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interviewJean-Luc Romero sur la fin de vie : "Aider quelqu'un à mourir est un acte d'amour"

Par Nicolas Scheffer le 11/04/2024
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Alors que le gouvernement de Gabriel Attal a présenté son projet de loi sur la fin de vie visant à autoriser l'aide active à mourir, Jean-Luc Romero-Michel, président d'honneur de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), raconte les origines de son militantisme sur ce sujet, après la mort dans la souffrance de son compagnon victime du sida.

Accélérer la fin de vie pour éviter la souffrance. À la demande d'Emmanuel Macron, le gouvernement a présenté ce mercredi 10 avril un projet de loi visant à ouvrir la possibilité d'une "aide active à mourir". "Ce n'est pas un droit nouveau, ce n'est pas non plus une liberté", mais plutôt "une réponse éthique aux besoins d'accompagnement des malades", a déclaré Catherine Vautrin, ministre de la Santé, à la sortie du Conseil des ministres. Le projet de loi prévoit que l'aide à mourir sera déterminée par un cadre strict, réservé aux personnes majeures, résidant en France de longue date et en mesure d'exprimer clairement leur volonté. Seront éligibles à une prescription les patients atteints de souffrances intolérables et impossibles à traiter, et dont le pronostic vital est engagé à court ou moyen terme, c'est-à-dire moins de 12 mois, a précisé la ministre. Le texte sera examiné à l'Assemblée nationale à partir du 27 mai.

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Cette réforme bioéthique est portée depuis les années 1980 par l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Jean-Luc Romero-Michel, son président d'honneur, par ailleurs adjoint à la mairie de Paris en charge des discriminations, rappelle dans un livre, Le Serment de Berne, de la mort solitaire à la mort solidaire (ed. L'Archipel), à quel point ce combat est lié au militantisme contre le sida : lui-même a vu mourir son compagnon dans la douleur, sans pouvoir lui venir en aide.

  • Quand devenez-vous militant pour le droit de mourir dans la dignité ?

Jean-Luc Romero-Michel : La mort de mon compagnon, Hubert, en 1994 m'a ouvert les yeux. L'année suivante, j'ai créé l'association Élus locaux contre le sida, alors que tous les activistes mouraient les uns après les autres. Je forgeais ma conscience sur l'euthanasie, mais je n'étais pas encore militant. En 1983, l'appel de Denver [une charte du militantisme contre le sida qui fait des malades non pas des patients mais des acteurs de leur propre santé] a été capital car il posait comme base de pouvoir "mourir – et VIVRE – dans la dignité". C'est à peu près à la même époque [1980] que naît l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), car cette revendication est alors particulièrement stigmatisée.

  • Comment aviez-vous rencontré Hubert ?

En 1983, j'avais 24 ans, nos regards se sont croisés au Bar homosexuel, c'était un coup de foudre total. Hubert : grand brun toujours en veste de cuir, jean et tee-shirt blanc… On s'est observés de loin pendant plusieurs jours, et il m'a finalement adressé la parole avec son accent alsacien sexy et m'a proposé d'aller chez lui. Je suis immédiatement tombé amoureux. C'était passionnel, on s'appelait dix fois par jour, c'était quelqu'un avec énormément de charisme, beaucoup plus mature que moi.

  • Comment avez-vous appris qu'il était porteur du VIH ?

Il avait souvent des pépins de santé, mais il me disait qu'il avait fait un test VIH qui lui était revenu négatif. En réalité, comme beaucoup à cette période – et toujours aujourd'hui –, il était mort de trouille à l'idée de faire ce test qu'il n'avait jamais fait. Il a fui le virus jusqu'à être victime d'une pneumocystose, une infection opportuniste qui touche les personnes immunodéprimées. Finalement, c'est à l'hôpital qu'il a été détecté séropositif. J'ai dû appeler ses parents, qui ne savaient pas qu'il était gay et encore moins qu'il était séropositif.

“Aider quelqu'un à mourir est un acte d'amour.”

  • Hubert vit avec le VIH pendant 18 mois avant que sa santé ne décline fortement. Comment se sont passés les derniers moments ?

Alors que je le suppliais de ne pas le faire, Hubert est allé fin 1993 en Alsace, auprès de sa famille, qui s'occupait de lui malgré un énorme tabou sur le fait qu'il était malade du sida. Il a été opéré des yeux dix jours avant sa mort, les médecins étaient persuadés que ça ne lui occasionnerait que des souffrances inutiles mais sa famille insistait, et lui-même ne voulait pas leur faire de peine. Je suis venu le voir, comme chaque semaine, le dernier week-end avant qu'il ne meure le lundi.

La souffrance lui faisait dire des horreurs, lui qui était d'habitude si gentil. Il me hurlait de lui procurer de la morphine, sachant très bien que cela le tuerait, et je suppliais les infirmiers et les médecins de lui en fournir. Mais ils refusaient, arguant qu'ils ne pouvaient pas précipiter sa fin. Tout le monde savait qu'il allait mourir quelques heures plus tard dans une souffrance incommensurable, mais personne n'acceptait de le soulager. J'étais en colère et dans l'incompréhension la plus totale qu'on refuse de lui apporter une telle aide.

  • Vous êtes-vous posé la question de l'aider vous-même à mourir ?

Bien sûr que je me suis posé la question. Je lui lisais des poèmes de l'anthologie de Georges Pompidou et il a réussi à s'endormir, ce qui ne l'empêchait pas de pousser des râles de douleur, j'ai alors pensé à utiliser un oreiller comme dans le film Plaire, aimer et courir vite, de Christophe Honoré, mais je n'y arrivais pas, j'étais trop lâche ou trop jeune pour le faire. Je me sentais coupable ne serait-ce que d'y penser. Aujourd'hui, je suis persuadé qu'aider quelqu'un à mourir est un acte d'amour.

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Crédit photo : Amaury Cornu / Hans Lucas.

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