Face à la montée du racisme anti-juif sur fond d'aggravation du conflit israélo-palestinien, l'association juive LGBTQI+ Beit Haverim a réuni des militants de la commu pour discuter de l'antisémitisme.
L'aggravation du conflit israélo-palestinien a entraîné en France une hausse inédite des actes antisémites : 887 au premier semestre 2024, soit 192% d'augmentation par rapport aux six premiers mois de l'année dernière, rapporte le ministère de l'Intérieur. Le précédent record datait de 2014, lors d'un autre épisode guerrier dans la bande de Gaza. Rapportant que, dans ce contexte, "de nombreux juif.ves LGBTQ+ se questionnent sur le positionnement de certains mouvements LGBTQ+ dans lesquels ils/elles sont parfois invisibilisé·es, voire exclu·es", l'association Beit Haverim a organisé une après-midi de réflexion sur l'antisémitisme dans les espaces LGBTQI+, dimanche 8 décembre, dans la salle des fêtes de la mairie du 10ᵉ arrondissement de Paris.
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Comme une large partie de la gauche, le mouvement LGBTQI+, porté par la lutte contre les discriminations et pour l'émancipation, a souvent pris des positions pro-palestiniennes. Sans toujours réussir à se prémunir des glissements de l'antisionisme vers l'antisémitisme. En mars, le conseil d'administration d'Act Up-Paris a dénoncé dans un communiqué les propos de certains membres de l'association. "Des militants ont prononcé des phrases choquantes relativisant la Shoah, retrace Eva Vocz, alors salariée de la structure, et qui a depuis signé une rupture conventionnelle. Lorsque j'ai proposé une formation sur l'antisémitisme organisée par Boussole antiraciste [association fondée par Jonas Pardo, l'un des participants de la table ronde], plusieurs personnes ont ostensiblement quitté la pièce. Une militante a été voir le secrétaire général de l'asso pour dire que j'avais un problème avec l'argent…"
Mais l'antisémitisme n'a pas attendu la plus récente guerre à Gaza pour s'exprimer. Ainsi Didier Lestrade, cofondateur d'Act Up-Paris (et de têtu·), avait été critiqué en 2017 pour un tweet pointant les "affinités sionistes" des défenseurs d'Harvey Weinstein et de Dominique Strauss-Kahn, avant de s'excuser mollement. Le 17 novembre 2023, il réitère néanmoins, soulignant insidieusement que Patrick Bruel ne se présente pas sous son vrai nom (qui est Benguigui). "Il a tenu des propos explicitement antisémites, n'est-il pas temps de le remercier pour sa lutte contre le VIH/sida mais de se désolidariser de tous les propos qu'il peut à présent tenir ?" interroge Eva Vocz, applaudie par la salle, à la table ronde de Beit Haverim.
"Au sein des associations, nous devons être capables de questionner notre regard et d'avoir des espaces où les personnes discriminées puissent se sentir en toute sécurité pour parler et être entendues sans que leur parole soit remise en cause", pose comme principe James Leperlier, président de l'Inter-LGBT qui organise notamment la Marche des fiertés en Île-de-France. Il assure néanmoins qu'aucune occurrence d'antisémitisme ne lui a été remontée ces derniers temps par les 40 associations de la fédération.
Essentialisation raciste
Participants et spectateurs de l'événement témoignent aussi d'un antisémitisme vécu hors des espaces militants. "Depuis le 7 octobre 2023 [date des attaques du Hamas en Israël], en soirée LGBT, on est constamment ramené à notre judéité. Jusqu'à présent, c'était une partie marginale de mon identité, mais on me demande en permanence de me positionner par rapport au conflit au Proche-Orient, comme si, en tant que juive, j'étais responsable de la politique de Netanyahou [le Premier ministre israélien]. C'est une essentialisation antisémite", pointe Audrey Msellati, avocate de la DJ Barbara Butch. Après la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques, cette dernière avait subi sur les réseaux sociaux des attaques lesbophobes, grossophobes et antisémites.
"De la même manière qu'il n'y a pas de raison que les musulmans s'excusent des attentats islamistes, je ne vois pas pourquoi les juifs devraient être responsables des atrocités commises à Gaza", poursuit Jonas Pardo, cofondateur de Golem, un collectif de juifs de gauche constitué au début de la guerre à Gaza pour lutter à la fois contre la politique de Benyamin Netanyahou et contre l'antisémitisme. "Le soutien au peuple palestinien est légitime, mais conduit trop souvent à des déplacements antisémites, notamment sur les réseaux sociaux ou en manif où des gens ne se rendent pas compte qu'ils propagent une iconographie antisémite créée par l'extrême droite", soutient-il. Et de citer notamment cette pancarte aperçue en Allemagne lors d'une manifestation pro-Palestine montrant un personnage au nez crochu et aux dents acérées, et portant les drapeaux israélien et étasunien. "Cette caricature, réalisée par le site d'extrême droite Vérité et réconciliation, reprend exactement les codes utilisés depuis 200 ans pour justifier la haine envers les juifs", rappelle-t-il.
Plusieurs spectateurs de la table ronde interviennent pour faire part de leur inquiétude. Est ainsi rappelée la récente polémique autour du festival Chéries-Chéris, où la jurée et productrice de podcasts Julia Layani a été mise à l'écart d'une prise de parole collective dénonçant les crimes commis par Israël au Proche-Orient. Un autre questionne les participants sur l'exclusion, fin octobre, de l'association LGBTQI+ israélienne The Aguda de l'Ilga-World, fédération internationale d'associations LGBTQI+, pour avoir soumis la candidature de Tel Aviv comme ville hôte de la conférence annuelle. Dans un communiqué publié le 29 octobre, l'Ilga s'excusait qu'une telle possibilité puisse même être évoquée, invoquant "l'expérience historique de l'apartheid et du colonialisme en Afrique du Sud", où la fédération allait se réunir. "Nous devrons discuter et voter en réunion plénière pour déterminer si l'Inter-LGBT, qui fait partie d'Ilga-Europe, doit faire une communication à ce sujet", pointe James Leperlier. Les relations interassociatives risquent d'être pénalisées par le conflit, au détriment du combat pour nos droits.
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Crédit photo : Victoria Valdivia / Hans Lucas via AFP