Une mosquée inclusive vient d'ouvrir à Berlin. L'occasion de parler du rapport entre islam et LGBT avec Ludovic-Mohamed Zahed, imam gay et fondateur de la première mosquée inclusive en France en 2012.
Une mosquée dite "libérale". C'est ainsi qu'est présentée la mosquée inclusive qui vient d'ouvrir ses portes à Berlin, vendredi 16 juin, sous l'impulsion de Seyran Ates, une avocate et militante des droits des femmes très connue en Allemagne. Un lieu de prière ouvert à tou.te.s, et aussi bien aux hétéorsexuel.le.s, aux homosexuel.le.s qu'aux transsexuel.le.s.
En France, c'était il y a près de cinq ans. Ludovic-Mohamed Zahed, imam ouvertement homosexuel, a fondé la première mosquée inclusive tricolore à Paris. Depuis, il en a ouvert une nouvelle à Marseille, ville où il réside en couple avec un homme. L'imam est attendu à Berlin le 28 juillet pour faire un sermon dans la mosquée berlinoise. L'occasion d'évoquer avec lui les relations tendues entre LGBT et islam mais aussi et surtout de palper l'ampleur d'un mouvement qu'il connaît bien. Interview.
TÊTU : Vous êtes à l’origine de l’ouverture en 2012 de la première mosquée inclusive en France. Quelle a été votre démarche ?
Ludovic-Mohamed Zahed : À l'époque, on a assisté à une recrudescence de l’homophobie au sein de certaines communautés musulmanes et de nombreux articles qui opposait l’homosexualité à l’islam. On a fondé l'association HM2F [Homosexuel.les musulman.es de France, ndlr] et ça a permis aux gens d'être plus apaisés par rapport à leur sexualité. Parmi eux, certains éprouvaient le besoin de prier après les réunions. Après avoir assisté aux États-Unis en juillet 2012 à la conférence des musulmans progressistes, qui ont lancé ce mouvement des mosquées inclusives, on a fondé la nôtre en novembre 2012 . On avait pas envie de tout révolutionner mais on subissait l'absence de tels lieux de culte. Il nous fallait un espace sécurisé pour exprimer la soif de spiritualité et de respect.
Avez-vous reçu des menaces ?
À l’époque oui mais finalement, on a reçu beaucoup plus de messages encourageants que des menaces. Ce qui nous a le plus surpris, c'est que beaucoup de gens nous ont rejoint.
D'aucuns opposent LGBT et islam. Mais que disent les textes ?
L’islam n’existe pas en tant que telle. L’islam, ce sont les musulmans et les musulmanes. Quand vous retournez dans les textes, rien ne parle d’homosexualité. On nous cite Sodome et Gomorrhe mais dans l’islam, c’était des violeurs d'enfants, des pirates, mais jamais des hommes qui s’aimaient entre eux. Quand vous retournez vers la sunna, sauf quelques hadiths apparues 300 ans après la mort du Prophète au minimum, les relations sexuelles entre personnes de même sexe étaient connues et reconnues par le prophète. De même pour la question du genre alternatif, ils en avaient conscience et ils l’acceptaient à l'époque. Pourquoi choisir de croire les quelques hadiths homophobes et transphobes et ne pas croire la tradition familiale du prophète ?
Comment expliquer que certain.e.s musulman.e.s ne tolèrent pas les LGBTQI ?
Cela ne date pas de l’époque du prophète, ça remonte au début du XXème siècle. De nombreuses crises ont frappé le monde arabo-musulman, ce qui a entraîné une résurgence du patriarcat et de l'homophobie. En temps de crise, on discrimine, mais cela n'a rien à voir avec l’islam. Ce n'est que du fascisme qui utilise l’islam pour se donner une façade de respectabilité et ainsi sanctifier une idéologie politique.
Vous allez donc vous rendre à la mosquée inclusive de Berlin le 28 juillet… Qu'allez-vous y faire ?
J'ai rencontré Seyran Ates lors d'une conférence il y a environ deux mois et elle m'a parlé de ce projet et m'a demandé si je souhaitais m'y rendre. Je devais y aller pour l'inauguration mais j'étais en déplacement. Je vais aller y faire un sermon auquel je réfléchis encore mais ce sera quelque chose de très personnel. Je vais également revenir sur la façon dont j'ai fondé la mosquée inclusive en France, ses points forts et ses points faibles, les écueils à éviter ainsi que la façon dont il faut gérer tous les défis face à nous.
Justement, près de cinq ans après l'ouverture de la mosquée inclusive que vous avez fondé, quel bilan en tirez-vous ?
Je fais des bilans régulièrement, on ne peut pas avancer à l'aveuglette. Je constate qu'en 2012, on était pris pour des hurluberlus mais beaucoup nous ont rejoint pour nous dire que c'est ce qu'ils cherchaient. Il y a un besoin naturel et organique de nos communautés musulmanes. Plus largement, le mouvement des mosquées inclusives ne va pas pouvoir s'arrêter. Ça nous dépasse tous, ça va au delà des frontières. Les États-Unis ont ouvert la voie, le Canada a suivi puis l'Indonésie, l'Europe de l'Ouest, l'Afrique du Sud et ça commence même en Tunisie. On accompagne ce mouvement au service duquel nous sommes et qui sert au plus grand nombre. Cette réforme de l’islam dont on parle tant est en train de porter ses fruits, enfin.
Seyran Ates a assuré que personne ne sera autorisé à venir en niqab ou en burka. Soutenez-vous ce choix ?
De notre côté, nous n'avons rien interdit mais de toute façon, jamais personne n’est venu en voile, en niqab ou en burka. Il y a plusieurs associations progressistes en Allemagne, leurs positionnements respectifs ne les regardent qu'elles. Tant qu’elle porte les même valeurs humanistes que les autres associations, je ne vois pas de problème.
Couverture : prière inclusive menée par Ludovic-Mohamed Zahed, troisième en partant de la gauche