témoignages"Il m'arrive d'oublier que je suis séropositif" : Bernard et Joël nous racontent comment ils vivent avec le VIH

Par Youen Tanguy le 20/09/2018
VIH

A l'occasion de la publication d'une enquête Ipsos pour Gilead sur le bien-être des personnes vivant avec le VIH, nous avons interrogé deux hommes séropositifs. Bernard a 59 ans, il est originaire du Cameroun, ancien ingénieur et président de l'Alliance Contre le Sida (Alcos). Joël a 56 ans, il a grandi en France, est activiste et employé à Pole Emploi. Comment vivent-ils avec le VIH ? Interview croisée.

Quand avez-vous découvert votre séropositivité ?

Bernard : On m’a annoncé ma séropositivité en plusieurs étapes, mais je ne l’ai vraiment acceptée qu’en 1996. Il a ensuite fallu deux ans pour que je prenne ma santé en main, quand j’étais en phase terminale de la maladie, couché à l’hôpital, avec une pneumocystose. Terrassé, mais pas anéanti. C’est là qu’on m'a déclaré que j’avais le sida. Mais la situation était déjà tellement grave que je pensais mourir… Je me suis fait soigner et j'ai démarré un traitement, que j'ai dû changer trois fois à cause des effets secondaires. Mon médecin m'a ensuite dit de partir en France en 2002 pour que je trouve une bonne trithérapie.

Joël : J’ai appris ma séropositivité en 1992. Je suis passé par différentes étapes pendant cette période, entre isolement social et familial et excès de fêtes et d’alcool. En 1998, je me suis réveillé un matin avec plus de 40 degrés de fièvre, complètement à l'ouest. Je suis tombé dans le coma en arrivant aux urgences. Un coma de 45 jours. Quand je me suis réveillé, j’avais perdu l’usage de mes jambes. J’ai eu deux ans de rééducation et un traitement contre le VIH à base de 46 gélules jusqu'en 2002. Une vraie cuisine thérapeutique.

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Comment l’avez-vous annoncé à vos proches ?

Bernard : J’ai mis beaucoup de temps à en parler à mon épouse. C’est mon médecin qui m’a dit de lui faire passer le test - elle était séronégative -, mais il m’a conseillé de garder le secret auprès de mes autres proches. Quand ma femme l'a appris, elle m'a dit qu'elle me soutiendrait, mais a fini par me quitter quelques années plus tard. Sinon, mes parents m'ont beaucoup soutenu. Mon père l’a très bien pris et c’est même lui qui m’a encouragé à en parler autour de moi. Ma maman aussi a bien réagi mais elle ne croyait pas à la maladie, elle pensait à un mauvais sort.

« Le VIH a créé un vide »

Joël : La première personne a qui je l'ai annoncé, c'est ma mère. Elle m'a dit une phrase à laquelle je pense encore aujourd'hui quand j'ai des coups de mou : "Quoi qu'il se passe Joël, tu resteras mon fils". On en a jamais reparlé, mais elle m'a soutenu jusqu'à son décès. Quand je l'ai annoncé au reste ma famille, ils n'ont pas réagi. Et progressivement, ils ont simplement arrêté de me parler, à moi et à ma mère. Le VIH a créé un vide. J'avais l'impression de ne plus faire partie de la famille, de faire tâche. Du coup, j'ai essayé de me recentrer sur mes amis. Je leur ai annoncé ma séropositivité au cours d'un dîner. Il n'y a pas eu de réaction tout de suite, mais l'annonce a fait son chemin et, progressivement, les appels se sont restreints. A chaque fois, il y avait un motif pour ne pas me revoir, ne pas prendre de mes nouvelles. Pendant deux ans, j'ai vécu ma maladie tant bien que mal, mais seul. Volontairement, je m'étais coupé de tout.

Et avec votre employeur ?

Bernard : Tout s'est bien passé pour moi quand j'en ai parlé à mon employeur au Cameroun. D'ailleurs, c'est lui qui a pris en charge financièrement mon traitement. Aujourd'hui, la question ne se pose plus car je suis président d'association, donc je suis mon propre chef.

« Ils voulaient que je démissionne, mais j'ai refusé »

Joël : Ça a été plus compliqué pour moi. Pendant ma période de coma, une de mes collègues s'est présentée comme ma soeur à l'hôpital. Elle a appris ce qui m'arrivait et a répercuté l'information auprès de mes collègues. Quand j'ai repris le travail en 2000/2001, tout le monde était au courant. Je l'ignorais. Ça n'est que plus tard que ma directrice m'a dit : "Il va falloir que tu annonces ta séropositivité à tout le monde". Je me sentais trahi, j'ai pris une claque. Une deuxième. Dans les mois qui ont suivi, mon employeur m'a fait quitter mon poste de conseiller commercial pour devenir polyvalent, avant de passer au standard pour finir aux archives. Ils voulaient que je démissionne, mais j'ai refusé. Je voulais garder ma dignité. J'ai poursuivi mon employeur en justice et après huit ans de procédure, j'ai gagné mon licenciement en 2008. Aujourd'hui, je travaille à Pôle Emploi et tout se passe très bien.

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Comment vivez-vous votre séropositivité aujourd’hui ?

Bernard : Je pense au VIH, mais pas tous les jours, notamment parce que le traitement est beaucoup plus supportable qu'auparavant. Par rapport à l'acceptation de la maladie, je vois beaucoup plus de joie et d'avantages à témoigner qu'à ne pas le faire. Quand on est dans un milieu où les gens ne sont pas suffisamment sensibilisés, il faut les informer. Notre devoir est de montrer quel est le VIH aujourd'hui. Il n'est pas le même que celui de 1982. A force de voir que nous sommes là, que nous sommes toujours vivants. 

« Il m'arrive d'oublier que je suis séropositif »

Joël : Mon état de santé actuel est beaucoup plus stable et il m'arrive d'oublier que je suis séropositif. C'est souvent quand on ne va pas bien que l'on y pense. Le traitement que je prends maintenant me permet de continuer à espérer d'autres choses. En 2005, je ne me voyais pas à 50 ans. Avec la trithérapie, j'ai eu l'impression d'être libéré de quelque chose, un peu comme quand on fait une randonnée et qu'on marche avec un sac de trois tonnes. Ce moment où l'on vous donne l'autorisation de poser votre sac, de l'ouvrir et de repartir avec quelque chose de plus léger.

Crédit photo : capture d'écran de #passelemotpaslevirus.