspectives de gauche, plus sceptiques sur le capitalisme, l’OTAN ou l’Union européenne, sont marginalisés par les autres. Cela ne signifie pas que nous sommes pro-russes, loin de là. Mais nous sommes, à mon sens, plus animé·es par l’ambition de construire une Ukraine vraiment démocratique nourrie par des perspectives intersectionnelles.
"Le régime de Poutine est extrêmement homophobe et répressif. Il ne s’arrêtera pas à l’Ukraine."
Peux-tu compter sur des associations sur place ? Que pouvons-nous faire depuis l'ouest de l'Europe pour les soutenir ?
La communauté LGBTQI+ ukrainienne est très courageuse. Nos associations comme Insight Ukraine, Convictus et Feminist workshop essayent d’aider les personnes, en particulier depuis le début de la guerre. Quant à vous, s’il vous plaît, mettez la pression sur vos gouvernements et vos institutions internationales pour des sanctions contre le régime fasciste de Poutine. Il faut vraiment comprendre que nous avons affaire à un homme fou qui ne cherche pas seulement à détruire un pays mais plus largement la possibilité d’un monde de tolérance et de paix. Le régime de Poutine est extrêmement homophobe et répressif : l’assassinat de ses opposants politiques, de personnes LGBTQI+ et de militants de la société civile en Tchétchénie en sont un exemple. Il ne s’arrêtera pas à l’Ukraine et combattra d’autres mondes, comme l’Europe ou la France. C’est un meurtrier impérialiste qui est fermement opposé aux valeurs humanistes et à la liberté.
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