Biggie est Ougandaise. Elle est aussi lesbienne. Cette jeune femme de 35 ans a parcouru plusieurs milliers de kilomètres pour venir participer aux Gay Games, à Paris. Pour TÊTU, elle revient sur son histoire, son parcours militant et les difficultés à dire son homosexualité dans son pays.
Un cri retentit, ce lundi 6 août, dans le vaste (et bruyant) bowling de la porte de la Chapelle, à Paris : « STRIKE ». Toutes les quilles ont été balayées. Biggie* vient de faire gagner son équipe.
La jeune femme de 35 ans est venue d'Ouganda pour participer aux Gay Games, qui se tiennent à Paris jusqu'au 12 août. « Je suis plutôt adepte du rugby, mais les épreuves ont été annulées et je me suis dit que le bowling c'était fun et original ». Un choix de dernière minute qui n'a pas suffi à déstabiliser la joueuse ougandaise qui a récolté les éloges de son équipe.
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« Je ne pouvais pas ne pas être là »
A l'écart de l'agitation qui règne dans ce grand hangar, Biggie, habillée d'un short en jean et d'un t-shirt affublé de palmiers, nous raconte pourquoi elle a décidé de participer.
« Je suis une femme, je suis féministe, je suis lesbienne et je suis passionnée de sport. Je n'étais pas venue pour les éditions précédentes et j'ai eu le sentiment de passer à côté d'une formidable opportunité de rencontrer d'autres sportifs LGBT. Je ne pouvais pas ne pas être là. »
Si elle peut parler librement de son orientation sexuelle en France, c'est bien plus dangereux dans son pays, l'Ouganda. « Ici, je peux crier dans la rue que je suis lesbienne, personne ne me dira rien. Si je fais ça en Ouganda, je peux passer 14 ans en prison. »
Malgré l’abandon en 2013 d’une loi extrêmement homophobe, qui prévoyait la peine de prison à vie et poussait à la délation, l’homosexualité est toujours passible de prison dans ce pays d'Afrique de l'Est.
Une militante à ses risques et périls
Assise sur un petit morceau de pelouse coincé entre le périphérique et le bowling, Biggie évoque avec humilité son histoire. La jeune femme a eu pour la première fois des sentiments à l'égard d'une femme à l'âge de sept ans et a su qu'elle était lesbienne sept ans plus tard. « C'était compliqué pour moi. On avait très peu d'informations sur l'homosexualité. »
En 2003, elle prend part à la création de 'Freedom and Roam Uganda' (FARUG), une association qui vient en aide aux femmes LBQ (lesbiennes, bies et queers), dans la ville de Kampala, où elle réside. Militante de la première heure, elle s'engage de plus en plus au sein du mouvement. Mais en 2011, un terrible fait divers la bouleverse. David Kato, un militant des droits LGBTQI+ est assassiné à son domicile.
« Cela m'a terrorisée, tremble-t-elle encore. J'ai eu peur pour ma vie, peur pour mes proches. » Les mois suivants le drame, la jeune femme est contrainte de déménager une dizaine de fois pour sa sécurité. « Un jour, j'ai dû changer de domicile car un homme avait menacé de me violer pour m'apprendre ce que c'est que d'être une femme. »
« Parfois vous avez peur, parfois vous n'en avez rien à faire »
Les mains croisées, le regard perdu dans le vide, elle nous confie aussi ses instants de doute.
« Parfois vous voulez crier sur tous les toits que vous aimez les femmes, parfois vous taire. Parfois vous avez peur pour votre vie, parfois vous n'en avez rien à faire. »
Aujourd'hui à la tête de FARUG, elle se bat pour faire avancer la cause des personnes LGBTQI+ en Ouganda. Non sans difficulté. « Le gouvernement sait que notre association existe, mais nous n'avons pas de plaque avec notre nom sur la porte. Ce serait trop dangereux. »
« Si je pars, qui va aider les autres femmes comme moi ? »
Récemment, l'histoire de Val Kalende, une militante lesbienne ougandaise repentie, l'a particulièrement choquée. « Val invoque Dieu pour justifier sa décision, mais moi aussi je suis catholique pratiquante et je sais que Dieu aime tous ses enfants, même si, je le reconnais, le chemin est long pour accepter que l'on n'est pas un pêcheur et que Dieu nous aime. »
Biggie, dans un timide sourire, confie être en couple avec sa compagne depuis six ans. « Si nous sommes ensemble en privé, nous ne sommes que des amies aux yeux de la société », regrette la jeune femme. Bien qu'elle vive en partie cachée, qu'elle soit soumise aux pressions, sujette à la violence, la jeune femme refuse de quitter son pays.
« Si je pars, qui va aider les autres femmes comme moi ? Qui va aider celles qui ne peuvent pas partir ? Fuir n'est pas la solution. Je dois rester jusqu'à ce que les LGBTQI+ soient tous en sécurité. Je sais qu'il y a de l'espoir. »
*Nous utilisons son surnom à sa demande.
Crédit photo : Youen Tanguy/DR.