cinéma"Climax" de Gaspar Noé, enfer ou extase ?

Par Renan Cros le 18/09/2018
Gaspar Noé cinéma

Avec "Climax", le cinéaste franco-argentin Gaspar Noé signe un huis-clos fou furieux sur fond de voguing, de drogue et de cannibalisme. Avec, en prime, les débuts au cinéma du chanteur et DJ Kiddy Smile. Faut-il y aller ou pas ? TÊTU tranche la question.

Peut-on vraiment conseiller un film de Gaspar Noé ? Oui et non. C’est un peu comme si on vous conseillait un détartrage. C’est désagréable, inconfortable pendant et après mais on finit par se sentir mieux. Estampillé sale gosse du cinéma français depuis les séances houleuses de Seul contre tous et d'Irréversible à Cannes, Noé est bien plus qu’un agitateur provoc'. C’est un esthète, un vrai.

Peu de cinéastes peuvent prétendre avoir une telle maîtrise, une telle ampleur et ambition cinématographique que le cinéaste d’Enter the Void. Spectaculaire, voire carrément pyrotechnique, le cinéma de Noé cherche à nous griller les neurones pour mieux nous faire exploser la rétine. Climax, son nouveau long métrage, ne déroge pas à la règle. Vous êtes prévenus.

"Climax" de Gaspar Noé
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Film d’horreur dansé

En apparence moins sulfureux que Love, son porno déprimé en 3D, le nouveau Noé propose une expérience tout aussi radicale, tout aussi physique…et tout aussi pessimiste. Premier « film d’horreur dansé » de l’histoire du cinéma, Climax filme l’énergie dingue des corps dansants, le désir qui circule, la liberté du mouvement, jusqu’à la transe incontrôlée, incontrôlable.

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Dans un chalet isolé du monde, une troupe de danseur (feat, entre autre, la géniale Sofia Boutella, nouvelle icône pop, et le roi du voguing Kiddy Smile) célèbre la fin de leurs répétitions par une petite fête improvisée. Sur des airs éléctro-disco dingo (le remix de Supernature de Cerrone, tube de l’hiver) les corps s’emboitent et se déboitent en rythme, mélangent krump et voguing, break dance et poses lascives jusqu’à l’orgasme chorégraphique.

Sauf que la petite mort se transforme en un bad trip dantesque à cause d’une sangria empoisonnée au LSD. A partir de là, le film implose et déverse en nous des images tordues, inquiétantes, voire vraiment dérangeantes où les corps extatiques "trippent" jusqu’à l’horreur. Tandis que les esprits semblent divaguer, le spectateur reste cloué au sol, au raz des corps qui convulsent. Grâce à la magie noire du chef opérateur Benoit Debbie (génie, pur), Noé compose des images impossibles à oublier, des tableaux d’horreur totale à mi-chemin entre un clip et une œuvre de Jérôme Bosch.

Climax de Gaspar Noé
"Climax": Enfer ou extase ?

Expérience hardcore

Reste l’épineuse question du propos du film. Il faudra bien finir par admettre : Gaspar Noé n’a rien à dire. Et tant mieux, peut-être. L’expérience hardcore se suffit à elle-même. On peut être parfois agacé par le mauvais esprit du réalisateur et ses petites provocations habituelles pour « choquer le bourgeois ». Son talent indéniable vaut mieux que ça. D’ordinaire très straight, son cinéma s’ouvre ici aux figures queer avec plus ou moins de nuances.

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On sent bien Noé complètement fasciné par sa bande de performers LGBTQ et l’énergie folle qu’elle dégage à l’écran. Il a raison, ils sont géniaux. De véritables corps de cinéma qui ouvrent le regard. Mais il ne peut s’empêcher de transformer cette admiration en crainte, en inquiétude, comme si la liberté extrême de ces artistes là le renvoyait à ses limites émotionnelles et artistiques.

À tout instant, on se dit que Climax pourrait se vautrer dans l’excès gratuit, la provoc' fastoche, la scène de trop. Ça tient en partie beaucoup à la capacité et à la volonté du spectateur de se laisser maltraiter ou non par Noé. Fou, furieux, revigorant et éreintant, "Climax" décape. Du cinéma-peeling façon coup de boule esthétique.

"Climax" de Gaspar Noé, avec Sofia Boutella, Romain Guillermic et Kiddy Smile. En salles le 19 septembre.

Renan Cros