Abo

école"Dérives" homophobes : "Nous devons retirer les subventions à l'école privée Stanislas"

Par Nicolas Scheffer le 17/01/2024
Ian Brossat, sénateur communiste de Paris

Un rapport d'inspection dénonce des "dérives" notamment homophobes à l'école Stanislas, établissement privé du cœur de la capitale aujourd'hui touché par la polémique autour de la ministre de l'Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra. Le sénateur communiste de Paris Ian Brossat appelle à retirer le contrat qui le lie à l'État.

Nommée ministre de l'Éducation nationale dans le gouvernement de Gabriel Attal, Amélie Oudéa-Castéra s'est aussitôt embourbée dans une spirale de polémiques. Interrogée sur la scolarisation de ses enfants dans une école privée du très huppé 6e arrondissement de Paris, Stanislas, elle avait pointé pour se justifier les lacunes de l'établissement public local Littré, en particulier "des paquets d’heures pas remplacées", avant d'être contredite par un article de Libération et d'être contrainte à s'excuser. Désormais, c'est Stanislas qui est au cœur de la polémique…

À lire aussi : Gabriel Attal pond le gouvernement le plus LMPT depuis La Manif pour tous

Le groupe scolaire catholique et conservateur, qui accueille 3.500 enfants de la maternelle aux classes préparatoires, a fait l'objet l'an dernier d'une enquête d'inspection après que Mediapart a dénoncé en son sein des "dérives". Le rapport d'inspection, terminé en août 2023, n'était pas sorti du bureau du ministre de l'Éducation nationale d'alors, Gabriel Attal, jusqu'à ce que Mediapart s'en procure une copie. On y apprend qu'à "Stan", sous contrat d'association avec l'État, le climat est loin des valeurs de l'Éducation nationale : les inspecteurs ont relevé "certains messages délivrés dans le cadre de la catéchèse" qui "pouvaient conduire à méconnaître le contrat d'association, les valeurs de la République telles que prévues dans le contrat d'engagement républicains". En particulier, "certains catéchistes expriment des convictions personnelles qui outrepassent les positions de l’Église catholique, par exemple sur l’IVG en tenant des propos remettant en cause la loi, ou susceptibles d’être qualifiés pénalement sur l’homosexualité".

Ce mercredi 17 janvier, sur France 2, Amélie Oudéa-Castéra a affirmé n'avoir pas eu le rapport mais "une courte synthèse", ajoutant qu'un "plan d'action" est en place et qu'il sera appliqué avec "rigueur". Insuffisant, pour Ian Brossat : auprès de têtu·, le sénateur de Paris appelle à retirer le conventionnement qui lie Stanislas à l'État. "Les établissements qui ne respectent pas les valeurs de la République ne peuvent pas recevoir d'argent public", pointe-t-il.

À lire aussi : Stéréotypes de genre à l'école : 10 ans de perdus depuis les ABCD de l'égalité

  • Comment avez vous réagi à la lecture du rapport d'inspection, révélé ce mardi par Mediapart, alors que le ministère de l'Éducation nationale vous en refusait l'accès ?

D’abord, c’est un rapport sérieux d’une trentaine de pages établi par quatre inspecteurs qui ont reçu les témoignages d’une centaine de personnes. Les faits que ce document expose sont extrêmement graves, puisque l’établissement est décrit comme auteur de délits pénalement répréhensibles. La lecture du document appelle à des décisions urgentes de la ministre de l’Éducation nationale, notamment de dénoncer la convention qui lie l’établissement à l’État. Les subventions publiques doivent cesser immédiatement – ou, du moins, être suspendues le temps que le groupe scolaire offre des garanties qui, pour l’instant, ne sont pas réunies. Les établissements qui ne respectent pas les valeurs de la République ne peuvent pas recevoir d’argent public.

  • Les propos litigieux paraissent avoir été tenus en dehors des cours, notamment lors de la catéchèse qui n'est pas directement subventionnée…

Cette école rend obligatoire cette catéchèse ! Par ailleurs, elle propose sur le temps scolaire des enseignements qui diffusent des idées extrêmement inquiétantes. Par exemple, le fait que l’avortement soit systématiquement condamné en cours de SVT (sciences de la vie et de la Terre) ne peut être ignoré. Il est enseigné à nos enfants que l’avortement signifie tuer volontairement une personne humaine innocente, et la contraception chimique est présentée comme dangereuse. Cette addition de faits est particulièrement préoccupante, a fortiori lorsque ces propos sont tenus sur le temps scolaire. Rappelons que l’État finance l’intégralité des salaires des professeurs.

  • Quoi qu'on en pense, les parents n'ont-ils pas la liberté de choisir de scolariser leurs enfants dans un établissement ultra-réac ?

Je ne pense pas que tous les parents qui scolarisent leurs enfants à Stanislas le fassent avec cette intention. Ce choix est au moins autant guidé par le souhait d'échapper à la mixité sociale que par l'adhésion à des valeurs réactionnaires. Et si cette école devient un établissement hors contrat, ils pourront toujours les envoyer là-bas. Mais cela n'enlève rien à la responsabilité du directeur d'établissement dans le fait de livrer des enseignements qui n'ont rien à voir avec les valeurs de la République. Nous sommes dans une forme de séparatisme extrêmement dangereux.

  • Vous avez été jusqu'à récemment adjoint à la maire de Paris : la ville verse-t-elle des subventions à cet établissement ?

Oui, comme à n'importe quel établissement privé sous contrat parisien, c'est obligatoire. Il s'agit d'une subvention de 1,3 million d'euros qui a notamment trait à la gestion des bâtiments. La ville va très prochainement suspendre cette subvention.

[Mise à jour le 18 janvier : la mairie de Paris a annoncé par communiqué que "ce financement obligatoire sera suspendu, à titre conservatoire, dans l'attente des clarifications requises de la part de l'État" et regrette que le rapport n'ait pas été transmis "aux collectivités qui financent cet établissement".]

  • D'une manière plus large, faut-il aujourd'hui revoir les règles d'association avec les établissements privés qui dispensent un enseignement religieux ?

Il y a incontestablement un sujet de mixité sociale. Je suis favorable, avec mon collègue sénateur (communiste) des Hauts-de-Seine Pierre Ouzoulias, qui a déposé une proposition de loi en ce sens, à ce que les subventions soient modulées en fonction de l'engagement des établissements en matière de mixité sociale. Là-dessus également, Stanislas ne fait pas le travail. Les contrôles des écoles sous contrat doivent être bien plus fréquents et conduire à des rapports publics. Il est intolérable qu’un rapport sur un établissement touchant de l’argent public n’ait été dévoilé que sous la pression de fuites dans la presse. Qu’est-ce qui justifie cette absence de transparence, si ce n’est la volonté de protéger un établissement fréquenté par une élite représentée au gouvernement ?

À lire aussi : La vie de Bambi mise en scène pour parler de genre à l'école

Crédit photo : Riccardo Milani / Hans Lucas via AFP