Nous vous parlions cette semaine de la polémique suscitée par les propos de Serge Aurier, joueur du PSG. Peu de médias en avaient souligné le caractère homophobe et sexiste, ce qui avait amené l'association Les Dégommeuses à publier une tribune dans Libération.
L’association a été créée en janvier 2012. Elle a pour but de lutter contre les discriminations dans le sport et par le sport.
TÊTU s'est entretenu avec la Présidente, Cécile Chartrain, pour mieux cerner leur histoire, leur démarche et leurs actions.
Pouvez-vous nous raconter comment et par qui a été créée votre association ? De quel constat êtes-vous partis ?
L’association a été créée en janvier 2012, sur la base d’une équipe de foot, par des filles cis-genre (rejointes plus tard par des garçons trans) qui militaient dans les mouvements féministes, LGBT et antisida. On faisait le constat de départ que le milieu sportif était particulièrement sexiste et homophobe mais que peu de groupes agissaient pour changer les choses dans ce domaine. En tant que femmes et lesbiennes, on avait pas mal de choses à dire sur ces sujets et on pensait que le simple fait d’être visibles en tant que telles dans le milieu du foot pouvait être intéressant, amener les gens à se poser des questions sur leurs représentations. On voulait aussi s’inscrire dans une démarche globale de lutte contre les discriminations intégrant une réflexion sur le racisme et le classisme existant à l’intérieur de la communauté LGBT. Par ailleurs, il nous fallait nous constituer en association pour pouvoir demander des créneaux de jeu à la mairie de Paris, dans un contexte où la plupart des espaces publics en accès libre où on voulait jouer étaient squattés par des garçons ou des hommes.
Quel est selon vous en France l'état des questions LGBT dans le milieu du sport en général et dans celui du foot en particulier ?
En 2015, sous l’impulsion de Maguy Nestoret, le Ministère des sports a lancé une campagne « Coup de sifflet contre l’homophobie dans le sport » qui avait le mérite d’être la première du genre et de prendre enfin en considération les lesbiennes. Toutefois, au-delà des (rares) campagnes de communication et des effets d’annonce politiques liés à des évènements tels que l’affaire Aurier, il ne se passe pas grand-chose. Le Paris Foot Gay avait initié en son temps une Charte de lutte contre l'homophobie dans le sport qui n'a pas eu les effets concrets escomptés. Par rapport à d’autres pays, les clubs et les fédérations sportives françaises « mainstream » (FFF notamment) sont très en retard dans la prise en compte de la lutte contre les discriminations et des LGBTphobies en particulier. On est toujours dans le déni de réalité. On parle des valeurs « inclusives du sport » mais les organes de pouvoir sont des machines à reproduire la domination masculine, hétérosexuelle, blanche. Il manque d’abord de vrais plans de formation et de sensibilisation au sexisme et aux LGBTphobies en direction des joueurs (notamment ceux des centres de formation) mais aussi des encadrants sportifs et même des dirigeants. Et des moyens dignes de ce nom pour les associations comme la nôtre, qui multiplient les initiatives et font le travail pédagogique que devrait assumer les pouvoirs publics et les institutions avec des moyens dérisoires.
Peut-être aussi que le mouvement sportif LGBT a sa part de responsabilité. La plupart des clubs LGBT fonctionnent uniquement dans une optique de convivialité : elles n’ont pas grand-chose à proposer en dehors d’une pratique sportive sécure. D'un point de vue militant, c'est un objectif a minima. Cela ne permet ni de faire pression sur le politique ni de convertir des organisations mainstream à la lutte contre le sexisme ou les LGBTphobies.
Que vous inspire le traitement médiatique de la polémique suscitée par les propos tenus par Serge Aurier ? Pourquoi cette tribune vous paraissait-elle nécessaire ?
Nous avons publié cette tribune pour deux raisons. Premièrement parce que les réactions du joueur et du club ne nous ont pas paru à la hauteur des enjeux et des dégâts causés. Le joueur s’est excusé simplement en faisant allusion à la confiance de son entraîneur, qu’il avait trahie, et au bazar qu’il avait mis dans le vestiaire. Le PSG a justifié la suspension du joueur en ne mentionnant pas davantage les conséquences que ces propos pouvaient avoir avoir en dehors du cadre sportif. Ensuite, le traitement médiatique de cette affaire nous a vraiment choquées. Sur les plateaux TV comme dans les journaux, les mots sexisme et homophobie ont rarement été prononcés pour qualifier ce qui s’était passé. Dans Libération même, il s’est trouvé des journalistes pour dire que parler d’homophobie relevait, dans le cas d’Aurier, de la « malhonnêteté intellectuelle », parce que ces mots seraient employés communément, en particulier nous disait-on par les « jeunes de banlieue » ou les « gens du bled ». Les réactions des journalistes ont bien montré que ce problème d’homophobie et de sexisme intériorisé dépassait le sport et concernait la société toute entière. Il était important de ne pas laisser passer l’insulte sexiste et homophobe mais aussi de dénoncer le prisme raciste et classiste à travers lequel ont été largement analysés les propos d’Aurier.
Quelles actions menez-vous à différentes échelles pour lutter contre l'homophobie dans le sport ?
J’ai déjà parlé de la visibilité : Les Dégommeuses se présentent publiquement comme « association lesbienne » même si certain-e-s membres sont hétéros ; et d’ailleurs ce travail de visibilisation est aussi essentiel au sein de la communauté LGBT, où la domination masculine reste très présente. Ensuite il y a les actions de mobilisation et de plaidoyer auprès des politiques, sur les réseaux sociaux et dans les médias. Avant la tribune sur l’affaire Aurier, nous avions déjà produit des textes de positionnement dans le Nouvel Obs+ (tribune sur le coming out des sportifs et sportives de haut niveau), ou encore dans le journal L’Equipe (tribune dénonçant le sexisme et la lesbophobie dans le foot). Nous menons aussi des actions pédagogiques et de sensibilisation : organisation d’un cycle de rencontres-débats trimestriel sur le thème "Femmes, genre et sport", conception d’un quizz à destination des supporters, organisation de matchs de futsal auxquels nous essayons d'adosser des temps d’échange avec les jeunes, etc. Actuellement, nous préparons notre "EURO solidaire" : une semaine d’action sportive, militante et culturelle qui aura lieu du 3 au 10 juin, avec pour objectif de sensibiliser le grand public sur la condition des réfugiés LGBT et de mettre en avant le rôle du sport comme vecteur d’intégration.