[PREMIUM] Du 28 mars au 28 juillet 2019, l'Institut des cultures d'islam présente une exposition sur Beyrouth, à Paris. On y découvre les oeuvres de 16 photographes et vidéastes qui témoignent de la place de la religion et des communautés "marginalisées" dans la capitale depuis le conflit israélo-libanais de 2006. Parmi eux, Mohamad Abdouni a saisi l'intimité d'une mère et de son fils "genderqueer".
Mohamad Abdouni voulait photographier sa vérité. Sa communauté. A l'occasion de l'exposition "C'est Beyrouth", à l'Institut des cultures d'islam, le photographe libanais de 35 ans, ouvertement homosexuel, dévoile une très belle série de photos sur la communauté LGBT+ dans la capitale libanaise. On y découvre la touchante histoire de Doris et Andrea, une mère et son fils "genderqueer" (non-binaire, NDLR).
Le photographe a vécu pendant trois mois avec cette famille de chrétiens arméniens, installée au coeur du quartier branché de Mar Mikhael. S'il pointe les difficultés et les paradoxes, religieux notamment, il donne surtout à voir beaucoup d'amour et de tendresse. TÊTU a pu s'entretenir avec lui à l'occasion du vernissage de l'exposition, à quelques mètres seulement de ses clichés.
TÊTU : Vous aviez l'air très ému pendant le vernissage de l'exposition...
Mohamad Abdouni : C'est vrai oui. Ça n’est pas qu'un simple documentaire pour moi, c’est le travail de ma vie. Il s'agit de ma communauté (il réfléchit). De ma famille.
Etait-ce aussi l'émotion de voir vos photos exposées à Paris ?
Je m’en fiche que ce soit à Paris (rires) ! Ce qui m’excite, c'est de les voir à l’Institut des cultures d’islam. C’est ça qui compte. C’est une énorme marche qu'ils [les responsables de l'Institut] gravissent. Ça me rend fier d’être musulman.
On dit souvent de Beyrouth qu'elle est le refuge de la communauté LGBT. Qu'en pensez-vous ?
Ça l’est ! Beyrouth est clairement la ville la plus ouverte [en terme de moeurs] du monde arabe. C’est toujours illégal d’être gay au Liban et vous pouvez finir en prison. Mais cette loi n'est que rarement appliquée et les autorités préfèrent fermer les yeux. C’est assez confortable.
"Je pense qu'on peut démarrer une révolution en étant simplement soi-même."
Croyez-vous que les choses s'améliorent avec les années qui passent ?
Je ne pense pas que ça s’améliore ou que ça s’empire. Au début des années 90, après la guerre, il y avait des bars et des clubs gays à Beyrouth. Tout le monde voulait faire la fête. Aujourd'hui, il n'y a plus qu'un seul bar gay et deux clubs dans tout le pays. En revanche, beaucoup plus de membres de la communauté LGBT, que ce soient des performeurs, des activistes ou des chercheurs, mettent les bouchées doubles pour raconter nos histoires et nos vies. Je pense qu'on peut démarrer une révolution en étant simplement soi-même. Être soi-même est la plus grande forme d’activisme qui soit.
"Est-ce que je tiens la main de mon petit-ami dans la rue ? Non !"
On vous voyait embrasser votre compagnon pendant l'exposition. Le feriez-vous dans les rues de Beyrouth ?
Ah ça non ! Mais je ne cache pas mon homosexualité pour autant. Quand je suis dans un restaurant, que je prends un café ou que je suis à un rendez-vous professionnel, je peux en parler. En revanche, est-ce que je tiens la main de mon petit-ami dans la rue ? Non ! Mais ça ne veut pas dire que c’est un endroit affreux où l’on ne peut pas être gay. Après, c'est Beyrouth. Le reste du Liban est totalement différent. Une fois qu’on quitte la ville, tout change.
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Quand avez-vous pris conscience de vote propre activisme ?
J’ai commencé à faire des recherches sur la culture queer arabe il y a quelques années et j’ai réalisé qu’il y avait très peu, voire pas du tout de documentation sur le sujet. C’est là que la frustration a commencé à grandir et que je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose. "Paris is Burning" est l'un des plus beaux documentaires du monde, mais je ne suis pas un homme noir d’Harlem. Si je veux connaître mon héritage queer arabe, j’ai besoin de quelque chose auquel je peux m'identifier.
Justement, à ton avis pourquoi la culture queer arabe est-elle si peu documentée ?
Peut être que les gens passaient plus de temps à en profiter et à la vivre qu’à la documenter (rires). Peut être avaient-ils peur aussi. Corrigeons ça pour les futures générations. Mais ce qui est magnifique, c'est que lorsqu'un arabe queer en rencontre un autre, il y a tout de suite un incroyable lien qui se crée, même s'il ne le connait pas du tout. Une connexion instantanée.
"Andrea et Doris sont des héroïnes dans la communauté queer de Beyrouth."
Et tu y participes avec ta série des photos... Qu'est-ce qui t'a donné envie de shooter Andrea et Doris ?
Je connaissais déjà Andrea, puisque c'était mon assistante (Mohamad Abdouni parle d'Andrea au féminin, NDLR). Mais quand j'ai rencontré sa mère, j'ai tout de suite été témoin de leur incroyable interaction. Je ne sais pas comment les gens voient ça de l’extérieur, mais pour moi il n'y a rien d’inhabituel. J'ai juste photographié une mère qui embête sa fille, qui essaye de refaire son maquillage... etc. Même si ça me semble normal, je sais quand même que c’est exceptionnel. Que ce soit dans une famille arabe ou pas. En tout cas, ce sont des héroïnes dans la communauté queer de Beyrouth. Doris va à tous les shows [de drag-queen] d’Andrea. Elles sont jalousées et adorées.
Etant croyante et pratiquante, Doris a-t-elle accepté facilement l’homosexualité de son enfant ?
Doris et Andrea allaient à l’église tous les dimanches avant. Elles ont arrêté il y a six ou sept ans au moment du divorce des deux parents. Elle a finalement retrouvé la foi avec le temps et l'amour de ses deux enfants. Mais vous savez, beaucoup de gens sont religieux, peu importe la religion, et acceptent très facilement l’homosexualité de leur enfant. D'autres non. Certains hommes gays refusent la religion et d’autres vont à l’église tous les dimanches.
Personnellement, comment vis-tu le fait d'être croyant et homosexuel ?
J’essaie de ne pas trop y penser... (il réfléchit). Je suis musulman sur mes papiers et je connais toujours mes prières. Je les récite parfois le soir assis dans mon lit, quand je suis stressé ou que je prends l’avion. Je répète ce que mes parents m'ont appris en gros (rires). Je crois juste en Dieu. Je crois qu’il existe et qu’il me surveille.
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Est-ce que tu verrais bien cette exposition s'exporter à Beyrouth un jour ?
Oui, ça se pourrait bien. Mais sincèrement, je pense que c’est plus dangereux d'avoir ces photos ici, à l’Institut des cultures de l’islam, qu’à Beyrouth (rires).
Quelle genre de réaction attendez-vous des gens ici ? Pensez-vous qu'ils seront surpris ou choqués ?
J'aimerais que les gens soient touchés. Qu'ils entrevoient une fraction de ce que j’ai ressenti en côtoyant ces deux personnes. Qu'avant de considérer le contexte, le pays dans lequel ils vivent ou quelles sont leurs croyances, ils voient simplement de l’amour.
L'exposition "C'est Beyrouth" se tient jusqu'au 28 juillet 2019 à l'Institut des cultures d'islam.
Crédit photos : Mohamad Abdouni/Institut des cultures d'islam de Paris.