Condamnée en première et en seconde instances, Christine Boutin échappe finalement à une condamnation pour "incitation à la haine", après avoir pourtant publiquement qualifié l’homosexualité d’"abomination". Peut-on en tirer des enseignements face à de futures sorties homophobes ?
La décision clôt deux ans de bataille judiciaire. En 2014, Christine Boutin, ex-présidente du Parti chrétien-démocrate, ex-ministre du Logement et de la Famille sous Nicolas Sarkozy et ex-députée des Yvelines, déclarait à la revue Charles que "l’homosexualité est une abomination. Mais pas la personne." Brandissant le vocabulaire biblique et défendant qu’elle distingue le comportement homosexuel de l’orientation sexuelle, elle fut condamnée par le tribunal correctionnel de Paris pour "incitation à la haine" en décembre 2015, la Cour retenant notamment "l’extrême violence" contenue dans le terme abomination. La décision est assortie d’une amende de 5.000 euros et de 5.000 euros en dommages et intérêts pour les associations Mousse, Le Refuge et Inter-LGBT, constituées partie civile, peine confirmée en appel un an plus tard. Or, la Cour de cassation vient de renverser cette condamnation historique.
"Outrageants" mais pas menaçants
"Le propos incriminé, s’il est outrageant, ne contient néanmoins pas, même sous une forme implicite, d’appel ou d’exhortation à la haine ou à la violence à l’égard des personnes homosexuelles", ont considéré, ce mardi 9 janvier, les juges de la plus haute juridiction française, annulant les précédentes condamnations. En d'autres termes, ces propos sont susceptibles de constituer une injure mais n'encouragent pas autrui à la violence contre les homosexuels.
L’arrêt confirme le scénario catastrophe imaginé par SOS homophobie à l’époque. "On s’était abstenus de porter plainte pour éviter que la Justice ne la blanchisse, se remémore Joël Deumier, le président de l’association. Les propos restent et la personne s’en tire. C’est une catastrophe." Sur les conseils de l’avocate Me Caroline Mécary, l’association avait en effet estimé que la sortie de l’ex-ministre ne réunissait par toutes les conditions pour être retenue comme une incitation à la haine, et SOS homophobie s’était contentée d’une condamnation morale.
Le serpent qui se mord la queue
"Pour gagner, les associations auraient dû agir sur le fondement de l’injure et non sur celui de l’appel à la haine", convient quand à lui Me Étienne Deshoulières, avocat de Mousse, dont la plainte pour injure n'avait pourtant pas été jugée recevable par le Parquet. L'association s'était alors rangée derrière l'Inter-LGBT, mais la conclusion de ce 9 janvier la surprend beaucoup. "L'arrêt de la Cour d'appel avait pris soin d'en mettre des tartines, spécifie Me Deshoulières, insistant sur le fait que, dans le contexte biblique, le terme d'abomination relève d'un appel très clair au meurtre."
Lui qui saluait la condamnation de Christine Boutin comme la fin des propos homophobes couverts par le discours religieux, et même la fin des réputations politiques construites sur des positions homophobes, accuse le coup."Même les conclusions du rapporteur public de la Cour de cassation allaient dans notre sens, et celles-ci sont suivies par la Cour de cassation dans 80% des cas." Or, "historiquement, les associations LGBT ont un mauvais précédent avec la Cour de cassation", nous prédisait-il déjà fin 2016.
En 2014, les poursuites contre l’ancien député Christian Vanneste avaient ainsi fait chou blanc. Déclarant que l’homosexualité serait inférieure à l’hétérosexualité, ce dernier avait été condamné en première puis en seconde instances, avant d’être relaxé en cassation. C'est cette fois-ci le motif de l'injure qui avait été retenu par les militant·es, mais les juges de la Cour de cassation avaient réfuté ce chef d'accusation et déterminé que les propos de Christian Vanneste auraient toutefois pu constituer une incitation à la haine… induisant les associations LGBT à suivre cette piste face Christine Boutin la même année.
"L'arrêt de la Cour de cassation ne remet rien en cause", défend malgré tout Joël Deumier. Selon lui, elle incite même l’association SOS homophobie à "redoubler d’effort pour condamner ce genre de propos à l’avenir et à agir en justice."