Un millier de personnes se sont rassemblées pour la Marche des fiertés à Istanbul, dimanche 1er juillet 2018. Activistes, anonymes... Tous ont bravé l'interdiction des autorités locales, quitte à risquer l'emprisonnement ou les blessures, pour défendre leurs droits, fièrement. Levent Pişkin, avocat et militant LGBT+ turc, y était. Il témoigne.
Il aura fallu converser pendant deux jours sur l'application Whatsapp pour comprendre ce qu'il est arrivé à Levent Pişkin, dimanche 1er juillet 2018, dans le quartier Taksim, à Istanbul. Le jeune avocat, militant LGBT+, est difficilement joignable. Il ne répond pas aux appels et envoie des messages, par à-coups et plutôt tard le soir. « La police m'a attaqué », nous lâche-t-il entre deux phrases, avant d'ajouter : « Ma jambe est blessée. Les policiers m'ont délibérément frappé et je suis tombé à terre. »
« Ce n'était pas une marche »
Avocat de l'association LGBT+ Kaos GL (Kaos gay and lesbien cultural research and solidarity association), Levent se rend à la Pride d'Istanbul tous les ans depuis 2012. « Je ne peux pas dire que c'était une marche des Fiertés car nous n'avons pas marché », précise-t-il.
Grâce à des négociations entre le comité de la Marche des fiertés d'Istanbul et la police, une centaine de personnes a pu se réunir sur la place Taksim, centre névralgique de la capitale turque. Elles ont lu « à chaque coins de la place » un communiqué de presse, dans lequel elles ont fièrement clamé leur droit à marcher, leur droit d'exister.
« Je ne me sentais pas en danger »
Comme tous les ans depuis 2014, la Marche des fiertés turque est le théâtre de violentes répressions policières. Entre balles en caoutchouc, gaz lacrymogène et canons à eau, certains activistes comme Levent savent à quoi s'attendre : « Je ne me sentais pas en danger. Mais plusieurs activistes et anonymes que je connais ne sont pas venus à la marche car, eux, se sentaient en danger.» Cette année, ils étaient près de 1000 à braver les interdictions de réunion et à se réunir dans la rue parallèle à la rue Istiklal. Un symbole pour la communauté, puisqu'elle abrite de nombreux bars et lieux de vie LGBT+.
« Il n'y avait aucun moyen d'aller dans la rue Istiklal, tout était quadrillé. Alors on a été dans la rue parallèle, où on aura eu 30 secondes de répit avant que la police ne se mette à nous disperser. C'est là que les violences se sont accrues. Certains policiers sont venus accompagnés de chiens. »
Pour illustrer ses propos, l'opposant au gouvernement nous envoie le lien d'une vidéo sur le site de la BBC. On l'aperçoit à 1,33 minute avec le tee-shirt blanc avant de se faire violemment agresser par les forces de l'ordre.
« Je boitais pendant trois jours. Aujourd'hui, ma jambe va un peu mieux. »
Chaque année c'est la même rengaine. Celui qui a déjà connu les geôles turques pour son activisme sait qu'il risque la prison. Cette fois, il n'échappe pas à la règle. Onze personnes ont été embarquées, puis placées en garde à vue, selon Andrew Gardner d'Amnesty International. « Les forces de l'ordre les ont attaqués puis embarqués, juste parce qu'ils étaient là », nous explique l'avocat avant de préciser : « Tous ont été relâchés peu avant deux heures du matin, après 8 heures de garde à vue ».
« Je ne connais qu'une seule chose : la lutte »
Pour lui comme pour les militant.e.s LGBT+ en Turquie, de telles actions ont une importance particulière. « L'oppression envers notre communauté augmente de jour en jour. C'est pourquoi ces moments sont cruciaux, non seulement pour montrer au gouvernement d'Erdogan que nous ne comptons pas faiblir. Mais également pour passer un message hors de nos frontières, et tout particulièrement aux pays musulmans : nous, personnes LGBT+, nous battons fièrement, et le ferons tant qu'il le faudra. Personne ne pourra nous empêcher d'exister. »
Cet avocat, spécialiste des droits humains, a fait de sa vie un combat. Professionnellement, il met ses compétences à disposition de l'une des plus grosses associations de défense des droits LGBT+ en Turquie. Quand on lui demande s'il sera présent à la Pride l'année prochaine, on se doute déjà de sa réponse. Il nous répond :
« Je suis un activiste. Donc en tant qu'activiste, je ne connais qu'une seule chose : la lutte. Bien évidemment, je continuerai à défendre mes camarades et nos droits. »
Crédit photo : Levent Pişkin.