Taiwan pourrait devenir le premier pays d'Asie à ouvrir le mariage aux couples homosexuels. Mais l'opposition est féroce. Même arguments, même organisation, le spectre de la Manif pour tous semble avoir refait surface de l'autre côté du globe.
Emballement médiatique, débats d'idée entre leaders d'opinion, bigots qui descendent dans la rue pour marteler leurs vision étriquée de la société... Depuis quelques semaines, Taiwan est en ébullition. Dans le viseur ? La définition du mariage inscrite dans le Code civil et ciblée par trois projets de loi. Un premier qui entend étendre les droits du mariage et de la famille aux couples homosexuels, deux autres qui souhaitent abolir les notions de "mari", "femme", "père" et "mère" au profit de noms neutres. Comme chez nous, des mouvements conservateurs n'ont pas tarder à se constituer pour prêcher qu'une famille c'est "un papa, une maman et des enfants". Là-bas, on ne parle pas LMPT, mais Alliance pour le Bonheur de la Prochaine Génération et Taiwan Family. A la mi-novembre, ils étaient moins de 20.000 à battre le pavé de Taipei à leur appel et à celui de certains groupes religieux. Mais samedi dernier, leurs rangs se sont multipliés par dix : 100.000 personnes défilaient dans la capitale, 40.000 à Taichung au centre de l'île, et 50.000 à Kaohsiung au nord du pays. Soit un total de 200.000 personnes sur les 23 millions d'habitants que compte Taiwan.
Slogans polissés, tenues uniformisées et idées rétrogrades
Comme sous l'égide de la Manif pour tous, l'organisation est bien léchée : les manifestants ont interdiction d'apporter leurs propres pancartes. Question de communication. Dans ce pays d'Asie, point de logotype sur fond rose et bleu, mais des slogans noirs sur fond blanc appelant à l'organisation d'un référendum plutôt qu'un vote au Parlement, et un dress code rigoureusement suivi : le blanc immaculé. On joue dans la standardisation. Comme chez nous, il ne faudrait pas donner de preuves d'homophobie. Pourtant, parmi les manifestants, on aurait presque l'impression d'être retourné dans les rues parisiennes de 2012.
"Nous nous opposons à ce que le mariage gay soit inscrit dans le Code civil car le système familial composé du mariage d'un homme et d'une femme est le fondement de la société. Si vous l'endommagez, alors le mariage, la famille, et la structure même de la société sera balayée" clame le porte parole de l'Alliance.
"Tout le monde a le droit d'aimer, mais il existe une manière appropriée d'aimer : on n'aime pas les animaux de la même manière qu'on aime les hommes, et l'amour d'un mari pour sa femme est différente de celui qu'on voue à ses amis" juge le secrétaire général de la Conférence épiscopale chinoise.
"Nous voulons supprimer le contenu non-traditionnel des programmes d'éducation sexuelle enseignés à l'école et qui aborde la fluidité du genre" renchérit Taiwan Family.
Pendant ce temps-là, le processus démocratique suit son cours
Une centaine de personnes aux habits colorés et équipées de rainbow flags se sont toutefois opposées à la vague blanche qui s'est déversée sur Taipei ; la police a veillé à ce que les deux groupes ne s'affrontent pas. Wu Hsin-en, une femme transgenre militant pour les droits LGBT aurait également tenté de traverser la foule en topless, mais aurait été interceptée par les forces de l'ordre. Une contre-manif pro-mariage devrait à son tour avoir lieu samedi 10 décembre.
Du côté des t-shirts blancs, on parle d'une "rainbow terror" dans les écoles et les universités qui empêche une "majorité silencieuse" de s'exprimer contre les projets de loi. Selon la députée Yu Mei-nu, le soutien au mariage pour tous est au contraire solide, tout particulièrement chez les jeunes. Fin octobre, la Gay Pride de Taipei réunissait d'ailleurs 80.000 personnes venues de Taiwan et du reste de l'Asie pour célébrer la communauté LGBT. La parade venait aussi rendre hommage à Jacques Picoux, un Français résidant à Taiwan et tombé en dépression après avoir été écarté des décisions médicales finales pour son compagnon mort du cancer ; son suicide avait fortement agité l'opinion publique en faveur du mariage pour les couples de même sexe.
Adoptés en première lecture le 17 novembre, les différents projets de loi seront à nouveau examinés par l'Assemblée le 26 décembre ; ce n'est qu'à l'issue d'une troisième lecture qu'un texte deviendra force de loi.
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