justiceLa justice refuse que leur garçon s'appelle Ambre : "On se demande si un couple hétéro aurait subi ça"

Par Youen Tanguy le 12/09/2018
Ambre

Alors que le juge aux Affaires familiales avait donné son accord pour que le garçon d'Alice et son épouse se prénomme Ambre, le parquet de Lorient a fait appel fin juillet. Une décision qui interroge et inquiète les deux femmes.

"C'est déjà le parcours du combattant pour un couple homo d'avoir un enfant, mais là on a l'impression que c'est de l'acharnement." Alice est en colère. Depuis le mois de janvier dernier, elle et son épouse sont aux prises avec la justice à cause du prénom qu'elles souhaitent donner à  leur garçon : Ambre.

A la naissance de l'enfant, en janvier 2019, l'officier d'état civil prévient les deux jeunes femmes : il va faire un signalement auprès du procureur de la République car il juge que ce prénom est féminin. "Trois semaines après, on a reçu un huissier chez nous et une assignation au tribunal", explique Alice à TÊTU.

« Personne n'y s'attendait »

Le jugement se tient en juillet devant la chambre des affaires familiales du tribunal de grande instance de Lorient, et donne raison au couple. Mais, surprise, le parquet de Lorient fait appel de la décision le 30 juillet dernier, comme le révélait France Bleu Breizh Izel"Personne ne s'y attendait", se remémore Alice. C'était l'incompréhension totale."

A partir de là, les deux jeunes femmes s'interrogent sur les motivations. Et d'ajouter : "On se demande si un couple hétéro aurait subi ça."

Un post-it douteux

Un élément en particulier vient appuyer leurs doutes. Sur la photocopie de la déclaration de naissance du petit garçon transmise à la procureure de la République de Lorient, et que TÊTU a pu consulter, on distingue clairement un post-it en bas à gauche. Il y est écrit : "Couple féminin marié - Le bébé est bien un garçon - Prénom = AMBRE Vu avec Elisabete le 09/01/2018". Ce message informatif est accompagné d'une signature.

"Il s'agit manifestement d'un post-it oublié", croit savoir l'avocate d'Alice, Me Catherine Corfmat. "On a été très surprises, ajoute Alice. Ça n'avait pas lieu d'être annoté et c'est même assez discriminatoire". 

« Notre schéma familial dérange »

Le fait qu'il s'agisse d'une famille homoparentale a-t-il influencé la décision de la procureure ? Alice et son épouse en sont quasiment sûres : "On a le sentiment que notre dossier est entre les mains d’une personne que notre schéma familial dérange et qui s'obstine. Et en 2018, en France, je trouve ça triste."

Leur avocate se veut plus prudente et note que la procureure ne fait pas mention du schéma familial des deux mamans dans ses conclusions et juge simplement que le prénom Ambre est uniquement féminin et que l'utiliser pour un garçon serait contraire à l'intérêt de l'enfant. "Ces demandes sont-elles en train de se multiplier ? Veulent-ils montrer l'exemple avec ce dossier et créer une jurisprudence ?, s'interroge-t-elle. Je l'ignore."

Me Corfmat est en revanche convaincue d'une chose : le signalement à l'origine de tout ça, celui de l'officier d'état civil, est, lui, lié à la situation familiale d'Alice et son épouse. "C’est a minima interpellant, venant d'une municipalité, lance-t-elle. On ne peux pas empêcher les gens de penser ce qu’ils veulent, mais une loi - le mariage pour tous - a été votée et l'on ne doit pas remettre en cause des dispositions législatives."

Des conséquences bien réelles

Toutes ces démarches judiciaires ont des conséquences bien réelles pour les deux jeunes femmes et Ambre, aujourd'hui âgé de huit mois. "Il commence à répondre son prénom. C'est impensable d'imaginer devoir changer dans quelques mois." Autres problèmes : les jeunes femmes n'ont pas pu récupérer le livret de famille ni entamer les démarches d'adoption pour l'épouse d'Alice à cause de la procédure judiciaire en cours.

Les jeunes femmes sont aussi victimes d'homophobie depuis la médiatisation de cette affaire. "Avant de savoir que l'on était un couple de femmes, beaucoup de personnes nous soutenaient dans le choix d'un prénom mixte, mais depuis, on a découvert sous les articles de presse des commentaires haineux."

Alice se veut malgré tout positive et veut envoyer un message d'espoir : "A part ça tout va bien et nous sommes très heureux tous les trois". L'audience en appel devrait se tenir l'année prochaine devant la 6ème chambre de la Cour d'appel de Rennes.

Sollicité par TÊTU, le parquet de Lorient n'avait pas encore répondu à nos sollicitations ce mercredi 12 septembre.

 

Crédit photo : Patricia de Melo Moreira / AFP.