Conçu par l'artiste Jean-Luc Verna, un mémorial en hommage aux victimes homosexuelles de la déportation et à toutes les victimes LGBT+ de persécutions à travers l'histoire a été inauguré ce 17 mai à Paris, dans les jardins du port de l'Arsenal à Bastille.
Il était temps. Ce samedi 17 mai, journée internationale contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie (Idahot), a été inauguré à Paris le premier mémorial de France dédié aux victimes homosexuelles de la déportation, ainsi qu’à toutes les personnes LGBTQI+ persécutées à travers l'histoire. La dernière étape en date dans la reconnaissance des Triangles roses, grands oubliés pendant des décennies de la mémoire de l'Holocauste.
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C'est dans les jardins du port de l'Arsenal, près de la place de la Bastille, qu'a été installé le mémorial conçu par l'artiste Jean-Luc Verna : une immense étoile en acier de plus de trois tonnes. "Un gros machin, pour que ça se voie, que ça se voie enfin !", explique l'artiste dans le magazine têtu· du printemps. Le monument comporte deux faces, a-t-il encore détaillé : "La face noire de l'étoile ce sont les corps qui ont été calcinés, c'est le deuil, c'est aussi une ombre qui nous dit que les choses peuvent arriver de nouveau. Et l'autre face, le miroir, c'est le présent, avec les couleurs du temps qui passe et le ciel de Paris qui change aussi vite que l'opinion publique peut se retourner."
Une mémoire qui passe lentement
Selon les estimations, entre 5.000 et 15.000 personnes ont été déportées à l'échelle européenne par le régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale en raison de leur homosexualité. Pour la France, les chiffres des associations et des historiens varient entre une soixantaine et 200 personnes homosexuelles déportées. Pendant des décennies, le drame des Triangles roses reste toutefois méconnu, en France comme à l'étranger. Il faudra attendre les années 1980 pour qu'une pièce de théâtre, des livres et des films commencent à évoquer la question.
Le témoignage de Pierre Seel (Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel), disparu en 2005 et qui fut interné en 1941 au "camp de redressement" de Schirmeck, en Alsace alors annexée par le IIIe Reich, a fait beaucoup pour que ce dossier sorte de l'oubli. En 2010, une plaque mémorielle est inaugurée à Mulhouse en "mémoire de Pierre Seel et des autres Mulhousiens anonymes arrêtés et déportés pour motif d'homosexualité". La même année, une autre est posée au camp de concentration du Struthof (Bas-Rhin), où ont été déportés plus de 200 homosexuels. En 2022, une exposition "Homosexuels et lesbiennes dans l'Europe nazie" est organisée au Mémorial de la Shoah à Paris, une première et "un succès", se rappelle Sophie Nagiscarde, directrice des affaires culturelles du Mémorial, qui y voit le signe d'"un fort intérêt" pour ce pan méconnu de l'histoire. Et d'ajouter : "Il faut que des chercheurs continuent à travailler sur cette question parce qu'il y a encore beaucoup de choses à chercher et à trouver."
Côté politiques, le premier tournant vient du discours du 26 avril 2001 de Lionel Jospin, alors Premier ministre, qui estime que "nul ne doit rester à l'écart de cette entreprise de mémoire" : "Il est important que notre pays reconnaisse pleinement les persécutions perpétrées durant l'Occupation contre certaines minorités – les réfugiés espagnols, les tziganes ou les homosexuels." Quatre ans plus tard, en avril 2005, le président Jacques Chirac aborde à son tour le sujet : "Nous sommes là pour nous souvenir que la folie nazie voulait éliminer les plus faibles, les plus fragiles, les personnes frappées par le handicap dont l'existence même faisait affront à leur conception de l'homme et de la société, déclare-t-il alors. En Allemagne, mais aussi sur notre territoire, celles et ceux que leur vie personnelle distinguait, je pense aux homosexuels, étaient poursuivis, arrêtés et déportés."
"On n'oublie pas et on reste vigilants"
Contrairement à Sydney, Barcelone ou Amsterdam, le choix d'un monument en forme de triangle rose – symbole cousu par les nazis sur les uniformes des détenus homosexuels dans les camps – n'a donc pas été retenu, dans un souci d'inclure les victimes actuelles. "C'est important que ce mémorial ne soit pas un simple hommage symbolique mais un outil de transmission, un acte de reconnaissance publique et un espace de questionnement sur les discriminations passées mais aussi sur celles qui perdurent aujourd'hui", insiste le président de l'association "Les "Oublié-e-s" de la Mémoire", Jean-Baptiste Trieu. Cet espace, ajoute-t-il, doit nous "rappeler que les droits ne sont jamais définitivement acquis, que les haines savent se réinventer et que notre responsabilité est de rester debout ensemble".
"C'est d'autant plus important de continuer à parler et à témoigner qu'on voit que les débats sont encore compliqués aujourd'hui", abonde Matthieu Chaimbault, de l'association Mémorial de la déportation homosexuelle, citant le refus du Sénat, début mai, d'ajouter un volet indemnitaire à la réhabilitation des personnes condamnées pour homosexualité en France."Reconnaître, c'est dire « cela s'est produit » et dire « nous ne voulons pas que cela se reproduise »", a déclaré lors de l'inauguration la maire de Paris, Anne Hidalgo, insistant sur "l'obligation de lutter contre la négation ou l'atténuation" tandis qu'il "y a aujourd'hui des vents contraires, puissants, extrêmement dangereux qui voudraient nier cette diversité-là". Et Jean-Luc Romero, adjoint à la mairie de Paris chargé notamment de la lutte contre les discriminations, de résumer : "Le message c'est : on n'oublie pas et on reste vigilants."
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Crédit photo : Kiran Ridley / AFP