Auréolé d’un énorme buzz cannois et de deux prix (Caméra d’Or et Queer Palm), le premier film de Lukas Dhont arrive enfin sur nos écrans. A la hauteur des éloges ? Oh que oui ! Un grand film, sobre, sensible, qui bouleverse autant qu’il console.
C’est cruel, mais c’est ainsi : Lukas Dhont n’échappera pas à l’évidente comparaison avec son homologue québécois Xavier Dolan. Même jeunesse insolente, même maîtrise dingue de la mise en scène, même audace à filmer sans fausse pudeur un sujet douloureux, même lyrisme dévastateur.
Mais là où Dolan travaille et retravaille depuis ses débuts une certaine idée du mélodrame pop (on attend son « Life and Death of John F.Donovan » avec impatience), Lukas Dhont s’attaque lui du haut de sa vingtaine et quelques au naturalisme choc du cinéma d’auteur. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il donne aux vieux briscards du cinéma coup de poing, une leçon de cinéma et d’humanisme.
Infinie douceur
Jeune adolescente, Lara rêve d’être une danseuse étoile. Pliant son corps à la discipline de fer de l’art classique, elle lutte, souffre, sue pour atteindre son idéal. Lara est née dans un corps masculin. Chaque pas de danse est une affirmation plus grande, plus forte encore de qui elle est réellement. De ce présupposé dramatique, on aurait pu tirer une œuvre putassière, un film choc qui se serait gargarisé des contraires et des questions d'identité de genre. C’est tout ce qu’évite Lukas Dhont. Dans un naturalisme quasi-amoureux, il filme son héroïne, ses doutes, ses erreurs, sa force et ses faiblesses avec une infinie douceur.
Comme s’il espérait pouvoir la protéger d’elle-même, des autres, comme s’il pensait pouvoir panser ses plaies par sa caméra, le jeune réalisateur ne quitte quasiment jamais Lara des yeux. Parce qu’il filme la plus grande des souffrances, Lukas Dhont ne cherche jamais à juger ou expliquer son personnage. Plus qu’une pudeur, il s’agit ici d’une élégance. Une façon de savoir que le cinéma n’explique pas tout et de ne pas combler les mystères de l’intime par d’insupportables raisons psychologiques.
Voyage en solitaire
Extrêmement physique et sensorielle (les scènes de danse et tout le travail sur le corps provoquent souvent des frissons), la mise en scène, sobre et évidente s’appuie sur la justesse des comédiens. Jamais spectaculaire ou démonstratif, le jeu du très jeune Victor Polster ne cherche jamais à faire exister la transidentité comme sujet à l’écran. Non, Lara est une femme et le trouble possible vient plus de ses questionnement intérieurs que du regard des autres.
Bien sûr, Lukas Dhont n’angélise pas son propos. Mais en faisant de ce père un incroyable soutien (extraordinaire Arieh Worthalter), à la fois fort et fragile, un modèle d’humanité et d’amour, il annule le voyeurisme. « Girl » n’est pas un psychodrame, ce n’est même pas un mélodrame. C’est un drame. Humain.
Dans les pas de ce père, on cherche à comprendre Lara, à l’aider, l’épauler dans ce trajet personnel vers l’affirmation complète d’elle-même. Ce que Dhont raconte in fine, c’est que ce voyage se fait hélas toujours en solitaire. On pourrait discuter certains choix dramatiques. Le film est si doux, si consolant par son regard que sa bascule vers la violence en devient insupportable. Mais là encore, il laisse à Lara la liberté de ses erreurs. Magnifique.
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« Girl » réalisé par Lukas Dhont avec Victor Polster, Arieh Worthalter sort en salles ce mercredi 10 octobre.
Crédits photos : Kris Dewitte.