Ian BrossatIan Brossat : "Le combat contre les discriminations m’a marqué dès mon plus jeune âge"

Par Adrien Naselli le 07/03/2016
L'Espion et l'enfant,Ian Brossat

Rencontre avec Ian Brossat, adjoint à la Mairie de Paris qui publie L'Espion et l'enfant chez Flammarion.

Cet homme occupé a accepté de se prêter au jeu de la psychanalyse, dans le 18e, son arrondissement, avec notre journaliste Adrien Naselli : dans son livre, consacré à l’histoire de son illustre grand-père, Marcus Klingberg, juif emprisonné en Israël pendant vingt ans pour avoir été un agent de Moscou, il s’efface derrière sa mère et ses grands-parents. Tout en disant beaucoup de lui.

Médias LGBT

Comment accueillez-vous le retour de TÊTU ?

J’ai lu le magazine jusqu’à la fin de sa parution en kiosques. J’étais très attaché à ce magazine qui, comme à beaucoup de gays, m’a été très utile notamment pendant mon adolescence. Il s’agit d’un attachement à la fois politique et sentimental. Je suis donc très heureux que TÊTU revienne, c’est une bonne nouvelle pour la presse et pour les LGBT.

Comme Pierre Serne, avez-vous regretté l’absence de prise de position du magazine entre les deux candidats lors de la présidentielle de 2007 ?

Je pense qu’on ne milite pas qu’en prenant des positions politiques à l’occasion des élections. TÊTU a joué un rôle important en mettant en exergue, hors période électorale, des sujets invisibles comme être gay en banlieue. Je ne partage donc pas cette critique.

Pourquoi avoir choisi de faire votre coming out dans la presse LGBT, en l’occurrence sur Yagg ?

Je suis convaincu qu’il est très utile que des élus fassent leur coming out. Je pense qu’il serait souhaitable que nous soyons plus nombreux à le faire, mais je l’ai fait uniquement parce qu’on m’a posé la question lors d’un chat. Les élus ont une responsabilité politique : trop souvent, ils s’abritent derrière la protection de la vie privée, or on ne se pose jamais la question, par exemple, pour un homme politique hétérosexuel qui s’affiche avec son épouse en campagne électorale. On se retrouve dans une situation déséquilibrée où l’homosexualité relève de la vie privée et l’hétérosexualité de la vie publique.

Pensent-ils qu’en restant dans le placard ils protègent leurs carrières ?

Je pense que beaucoup d’élus sous-estiment leurs électeurs. Ils pensent qu’ils leur en feraient grief. Or ce n’est pas du tout le constat que je fais. Je suis élu dans le 18e arrondissement et ça ne m’a posé aucun problème. Ce que les gens veulent, c’est qu’on règle leurs problèmes.

La Gauche

Vous vous êtes engagés pour une primaire de toutes les gauches. Quel serait le ou la candidate qui serait susceptible de porter au mieux les combats LGBT ?

Il est trop tôt pour donner des noms. Ce qui est sûr, c’est que ce quinquennat laisse une impression mitigée. Il y a eu certes l’avancée du mariage pour tous, mais le gouvernement donne le sentiment d’un chantier inachevé, qui a cédé aux revendications de la Manif pour tous. Il est nécessaire d’aller jusqu’au bout de l’égalité des droits, notamment en ce qui concerne la PMA et les droits des trans. Au Parti communiste, on a déposé des projets de lois qui vont dans ce sens.

Qu’est-ce que la Manif pour tous a gagné ?

Le gouvernement, de fait, a décidé de stopper toute avancée en matière d’égalité des droits et donne raison à la Manif pour tous. Je pense qu’il y a une timidité presque maladive de la part de ceux qui sont au pouvoir sur ces sujets, face à une droite mobilisée, offensive et agressive. Nous aurions besoin d’une gauche au moins aussi offensive et que plusieurs partis travaillent ensemble : le PCF, EELLV, le Front de gauche, un certain nombre de socialistes qui n’acceptent pas cet esprit de résignation. C’est ce que nous proposons avec cette perspective de primaire de toutes les gauches.

Une perspective peut-être remise en cause par l’entrée des Verts au gouvernement ?

Non, Emmanuelle Cosse a fait le choix personnel d’entrer au gouvernement, pas les Verts. Je leur tends la main et je souhaite que l’on travaille ensemble.

Au Parti communiste, avant Marie-George Buffet, les questions LGBT n’étaient pas prises en considération.

C’est un parti beaucoup plus ancien qu’EELV ! En effet, les communistes n’ont pas toujours été à la pointe. Marie-George Buffet a joué un rôle très important. Je crois qu’on ne peut pas être un communiste cohérent aujourd’hui si on ne se bat pas pour l’égalité des droits. Cela revient à se battre pour l’émancipation humaine. Je n’aurais pas ma place dans ce parti si le PCF ne portait pas ces sujets avec force et énergie.

D'un Lycée de Sarcelles à l'Hôtel de Ville

Vous vous occupez des questions de logement et d’hébergement d’urgence auprès d’Anne Hidalgo. Cette activité n’a a priori pas de liens avec votre métier de professeur de lettres ?

En effet, cela a peu à voir avec mes études qui m’ont conduit à l’École Normale Supérieure de Lyon. J’ai passé l’agrégation de lettres en 2003 puis j’ai enseigné un an à Paris et quatre ans au lycée Jean-Jacques Rousseau, le plus grand lycée public de Sarcelles. J’ai été élu pour la première fois en 2008. Sous le deuxième mandat de Bertrand Delanoë, alors que j’étais président du groupe communiste au Front de gauche, je me suis progressivement intéressé aux questions du logement parce que c’est le premier problème des Parisiens. En 2014, j’étais candidat à ma réélection quand Anne Hidalgo m’a demandé de m’occuper des questions de logement. C’est une fonction importante car il s’agit du premier budget de la Ville de Paris (500 millions d’euros par an), avec l’objectif de rendre le logement plus accessible aux classes moyennes, notamment.

Que pensez-vous de l’écart entre les programmes scolaires, en classe de français notamment, et la vie des élèves ? En tant que communiste, est-ce que ça vous a interrogé ?

Je crois être arrivé à les intéresser. On peut enseigner à Sarcelles de grands auteurs de la littérature française ! Je me souviens les avoir vus aimer La Bruyère, La Fontaine, Victor Hugo. Il ne faut pas renoncer à ce que les grands auteurs puissent être enseignés dans les lycées défavorisés. L’enseignement est un équilibre subtil entre exigence et bienveillance. L’écart n’est pas insurmontable.

Comment avez-vous ressenti « l’affaire » Serge Aurier ? Comment expliquer aux jeunes que ses insultes contre Laurent Blanc étaient homophobes, alors même que les médias ne le disaient pas ?

On constate trop souvent une forme de tolérance à l’égard de ces propos. C’est ce qui m’a conduit, lorsque j’ai été la cible d’attaques homophobes répétées sur Twitter, à porter plainte. Pour deux raisons : ne pas laisser ce type de propos se banaliser, et donner de la force à ceux qui n’ont pas le courage de le faire. La procédure est en cours et j’en attends les conséquences. C’est long mais je suis convaincu que ce combat judiciaire mérite d’être mené.

Premier Roman

Peut-on prendre votre récit comme une œuvre sur la transmission culturelle ?

J’ai vécu dans une famille à la fois très petite et très unie.  Mes parents se sont séparés quand j’avais trois ans et la cellule familiale s’est réduite à ma mère, mon grand-père et ma grand-mère. Nous avons été unis, malgré la distance, par l’épreuve commune de l’incarcération de mon grand-père en 1983. On ne pouvait pas le laisser tomber.

Ces grands-parents, cette mère, ils sont différents de vous, et on sent à la fois une forte reproduction sociale. Comment analysez-vous ce paradoxe ?

Le combat contre l’injustice sociale et les discriminations m’a marqué dès mon plus jeune âge. J’ai découvert dès l’enfance, par ma mère notamment, des combats qu’on découvre plutôt à l’adolescence. Je ne me suis pas construit en rupture, en revanche j’ai souhaité m’ouvrir à une réalité sociale plus large. Mes parents sont issus d’une classe moyenne intellectuelle et le fait d’être élu m’a permis de sortir de mon milieu social d’origine, un peu étriqué en effet.

La personnalité de votre grand-mère m’a marqué à la lecture : c’est un personnage de femme forte, elle est presque dépeinte comme une icône gay, dans une attitude camp. Par exemple : « J’étais à la fois heureux, soulagé et épuisé quand j’ai enfin pu retrouver la Baba [sa grand-mère] qui m’attendait à l’aéroport, du haut de sa blondeur, belle comme une princesse, élégante et hautaine, parfaitement raffinée. Et tendre, tellement tendre avec moi, elle si dure et si raide avec tous les autres ! »

Oui, c’est Dalida ! Ma grand-mère a eu une vie très difficile. Elle a grandi en Pologne dans les années 1920-30, elle était juive-polonaise pendant la guerre, elle a dû fuir le ghetto grâce à de faux papiers. Ce qui m’a toujours impressionné chez elle, c’était cette capacité à ne pas subir les événements et à ne jamais se poser en victime, à rester digne et forte dans les circonstances les plus difficiles. S’il y a une personne qui m’a marqué dans ma vie, c’est elle.

Il y a un contraste stylistique entre vos phrases simples et la violence des événements ou des sentiments que vous racontez, notamment vis-à-vis de votre mère…

Ma mère avait confiance dans mes capacités intellectuelles, mais elle avait toujours peur qu’il m’arrive quelque chose. J’ai eu besoin de trouver ma liberté.

Vous dites par exemple que vous n’avez jamais lu le livre que vos parents vous ont dédié [son père est le philosophe Alain Brossat], Le Yiddishland révolutionnaire. Une manière de vous rebeller contre votre milieu ?

Ma rébellion, par rapport à mes parents, c’est d’avoir voulu me coltiner la réalité. Ma mère aurait adoré que je devienne chercheur. Or j’ai choisi l’enseignement puis la politique…

La première mention de votre homosexualité intervient au milieu du livre. Vous passez l’été en Israël à lire les petites annonces de rencontre entre garçons.

Oui, j’ai appris à lire l’hébreu en lisant ces petites annonces ! Ma mère pensait que c’était des articles politiques… J’ai un peu tardé à faire mon coming out, vers 19 ans, alors que j’aurais pu le faire plus tôt. Mais inconsciemment, la priorité du moment était la libération de mon grand-père en 1998. Je considérais que faire mon coming out à ce moment-là aurait été d’une certaine manière indécent. Je suis un garçon méthodique, je règle les problèmes les uns après les autres !

Vous dites avoir eu conscience de votre homosexualité assez tôt, vers l’âge de 13 ou 14 ans.

Oui, j’ai d’ailleurs appris rétrospectivement que ma grand-mère était tout à fait ouverte sur ces questions alors que, née en 1914, elle n’était pas issue d’une génération particulièrement ouverte…

D’ailleurs votre grand-père l’accepte finalement mieux que votre mère !

Le fait que mon grand-père raisonne ma mère a été l’un des éléments qui a forgé mes liens avec lui. Il disait qu’il s’en doutait depuis longtemps. Avoir cette lucidité et cette ouverture d’esprit, alors qu’il était incarcéré, fait de lui un personnage exceptionnel.

Un jour que vous lui rendez visite en prison, il vous dit : « Je rencontrerai enfin ton Brice ». Vous mentionnez en l’occurrence votre mari.

Il l’a rencontré pour la première fois quand il a pu quitter Israël en 2003, nous étions alors ensemble depuis trois ans. Brice est scientifique, il a donc plu à mon grand-père qui était médecin.

Vous publiez un récit personnel qui pourrait se lire comme un essai sur votre engagement pro-palestinien.

Ce que m’a enseigné ma grand-mère quand j’étais enfant, elle qui a subi la Shoah et la mort de sa mère, c’est qu’il ne faut jamais utiliser sa souffrance comme un moteur de vengeance. Elle ne comprenait pas comment un peuple qui avait autant souffert pendant la guerre pouvait en faire souffrir un autre à ce point. C’était une source de révolte et un mystère pour elle. Je crois que c’est ce qui m’a rendu communiste. Je le suis sans doute par imprégnation, mais pas uniquement en lisant des livres ou parce qu’on me l’aurait enseigné comme un bréviaire. J’ai appris que la souffrance que l’on subit doit permettre de comprendre celle des autres.

D’où votre grand-mère tirait sa force ? Elle n’était pourtant pas engagée en politique comme vous l’êtes aujourd’hui.

Pendant la guerre, elle a reçu l’aide de non-juifs qui lui ont tendu la main et offert de faux papiers. Même dans les pires moments, on peut s’appuyer sur des lueurs inespérées.
 

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Ian Brossat était prof de français au lycée. Aujourd’hui il publie L’Espion et l’enfant, son premier livre, chez Flammarion. Entre temps il est entré au Parti communiste français, est devenu conseiller de Paris, et a été appelé par Anne Hidalgo pour s’occuper des questions relatives au logement et à l’hébergement d’urgence.