Après avoir mis le feu à l'Elysée (et aux réseaux sociaux), le kid de Rambouillet revient à l'essentiel : la musique. Kiddy Smile, de son vrai Pierre-Edouard Hache, sort son premier album ce vendredi 31 août. Sur One Trick Pony, il cultive son amour sincère de la house et pousse sa voix chaude et grave pour parler de coming-out, de déception amoureuse, de pénis et de fessées. TÊTU a retrouvé le chanteur, vogueur, DJ producteur — et dorénavant acteur — dans un hôtel ultra-bobo du Xe arrondissement de Paris. Au passage, le musicien décoche une nouvelle batterie de scuds qui, encore une fois, ne vont pas plaire à tout le monde...
TÊTU : Peux-tu nous parler de la genèse de ce premier album ?
On a commencé à travailler sur l'album il y a deux ans, fin 2017. J’ai eu de bons retours sur Let a Bitch Know (sorti en juillet 2016). On s’est dit que ça valait peut-être la peine de faire quelque chose de plus long que juste un EP. On a commencé par faire les trucs que je savais faire : une musique très club, très house. Humblement, je veux essayer de faire revenir la house music dans le top 50. Comme à la grande époque de « Show Me Love » de Robin S (1990) ou du « Good Life » de Inner City (1989). Mais on a essayé d'écrire des chansons qui pourraient vivre au-delà de ce style musical.
Avec qui as-tu collaboré ?
Les amis : Boston Bun, Julien Galner et Too Smooth Christ. J’avais déjà travaillé avec eux, mais sur cet album je voulais déléguer la production à des gens qui savent mieux le faire que moi pour me concentrer sur les chansons. Je me suis entouré de Rouge Mary, Hercules & Love Affair et Richard Kennedy. Mais je ne leur ai pas trop laissé de marge de manoeuvre sur l’écriture... (rires).
Comment composes-tu?
C'est un processus un peu pénible pour moi. En général, je pars d'une mélodie. Je ne suis pas quelqu'un qui prend un cahier et écrit. Je me parle beaucoup à moi-même. Je reste dans mes pensées. Je n'accorde pas une grande importance à ma propre opinion. Du coup, écrire et relire mes textes me fait me sentir un peu stupide. Comme si j'avais écrit une lettre d’amour et que l’on me demandait de la lire devant tout le monde.
Sur l'album, ta voix est beaucoup plus ample, plus soul que sur tes précédentes productions. Tu peux nous l'avouer, tu as pris des cours des chant, non ?
En effet. Je m'étais déjà un peu essayé au chant auparavant. Notamment sur « Enough of You ». mais je ne le faisais pas particulièrement dans mes projets. Cette fois, j'ai voulu affirmer ma position de chanteur. Si je continuais à être présenté comme un simple producteur/DJ, ça n'avait pas de sens que je me retrouve derrière un micro. J'avais envie de jouer cet album sur scène. Je ne voulais pas d'un live basé sur des machines alors que je me suis concentré à écrire des chansons.
C'est un disque assez intime. Tu parles beaucoup de toi sur des titres comme « Movin On Now » et « Be Honest ». Qu'est-ce que tu as cherché à dire avec cet album ?
C’est un disque-journal intime. Dans mes chansons, je raconte le quotidien d’un garçon de couleur et homosexuel. Et le chemin qu’il m’a fallu parcourir pour m’assumer et devenir qui je suis aujourd’hui. Ça parle pêle-mêle d’amitiés dévastées, de l’acceptation de soi, d’amour non-réciproque, de la taille des pénis... De fessées aussi, énormément de fessées ! Bref, je parle de sujets assez importants et de choses plus légères. « Be Honest » par exemple parle du coming-out. Et pas forcément un coming-out de sexualité. Beaucoup de gens ne vivent pas dans la vérité et sont dans le déni de ce qu’ils sont. Je voulais leur dire : « Assume ! Prends conscience de tes actions et de ce que ça dit de toi ! ».
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C'est un disque personnel, mais par définition aussi politique, non ?
Je trouve ça drôle que tous les journalistes me disent que mon album est politique. J'y parle de ma vie, pas de ce qui se passe en Afghanistan ! (rires) En fait, j'évite de parler de situations qui ne me concernent pas ou de choses qui ne me soient pas arrivées. C’est bizarre que les gens perçoivent cela comme « politique » quand moi je considère cela comme totalement égoïste. Mais j’ai conscience que mon existence est politique. Comme on est dans une société raciste et homophobe, lorsque je parle de ma vie, qui englobe ma couleur de peau et ma sexualité, il y aura forcément cet aspect politique.
Mais ta performance à l'Elysée pour la Fête de la musique était un acte politique...
Je voulais donner mon opinion sur une plate-forme importante et qui allait toucher beaucoup de gens. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai mis mon t-shirt « Fils d'immigrés, noir et pédé ». Des photos ont été prises à ma sortie de scène, mais l'Elysée n'a rien publié. Car ils ne pouvaient pas. Et c’était ça mon but. Je ne voulais pas être instrumentalisé et personne ne pourra considérer ma venue là-bas comme une validation de la politique de Macron.
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Comment as-tu réagi lorsqu'on t'a demandé de te produire à l'Elysée ?
J’étais ici (à l’hôtel Grand Amour dans le Xe arrondissement). On m'a dit : « Viens, on fait un truc le 21 juin à l’Elysée, c’est la première fois qu’il va y avoir de la musique électronique là-bas ! ». Au départ, j'ai pas trop compris mais j'ai dit « ok ». Plus tard, mon management est revenu vers moi et me dit que « Macron sera peut- être là ». Evidemment, j'éclate de rire. La fille qui m'annonce ça au téléphone était une stagiaire, je l’ai prise de haut en lui disant : « Tu confondrais pas, l’Elysée, le palais présidentiel, avec la salle de concert, l’Elysée Montmartre ? ». Et là elle me dit : « Ah non ! Je sais très bien de quoi tu parles, sauf que là on vient de passer 1h30 avec les services de sécurité de l’Elysée ! ».
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Tu as cru que tu allais jouer à l'Elysée Montmartre ?
Totalement ! (rires). Ma mère m'a dit que la raison pour laquelle je ne pouvais pas y croire, c'est parce que je n'avais jamais vu quelqu'un comme moi là-bas et que c'est pour ça que je devais y aller. Pour moi, pouvoir montrer aux gens qu'ils peuvent faire des choses qu'ils croient impossibles était beaucoup plus important qu’un pinkwashing qui allait durer deux semaines.
Justement, comment as-tu vécu les attaques qui t'ont accusé de servir de caution au pinkwashing de la politique du gouvernement ?
Ça a été problématique que j'aille à l'Elysée, avant même que je ne m'y produise. Plusieurs personnes, notamment de la communauté LGBT, pensaient que c'était du pinkwashing. Comme si j’étais teubé (sic) et que je n’étais pas au courant de ce qui se passe ! Les gens qui ne voulaient pas que j'y aille étaient tous blancs, beaucoup étaient des militants LGBT. On disait de moi que j'étais un « collabo » , un « nazi », que je faisais ça « pour l'argent », que je n'avais « aucune intégrité ». C'était horrible d'entendre tout ça. C'était comme si je venais de me faire plaquer par mon mec. Je me suis rendu compte que je ne faisais partie de leur communauté que lorsque je servais leurs intérêts.
Qu'est-ce qui t'a fait le plus de mal finalement ? Les critiques émanant de la communauté LGBT ou les commentaires de la fachosphère ?
Ce que j'ai lu avant m'a fait beaucoup plus de mal que la fachosphère. Eux, ils font ce qu'ils savent faire, c'est à dire la haine. Mais les autres... On est censés être dans la même communauté ! Quelques semaines plus tôt, vous m'adoriez ! Vous trouviez que j'avais beaucoup de principes et vous aviez confiance en mon jugement ! J’ai dû mettre dans la balance la récupération politique ou le poids de la représentation. Et si pour vous, le fait que votre mouvement soit récupéré est plus important que des petits homosexuels de couleur puissent se reconnaitre dans cette performance et se voir enfin dans un lieu de pouvoir, alors tant pis ! Bref, tout ça m’a atteint d'une façon à laquelle je ne m'attendais pas...
C'est-à-dire ?
Cette semaine-là, j’ai commencé à avoir quelques problèmes de santé. Je tombais souvent dans les pommes. Mon médecin m'a dit que c'était sûrement lié à mon actualité. Que j'étais soumis à beaucoup de stress et que j'avais besoin de repos. Pourtant, j'ai une santé solide.
On te sent très remonté vis-à-vis de la communauté LGBT...
À l’intérieur d’une même communauté, certains ont plus de privilèges que d’autres. Je suis un fervent croyant sur le fait qu’il faut utiliser ces privilèges pour mettre d'autres combats en lumière. Dans la communauté LGBT, je trouve que les gens ne le font pas assez. C’est un peu chacun pour soi. 'Nous, les lesbiennes on veut la PMA', voilà. Les petits noirs, les petits 'pédés' musulmans de cité qui ont des problèmes, on les laisse derrière... C’est important de construire une famille, mais si vous voulez que les gens puissent grandir au point de construire une famille, il faut les aider avant. Je pense qu'il y a des choses à accomplir avant de faire la PMA...
Tu seras prochainement à l'affiche d'un film de Gaspar Noé. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Il est venu dans un ball où j’étais juge. J’étais en drag et je suis parti le voir : « Tu serais pas Gaspard ? ». On s’est vu le lendemain. Il m'a expliqué qu’il avait un projet de film, qu’il voulait le tourner dans deux mois et qu’il n’avait pas de casting. À la base, il m’avait proposé de travailler sur l'aspect technique du film. Je me sentais très vexé. Puis il m’a proposé un rôle donc ça allait (rires). Mais je l'aime beaucoup. C’est un génie, tu ne sais jamais ce qu'il va faire. Parfois, tu fais une scène en te disant que c'est nul mais quand tu regardes le résultat, tu te dis que c’est trop bien.
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La série « Pose » rencontre un énorme succès. Et les balls se multiplient. Le voguing est-il devenu mainstream ?
Ça ne sera jamais mainstream ! Pour que quelque chose devienne mainstream il faut réussir à le dénuer de sa portée politique. Ils n’arriveront jamais à faire que RuPaul ne subisse plus le racisme ou l’homophobie. L’oppression qu’elle subit à cause de son appartenance à la communauté LGBT, ils ne pourront jamais le déconstruire.
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Une dernière question : avec qui est-ce que tu rêverais de collaborer ?
Juste pour le kiffe, j'adorerais chanter et performer « Vogue » avec Madonna.
Kiddy Smile - « One Trick Pony » (Neverbeener Records/Grand Musique Management) / En concert à Lyon le 1er septembre dans le cadre du festival Woodstower, à Paris le 2 septembre à l’Aérosol et le 25 octobre à la Gaîté lyrique.
Crédit photo : Nico Bustos.