Dimanche 19 août 2018, Lucy Clark, 45 ans, est devenue la première femme transgenre à arbitrer un match semi-professionnel de football au Royaume-Uni. Une histoire comme il y en a encore trop peu dans le monde du sport, positive et inspirante. Pour TÊTU, l'arbitre, chauffeure de taxi de profession, revient sur ce match pas comme les autres ainsi que sur sa transition.
« Quand je me suis retrouvée sur le terrain pour le début du match, dimanche 19 août 2018, plus rien n'existait. J'étais concentrée, comme pour la centaine de rencontres que j'ai pu arbitrer dans ma vie. Mais celle-ci était différente. C'était la première fois où j'ai été complètement moi-même : Lucy Clark, une femme arbitre qui a toujours aimé le football.
« Le football m'a gardée en vie »
Le football a toujours fait partie de ma vie. J'ai me suis jetée corps et âme dedans quand j'étais enfant, en tant que joueuse dans un club local de la banlieue de Londres. Je me suis toujours sentie libre sur le terrain, c'était ma bulle d'air, ma zone de confort. C'était le seul moment où j'étais vraiment heureuse. J'irais même jusqu'à dire que le football m'a gardée en vie.
Surtout, ce sport m'a permis de me concentrer sur une chose et d'oublier tout ce qu'il se passait dans ma tête et que j'ai toujours su : je suis née avec des attributs masculins, mais je suis en réalité une femme. En jouant, j'étais juste moi, Lucy, les crampons vissés aux pieds, dans un corps d'homme sur le gazon. À l'âge de 14 ans, j'ai arbitré mon premier match. J'ai continué de pratiquer le football en tant que joueuse et je me suis réellement tournée vers l'arbitrage à l'âge de 30 ans, pour des matchs de troisième division. Cette passion ne m'a jamais quittée.
« Je me suis retrouvée face à un dilemme »
J'ai commencé ma transition il y a trois ans. À ce moment-là, je me suis retrouvée face à un dilemme. D'un côté, arrêter l'arbitrage et continuer ma transition sans risquer d'être discriminée. De l'autre, continuer de faire ce que j'aime, tout en sachant que le fait que je sois une femme transgenre serait automatiquement repris dans la presse. Que je pourrais devenir une sorte de bête de foire.
J'ai eu de la chance d'avoir ma femme, April, qui a été extraordinairement présente, aimante et qui m'a toujours soutenue. Elle m'a vivement encouragée à continuer à pratiquer ma passion en toutes circonstances. Et ses mots ont raisonné ! Je me suis demandé au nom de quoi je devrais abandonner quelque chose que j'aime parce que je suis une femme transgenre. Personne ne devrait laisser tomber une passion à cause de son identité de genre ou de son orientation sexuelle.
J'ai par la suite rencontré Kelly Maloney, une femme transgenre, manageuse d'athlètes boxeurs. C'était quelques temps avant d'arbitrer mon premier match en tant que personne trans'. Elle m'a conseillé de parler à la presse avant que mon histoire ne soit reprise par des personnes mal intentionnées. C'est ainsi que je me suis retrouvée en une du Sunday Mirror (l'édition du dimanche du Daily Mirror ndr) le jour du match !
« La meilleure arbitre qu'on a jamais eue »
Le jour J est arrivé. J'étais forcément un peu plus nerveuse que d'habitude. En temps normal, je suis juste une arbitre, en retrait sur le terrain. Personne ne me remarque, je fais ce que je dois faire. Mais ce dimanche 19 août, je savais que j'étais en Une dans un journal national, que mon histoire serait mise en avant dans la presse, que beaucoup de personnes la liraient. Je me suis demandé ce qu'allaient penser les gens, s'ils n'avaient pas des idées préconçues sur les personnes transgenres. Je ne savais pas comment les joueuses et le public allaient réagir. C'était une source d'angoisse.
Une fois sur le terrain, c'était un peu comme une journée normale au bureau : j'ai arbitré ce match comme tous les autres. J'étais dans l'adrénaline, concentrée sur ce que je faisais. À la fin, les joueuses sont venues me voir et m'ont fait le plus beau compliment. J'étais pour elles la meilleure arbitre qu'elles n'avaient jamais eues ! J'étais soulagée que le match ce soit bien passé, mais surtout, j'étais comblée d'être enfin acceptée telle que je suis. J'ai vécu ce jour comme un nouveau départ. Une sensation de bien-être unique.
Ouvrir la voie
Si je l'ai fait, c'est pour moi mais aussi pour les autres. En étant la première arbitre trans', je pense que j'ai d'une certaine façon ouvert la voie. Je veux que cette histoire ait un impact positif dans mon pays, pour que les personnes de la communauté LGBT+ qui sont investies dans le sport, et pas uniquement le football, n'abandonnent pas parce qu'elles ont peur de ne pas être acceptées telles qu'elles sont. Je veux que ces personnes se disent que si j'ai pu le faire, elles aussi le peuvent.
Mon souhait le plus profond est que, dans les années à venir, des histoires comme la mienne ne fassent plus la Une des journaux, mais soient simplement la norme. Que les gens voient les arbitres transgenres tout comme les arbitres et les joueurs de football homosexuels, uniquement comme de bons joueurs. »
Propos recueillis par Marion Chatelin.
Crédit Photo : Steve Bainbridge.