Notre reporter a assisté aux manifestations de samedi et dimanche à Paris... Week-end chargé pour les droits LGBT.
Samedi, l'Existrans
Il est 11 heures. Les premiers militants s’affairent déjà pour préparer les deux camionnettes qui guideront la marche vers Châtelet en passant par la place de la République. Ballons violets et rose à gonfler (« et pas bleus et roses » comme le rappelle un manifestant), système son et stand de flyers à installer, à Belleville, les passants s’arrêtent, demandent des informations sans toujours comprendre et engagent quelques conversations intriguées.
Dès 13 heures, les manifestants sont de plus en plus nombreux à converger vers le point de rendez-vous. Max, photographe pour l’Existrans, revient sur l’importance d’être présent ce jour :
Parce que je suis trans et que je vois encore en France et partout dans le monde des agressions, des meurtres, il faut continuer à se battre. Le gouvernement n’ose pas prendre des mesures nécessaire pour notre santé, nos vies, notre sécurité et notre existence dans l’espace public.
Contrairement à l’année dernière, le soleil est éclatant lorsque les prises de paroles des différentes associations débutent. Toutes déçues de la loi au rabais validée il y a quelque jours, les associations sont nombreuses à avoir fait le déplacement vers Paris.
Susana quant à elle, a entendu ces paroles de nombreuses fois déjà :
Ma première marche était en 2004, j’ai un peu l’impression de voir toujours les mêmes têtes. Que les personnes à l’origine de cette initiative soient présentes, c’est formidable mais c’est vrai que de faire passer le message à la jeunesse est un peu difficile.
Qu’il s’agisse de la jeunesse ou encore des alliés, beaucoup soulignent l’importance de leur participation : "On a beaucoup de débats sur la place des alliés, c’est néanmoins important qu’ils soient là pour nous soutenir, personnes cisgenres LGBT ou non LGBT" précise Max. Pour Paul et Alejandro qui participent à la marche depuis trois ans, c’est une nécessité de venir soutenir leurs amis :
On a des amis proches qui sont directement concernés. D'une manière moindre sans doute, on a évidemment des liens avec les questions et enjeux qui sont posés par la question des droits des trans, notamment lorsqu'il s’agit de déconstruire les normes imposées par la société patriarcale, explique Paul.
Alejandro ajoute: "Officiellement on se présente souvent comme un grand groupe solidaire mais enfin dans la rue on est très peu, pour nous c’est important d’être ensemble toutes et tous et de pouvoir être là pour montrer cette solidarité".
Une fois passée la place de la République, le bruit des mégaphones annonce le début du die-in à la mémoire notamment des trois personnes trans mortes du sida ou assassinées cette année en France. Le silence plane. Difficile alors de ne pas songer à la violence qui se loge dans l’oubli et le silence de la société vis-à-vis de celles et ceux qui doivent se débattre avec des identités de genre et de sexe qui leur sont assignées et qui les confrontent chaque jour à de multiples problèmes: santé, logement, travail, vie quotidienne. Taí qui participe depuis huit ans à la marche, revient notamment sur la stérilisation :
Personnellement c’est la cause qui me tient le plus cœur, c’est ce qui a été le plus difficile dans mon parcours, j’ai eu beaucoup de problèmes médicaux suite à cela. L’Etat nous met en danger, mes droits n’ont pas évolué.
Loé qui a pris la parole en début de marche au nom des intersexes et qui a participé à l’organisation de l’Existrans, insiste sur leur manque de visibilité: "La majeure partie des gens ne sait pas qu’on existe. L’image que l’on a de l’intersexuation, c’est un bébé qui naît avec des parties génitales bizarres et qui est mutilé. En réalité c’est bien plus complexe et il y a différentes manières d’être intersexe". Pour Loé, la marche n’est qu’une étape en vue d’une visibilité et d’une mobilisation qui doit devenir plus importante :
Cette réalité de la constante invalidation de nos corps, parce qu’on ne serait pas vraiment filles ou garçons, les mutilations, prises d’hormones, complications médicales durent parfois toute une vie. Ce n’est pas qu’une opération, c’est évidemment difficile à expliquer en deux phrases sur un tract et on doit pouvoir réfléchir au moyen de faire connaître ces réalités.
Et les tracts sont nombreux en effet à être distribués sur la marche, tracts émanant d’un groupe de trans racisés ou de trans migrants, de travailleurs-euses du sexe, d’organisations étudiantes, tous mettent en avant la multiplicité des discriminations et le système qui les perpétue.
Afin de pouvoir alerter sur les différentes échelles de ces discriminations, une campagne et une pétition mise en ligne par l’association Acceptess T à propos de l’impossibilité pour de nombreuses personnes trans d’aller chercher leur colis à la poste en raison de la non-conformité avec leur état civil vient d’être lancée.
Cette nouvelle campagne témoigne d’une volonté : celle d’utiliser les réseaux sociaux, les médias et internet afin d’interpeller à nouveau le gouvernement mais aussi de faire comprendre aux personnes cisgenres ce à quoi ressemblent quelques unes des difficultés auxquelles les trans et intersexes font face régulièrement. Bien plus qu’un colis, ce sont évidemment de multiples anecdotes faites d’humiliations, d’expériences de rejets qui jalonnent leur quotidien et qu’il s’agit de mettre en lumière.
Et au regard des nombreux médias qui étaient présents ce samedi, il est possible d’espérer que cet éclairage ne soit qu’un début qui fait difficilement barrage aux nombreux articles et effets d’annonce relayant le retour de la Manif Pour Tous. Alors que la manifestation se termine, la marche de demain est en effet dans beaucoup d’esprits :
Aujourd’hui il y a le fait particulier que demain c’est LMPT, j’aimerais montrer aussi qu’il y a des soutiens pour cette « soi-disant la théorie du genre» ajoute Taí lors de la marche.
Dimanche, contre la Manif pour Tous
Comme lui, ils étaient nombreux celles et ceux qui souhaitaient se mobiliser contre le retour si nauséabond des petits pulls roses et bleus. Deux événements avaient été organisés et proposés sur internet suscitant des enthousiasmes relatifs et quelques polémiques.
Pourtant le week-end LGBT+ ne s’arrêtait pas là.
Différents groupes militants s’étaient en effet donnés rendez-vous dans un bar de la capitale pour préparer pochoirs, pancartes, et mégaphone ce dimanche matin. Parce qu’il n’était pas question d’entrer en confrontation directe avec la Manif Pour Tous comme l’avait prévu un groupe autonome ni même de se rendre simplement au Kiss-In organisé par Jacky Majda, un ex-soutien "repenti" de Charles Beigbeder (proche de LMPT), une journée entière de mobilisation et de réappropriation des espaces avait été pensée à l’avance.
Au programme, se rendre premièrement sur différents lieux délaissés par la Manif pour tous dans le 15ème et 16ème arrondissement :"Ils se permettent de taguer partout dans Paris leur LGBTIphobie, il y a pas de raisons qu’on n’en fasse pas autant", explique l’un deux.
Après s’être divisés en différents groupes pour se rendre devant des lieux symboliques, les petits groupes inscrivent avec des pochoirs différents slogans sur le trottoir : "Au nom du Poppers, Du Fist et du Saint Cuni", "Donnez-nous vos enfants" ou encore "Mariage pour personne".
Une petite heure plus tard, tous et toutes se rassemblent cette fois devant le saint local parisien délaissé pour l’occasion. Colle scintillante, jet de paillettes et inscriptions sur le sol viennent compléter l’apposition d’une plaque pour "révéler leur vrai visage".
A peine le temps d’admirer leur oeuvre qu’il est finalement temps de se rendre au Kiss-In géant place de la République. Pour ces queers radicaux, pas question d’empêcher les personnes sur place de s’embrasser mais plutôt de re-politiser un moment qui s’est décidé sans solliciter ou même consulter les associations LGBTQI :
Il est important aussi que l’on puisse rappeler quels sont les enjeux du kiss-in et que ce genre d’événement ne doit pas être organisé en vue d’une récupération personnelle ou politique, comme c’est le cas ici, conclut une des membres du groupe.
Une fois sur place, alors que les participants attendent et s’interrogent justement sur l’organisation et qu’un son timide inconnu lance les premières embrassades, des membres du groupe arrivées chargées de paillettes et de confettis montent sur les marches de la statue et entonnent un appel à un die-in en hommage aux récents disparus LGB et aux trois personnes trans mortes cette année.
Quelques prises de parole, un appel à une réunion le lendemain à la Bourse du Travail et de nombreux chants plus tard («Christine Boutin, Marine Le Pen, l’homophobie, la lesbophobie, la transphobie c’est dégueulasse»), un second kiss-in cette fois-ci lancé joyeusement par les militants du groupe est accueilli avec enthousiasme par la foule.
Il est déjà 17h30 alors que tombent progressivement les nouvelles concernant la fréquentation en baisse de la Marche de l’autre côté de Paris; le soleil diffuse place de la République ses derniers rayons sur les paillettes disséminées à terre rappelant qu’en effet face à la peur et la haine de l’autre, il est toujours possible de se rassembler, de se mobiliser et de faire front toutes et tous ensemble.
Crédits photo (sauf indication contraire) : Cy Lecerf-Maulpoix
Pour en savoir plus :
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