Aujourd'hui c'est la rentrée des classes, et pour l’occasion TÊTU a rencontré Jérémie Bouaziz, intervenant en milieu scolaire contre l'homophobie à l'école. Présentations.
Avec sa décontraction et son air juvénile, Jérémie a l'air d'un jeune diplômé. Pourtant, derrière ce look d'étudiant se cache un entrepreneur talentueux et innovant d'une trentaine d'années qui troque de temps à autre le consulting et le développement immobilier pour la lutte contre l'homophobie en milieu scolaire. Une dynamique éducative qui imprègne son parcours.
Déjà, durant sa formation à HEC, il part un an faire le tour du monde et intervient dans neuf lycées français pour former les élèves aux entretiens de personnalités. Au cours de ce voyage, il fait un crochet en Inde et découvre le yoga, l’art de la méditation, et toute la philosophie qui s’y rattache. Au sein du ashram Sivananda - une communauté réalisant une mission d'intérêt social -, il oeuvre à la diffusion du yoga comme outil pour promouvoir la paix, car "le yoga c'est une discipline physique qui pacifie beaucoup les gens, mais aussi une philosophie qui repose sur l'empathie et l'écoute de soi. L'idée que l'univers est un tout, que nous appartenons tous à une énergie commune." Une fois diplômé, il fonde une start-up spécialisée dans les applications mobiles pour les campus étudiants et équipe une centaine d'établissements en France et en Suisse.
Aujourd'hui, en plus d'assurer un atelier de communication digitale à HEC, il forme régulièrement les étudiants de classes préparatoires aux entretien d'écoles de commerce et distille également des conseils sur le financement public des start-up.
Agir contre l'oppression homophobe
Pourtant, cette fibre pédagogique, Jérémie ne l'explique pas. Il fonde son engagement militant sur ses lectures en sociologie de l'homosexualité, marquée par les mouvements queer et féministes. Sur sa table de chevet, Albert Camus, André Gide et Hermann Hesse côtoient ainsi les écrits de Michel Foucault, Réflexions sur la question gay de Didier Eribon, Une Chambre à soi de Virginia Woolf. De ces travaux, Jérémie retient que l'espace dont il jouit en tant que gay à Paris, il le tient de ces figures de la littérature et de l'activisme. Il prend aussi conscience des mécanismes d'oppression et réalise que "le tissu même de l'homophobie, c'est le verbe", qu'il est nécessaire de déconstruire.
Trop vieux pour réaliser des interventions en milieux scolaire (IMS) sous l'égide du MAG comme son compagnon de l'époque (il faut avoir moins de 26 ans), l'association le redirige vers SOS homophobie. Dans cet organisme, moins de témoignages, mais plus de débat avec les élèves. Lors de la première journée de formation théorique, Jérémie découvre la démarche et la méthodologie avant d'entrer en scène. Ou plutôt en coulisse, car pour les nouveaux, c'est direction le fond de la classe en tant qu'observateur, derrière les élèves installés en "u" face aux deux intervenants. "Après, au fil de tes observations, tu interviens par petite touche en complément des deux intervenants, quand tu sens que tu es prêt" explique Jérémie qui compte déjà quatre interventions à son actif, toujours dans des classes de 4ème.
"Tu poses les questions, et ce sont les élèves qui apportent les idées"
Engagé depuis la rentrée 2015, il a réalisé deux sessions dans un collège du 19ème arrondissement parisien, puis deux autres à Sevran en Seine-Saint-Denis ; à chaque fois à la demande des établissements et en présence des enseignants. SOS homophobie dispose effectivement d'un agrément national du Ministère de l'éducation nationale au titre des associations complémentaires de l'enseignement public.
Donc tout d'abord t'arrives, tu dis que tu viens de la part de SOS Homophobie. Et puis tu commences à leur demander c'est quoi homo- ? C'est quoi -phobie ? C'est quoi l'homophobie ? Pourquoi on met SOS à côté ? Une chose essentielle, c'est que c'est une approche maïeutique : tu poses des questions et c'est les élèves qui apportent les idées et les points de vue.
Démarre alors une discussion sur toutes les formes de discrimination avec les élèves, du sexisme à l'handiphobie en passant par le racisme, l'antisémitisme, etc. puis une phase de définition sur les LGBTphobies. Les intervenants s'attachent ensuite à distinguer le genre, l'orientation sexuelle et l'identité sexuelle. La pénalisation de l'homophobie est également abordée à ce moment-là sous l'angle juridique : l'illégalité, les peines, les amendes...
Déconstruire les stéréotypes et les pensées discriminatoires
"A mon avis, l'Education nationale pourrait - à travers l'éducation sexuelle ou civique - expliquer qu’il y a plusieurs orientation sexuelle et que l’homosexualité fait partie de la sexualité humaine" examine d'ailleurs Jérémie. Du côté de SOS homophobie, différents ateliers sont employés pour déconstruire les stéréotypes comme "un homme ne pleure jamais", "une fille a les cheveux long" ou "les homosexuels sont efféminés". Très souvent, deux questions sont ensuite posées :
"Comment tu réagis si demain ton meilleur ami te dit qu'il est gay ?" Là, les deux tiers des gamins te disent "je prend mes distances", beaucoup d'autres qui disent "c'est ok, tant qu'il me drague pas". Après on leur demande "Et si c'est votre enfant ?" T'en as beaucoup qui te répondent "je le frappe" ou "je le fais rentrer dans le droit chemin"... Mais globalement, la dynamique c'est deux tiers qui sont malveillants et éventuellement un, deux ou trois qui réagissent à ça et prennent le parti de la tolérance.
Les élèves sont par la suite invités à écrire anonymement des questions sur des feuilles ; après en avoir fait la synthèse, les intervenants y répondent. Quelques "comment on sait si on est homo" nous confie Jérémie, "et une fois sur cent, t'as un coming-out et donc bien-sûr on n'oute personne. Mais dès le début de l'intervention on met en évidence la hotline de SOS homophobie pour donner des outils à certains."
C'est seulement après cette phase de question que les intervenants font état de leur propre orientation sexuelle, "une phase de témoignage très importante car elle cristallise toutes les idées énoncées plus tôt. Les élèves se rendent compte que les personnes avec qui ils ont échangé pendant deux heures sont comme tout le monde, qu'elles soient homosexuelles ou pas."
Le collège et le lycée, "un point où il est pertinent d'agir"
L'IMS se termine par un questionnaire pour récolter les avis et commentaires des adolescents. "Et là c'est intéressant parce que 60% des gamins nous écrivent que, oui, ça a changé leur perception de l'homosexualité. Qu'il y a des gens homosexuels et qu'il faut leur laisser une place. L'idée c'est de planter une graine."
Lui-même aurait énormément apprécié que de tels intervenants franchissent les portes des établissements scolaires lorsqu'il était adolescent "parce que le collège, le lycée, c'est là où tu découvres ton orientation sexuelle ; c'est un point, dans la vie des gens, où il est pertinent d'agir. C'est le moment où tu es isolé, tu découvres quelque chose en toi, et tu évolues dans un environnement où l'homophobie est partout. Moi je n'ai pas subi directement de moqueries, mais quand t'es petit tu apprend que pédé c'est une insulte. Donc quand tu découvres que t'es homosexuel t'as pas envie d'être un pédé." D'ailleurs, pas de jugement contre les pensées homophobes de certains élèves lors des IMS. Avec SOS homophobie, Jérémie a appris à prendre sur soi et à "décortiquer leurs questions, à créer le débat".
Bien que la grande majorité des interventions se déroulent en banlieue parisienne, Jérémie Bouaziz envisage d'intervenir dans le milieu parisien bourgeois qui l'a bercé, et en particulier dans son ancien établissement : le lycée Carnot. Encore quelques séances d'observation, une seconde journée de formation, et il sera qualifié pour intervenir en duo devant les élèves de 4ème à la Terminale qui débutent ce matin une nouvelle année scolaire.
Au mois de mars, SOS homophobie diffusait une vidéo avec les petits mots écrits par les élèves. Les fautes d'orthographe piquent un peu les yeux mais c'est instructif et émouvant.
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Retrouvez ici toutes les informations concernant les interventions en milieu scolaire de SOS homophobie.
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Crédit photo couverture Daniel Beres