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histoireSouvenir de la déportation : le pressant devoir de mémoire des déportés homos

Par Quentin Martinez le 28/04/2023
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La déportation des homosexuels a longtemps été un tabou. Soixante-dix ans plus tard, l'État français entend aider à faire reconnaître ce passé si difficile à passer.

Quarante ans lui auront été nécessaires pour prendre la parole. En 1941, Pierre Seel a été déporté en raison de son homosexualité, mais ce n'est qu'en 1982 qu'il parvient à briser le silence. Avant cette date, comme tant d'autres "triangles rose", il a vécu une vie d'hétéro, s'est marié, a eu des enfants avec une femme... "Il était totalement impossible de parler. J'ai vécu quarante ans d'angoisse honteuse", racontera-t-il sur France Inter. Aujourd'hui, l'histoire de cette déportation n'est plus tabou mais reste lacunaire. Ce dimanche 30 avril, la journée nationale du souvenir des victimes de la déportation est l'occasion de rappeler la difficile transmission de la mémoire des déportés homosexuels. Associations et institutions veulent rattraper le temps perdu.

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Cette journée d'hommage se tiendra à Natzweiller-Struthof, en Alsace, le camp de concentration dans lequel Pierre Seel était enfermé. "Peu importe qu'ils n'aient été que 200 Français déportés pour leur homosexualité, c'est arrivé et notre jeunesse doit le savoir. Cacher l'histoire c'est perpétuer une forme de discrimination", explique auprès de têtu· Patricia Mirallès, secrétaire d'État en charge de la mémoire, qui présidera la cérémonie.

Hiérarchie des mémoires

Une histoire que l'État français a mis plus de cinq décennies ans à reconnaître. Ce n'est qu'en 2001 que, par les mots de Lionel Jospin, alors Premier ministre, la France reconnaît officiellement la déportation de ses homosexuels sous l'occupation nazie. Puis, quatre ans plus tard, le président Jacques Chirac déclare : "En Allemagne, mais aussi sur notre territoire, celles et ceux que leur vie personnelle distinguait, je pense aux homosexuels, était poursuivis, arrêtés et déportés (...) Ce combat pour l'acceptation de l'autre n'est jamais achevé. Il demeure l'un des plus ardents pour notre République."

Mais cette histoire est particulièrement difficile à faire émerger. "Pendant longtemps, les historiens ne se sont pas intéressés à cette déportation", pointe David Cupina, président de l'association Les "Oublié·e·s" de la Mémoire. Selon lui, une forme de hiérarchie du souvenir s'est établie à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. "Face aux résistants, aux déportés politiques, il y avait des déportations que l'on a préféré oublier", développe-t-il.

Après les camps, les déportés doivent vivre dans une société homophobe. L'amendement Mirguet, adopté en 1960 fait de l'homosexualité un fléau social, au même titre que l'alcoolisme et la tuberculose. "Au sentiment de honte – l'impression de ne pas être des victimes 'honorables' ou 'méritantes' – s'ajoute par ailleurs souvent la volonté de préserver la réputation de familles déjà éprouvées. (...) Le temps a fait son œuvre, et beaucoup d'anciens déportés, qui ont refait leur vie, ne souhaitent pas revivre le souvenir de ces années meurtries", explique l'historienne Florence Tamagne, dans un article spécialisé en 2006.

Un monument en 2024 ?

"Pendant longtemps, les associations d'anciens combattants sont restées réticentes à aborder ce motif de déportation", ajoute David Cupina. En 2015, par exemple, le centre LGBT de Touraine n'avait pas pu déposer une gerbe en hommage aux déportés homosexuels lors de la cérémonie officielle, en raison de "l'opposition formelle des déportés membres de l'Union nationale des associations départementales des déportés internés et familles". Pour y participer, les militants ont dû rédiger des recours auprès de la préfecture. Aujourd'hui, les cérémonies commémorent toutes les déportations sans particularisme, apaisant les tensions entre associations.

Malgré ces progrès, la recherche historique concernant la mémoire de la déportation homosexuelle doit encore rattraper le temps perdu. Patricia Mirallès, la secrétaire d'État, souhaite que cette mémoire soit ranimée : "On peut envisager des études, des projets de recueil de témoignages", propose-t-elle. Ce à quoi s'attèle l'association de David Cupina, en faisant vivre les récits familiaux pour pallier le manque de documents. Là encore, elle se heurte aux silences : "Certaines familles ne souhaitent pas partager ces correspondances intimes et préserver la mémoire de leurs proches, regrette-t-il. Si les élus se mobilisent, il s'agira enfin d'une reconnaissance indiscutable". En 2024, après plusieurs années de discussions, un monument en mémoire de ces déportés devrait être érigé.

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Crédit photo : Olivier Morin / AFP