PREMIUM. Marina Diamondis a perdu ses diamants mais revient avec un double-album intitulé "Love+Fear". Pour TÊTU, la chanteuse explore la genèse difficile de ce nouveau disque mais revient aussi sur sa relation privilégiée avec Lana Del Rey et son public LGBT+.
Marina Diamondis revient de loin. Après son album Froot, paru en 2015, la chanteuse a connu un passage à vide. Artistique et personnel. La voici de retour avec Love+ Fear, un double-album plus apaisé enduit de mélodies douces et d'arrangements classieux.
Pour marquer cette nouvelle ère qui s'ouvre devant elle, la Galloise a perdu les diamants de son nom de scène (elle était jusqu'ici connue sous le pseudonyme de Marina and the diamonds) mais a gagné en liberté et en équilibre. Celle qui s'est fait connaitre avec de redoutables tubes pop (Bublegum Bitch, How to be a Heartbearker) aspire désormais à une relation plus sereine avec la musique.
Avant la sortie de son nouvel album et le démarrage de sa tournée mondiale, la chanteuse, autrice et compositrice était de passage à Paris. Rencontre à coeur ouvert avec une artiste aussi passionnante qu'attachante.
TÊTU : Il parait qu'après "Froot", ton album précédent, tu as traversé une sorte de crise artistique. C’est vrai ?
Marina: Pas seulement artistique mais personnelle. Je ne ressentais plus la même envie d’être artiste. Être une chanteuse, c’est ce que j’ai toujours voulu être depuis mes 15 ans ! Et voilà qu’à 31 ans, je ne savais plus si je voulais continuer. J’ai compris qu’il y avait quelque chose clochait profondément en moi et dans ma connexion à la musique. Ça m’a pris un moment pour comprendre ce qui m’arrivait. Finalement, je me suis dit "Ok, mes motivations ont changé, je n’ai plus les mêmes besoins. Je n'ai plus besoin..." (elle s'interrompt)
... de l'attention du public ?
Oui. C’est exactement ça ! J’ai grandi avec l’idée que j’avais besoin de cette attention mais c’était faux. Au début, je me suis dit : « Comment pourrais-je être une bonne artiste si je n’ai plus cette motivation ? C’est insensé ! » (Rires) Alors je me suis arrêtée pendant un an et demi. Mais j’ai continué à écrire. Un peu. Après tout, que peux-tu faire d’autres lorsque tu quittes ce genre de boulot ? Je me suis longuement débattue avec cette question très angoissante : « Que vais-je faire de ma vie ? »
"Je ne voulais pas succomber au sentiment que tout ce que je vivais n’était... que de la merde !"
Ton nouvel album s’appelle “Love + Fear”. De quoi as-tu peur ? De l’état du monde ?
Au contraire, j’ai l’impression d’y voir très clair. Je comprends pourquoi les êtres humains se comportent de cette manière. Parfois on se dit qu’on est en train de vivre une sorte de crise, que l’humanité arrive au bout du bout. Mais cela s'est répété dans le passé. Je pense que l’histoire est cyclique. Je suis une personne très peureuse mais ça n’a rien à avoir avec l’état du monde. Ce disque parle de ma volonté de voir la beauté dans la vie. C’est presque comme si je me forçais à voir les choses de façon positive. Je ne voulais pas succomber au sentiment que tout ce que je vivais n’était... que de la merde ! (rires)
(Rires) Rien que ça ? Tu dirais que ça va mieux ?
Oui clairement. Je te rassure !
Dirais-tu que c’est ton disque le plus honnête ?
C’est mon disque le plus simple et le plus direct en terme d’écriture. Froot était un disque très personnel pour moi. Je l’ai écrit à 100% toute seule. Pour ce nouvel album, j’ai eu beaucoup de collaborateurs. Avant j’avais peur de travailler avec d’autres personnes. Je me disais « Je ne vais pas réussir à faire passer mon message ». Ce qui a changé c’est que je communique bien mieux désormais.
Sur la chanson Too Afraid, tu sembles dire à ton amoureux « Je déteste la ville mais je reste à cause de toi ». C’est très intime !
C’est surtout très vrai ! C’est ce que je ressentais lorsque j'allais mal. Désormais, on vit entre Los Angeles et Londres et ça va mieux. Ça s’appelle faire des compromis. J’ai vécu à Londres pendant 15 ans. Et puis j’en ai eu marre. Je ne n’avais plus le même rapport à la ville. J’avais besoin de verdure, de nature et j’ai un endroit comme ça maintenant à L.A. Tu sais, quelque chose a profondément changé à Londres ces dernières années… Mais on a tous connu ça, non ? Rester quelque part par amour...
"On m’a choisie pour mon songwriting. Pas parce que je suis jolie ou parce que je sais danser."
Sûrement oui... C’est difficile de se faire respecter en tant que femme dans l'industrie de la musique ?
De mon point de vue, non. Je ne peux pas parler pour les autres femmes... Ou pour les hommes non plus, d’ailleurs ! Je crois que la clé c’est de bien communiquer. Avec les producteurs, les ingénieurs ou les compositeurs, il faut que je sois très claire : « Voilà pourquoi je veux ce son. Voilà ce que veux dire... » Je ne pense pas que cela change quoi que ce soit d'être un homme ou une femme... Et en même temps, c’est facile pour moi de dire cela car je viens d’un milieu plutôt indé. On m’a choisie pour mon songwriting. Pas parce que je suis jolie ou parce que je sais danser.
Christine and the Queens, elle explique qu’elle a parfois dû lutter en tant que femme pour faire respecter ses choix sur son propre disque…
C’est très décevant d’entendre ça. J'adore Christine. Je suis un peu plus âgée qu'elle, c’est mon quatrième album alors peut-être que je maitrise mieux tout ça. Mais par exemple, pour ce disque, je suis allée chercher Joel Little, un excellent producteur. Je lui ai demandé « Est-ce que tu es d’accord de produire des chansons que j’ai écrites toute seule ? (Too Be Human et Handmade Heaven, ndr). Je me souviens m’être dit « Il va sûrement me dire non. Qu’a-t-il à gagner ? Il ne pourra pas les cosigner. » Mais il a dit oui. Et il n’a pas tenté une seule fois de changer mes chansons. Il ne m’a jamais fait ce genre de commentaires.
Ce contenu n'est pas visible à cause du paramétrage de vos cookies.
Too Be Human est une très belle chanson. Peut-être la plus émouvante de l’album...
C’est une chanson importante pour moi. Parce qu’elle explique parfaitement l’état d’esprit qu’était le mien pendant ces deux ou trois ans où je n’ai pas produit de musique. Je me sentais perdue. Je ne comprenais plus la vie et pourquoi elle devait impérativement être belle…
Tu sais qu’il existe un mot pour ça ?
Dépression ? (Elle éclate de rires) Mec, je sais ! Je vis avec la dépression depuis que je suis toute petite. Par intermittence. Ce n’est pas quelque chose de nouveau pour moi. Mais cette fois, c’était un sentiment différent. Je ne me disais pas « Je me sens triste », je me disais « Je me sens totalement coincée et je n’ai même plus la musique dans ma vie. » Mais en définitive, je pense que c'était salutaire d’avoir traversé tout ça. Avant cela, ma vie était faite de 90% de musique et de 10% de… moi. (rires). Maintenant, je sais que je suis un être humain ET une artiste. Je fais de l’art. Mais je suis aussi Marina.
"Lana a vraiment joué un rôle déterminant dans mon évolution. Elle m’a vraiment aidée à traverser ce moment étrange de ma vie."
Tu as une relation très proche avec une autre artiste qu’on adore : Lana Del Rey. On vous voit souvent ensemble sur instagram. Elle était à tes cotés lorsque tu as traversé cette période difficile ?
Oui ! Pour moi, c’était un don vraiment merveilleux d’avoir quelqu’un qui soit également une artiste sur qui je peux compter et à qui je peux m’identifier. Quand tu peux en parler avec quelqu’un, c'est comme si ça divisait tes problèmes par deux ! Lana a vraiment joué un rôle déterminant dans mon évolution. Elle m’a vraiment aidée à traverser ce moment étrange de ma vie.
Quel est le meilleur conseil qu’elle t’aie donné ? « Saoule-toi la gueule ? »
(Elle explose de rire) Certainement pas ! Ce sont des trucs très personnels mais, par exemple, elle m’a dit d’apprendre à me distraire, à déconnecter. Et elle avait raison. Encore une fois, c'est très agréable d’avoir une autre artiste avec qui parler de tout ça. Et plus particulièrement une femme. Même si on croise beaucoup d’autres artistes dans la vie, on a rarement une connexion aussi belle avec quelqu’un.
C’est génial de voir de chanteuses comme vous deux être aussi proches et se soutenir. On présente trop souvent les stars de la pop comme des rivales : Britney Spears/Christina Aguilera, Gaga/Madonna, Katy Perry/Taylor Swift…
Tu as raison. J’ai l’impression que les médias le font moins aujourd'hui. Les gens se soutiennent davantage aussi, je crois. On nous compare moins. Et tant mieux ! Car ça n’aide personne. Quand j’ai commencé ma carrière, on n’arrêtait pas de comparer les filles entre elles. C’était lourd…
A LIRE AUSSI >>>Britney Spears pourrait ne plus jamais monter sur scène
As-tu eu recours à la psychothérapie ?
J’ai fait une thérapie de manière intermittente depuis 2015. Mais juste une année. J’ai toujours été intéressé par la psychothérapie. Je lis beaucoup de livres de psycho et j’ai étudié la psychologie pendant six mois pendant mon break.
Tu sais qu'il existe deux règles dans la musique : "Si tu te drogues, n'arrête jamais car tu vas te mettre à écrire des chansons pourries". Et l'autre c'est : "Ne fais jamais de psychothérapie car tes meilleures chansons viennent de tes névroses"…
(Elle éclate d'un rire tonitruant) Mais elle est toute pétée ta théorie ! (rires) Moi aussi avant j’avais une théorie : « Ne sois pas trop heureuse car tu ne pourras pas écrire de choses pertinentes ! » Mais c’est des conneries ! Tu peux utiliser la douleur pour nourrir ton art mais il faut être assez positive pour fonctionner en tant qu’être humain pour pouvoir créer. Si tu es déprimée, tu ne peux pas écrire. L’art, ce n’est pas seulement les oeuvres que tu fabriques, c’est aussi une façon de voir le monde. Si tu es plus équilibrée, tu vois plus clairement les choses.
Lorsqu’on vient te voir sur scène, on peut voir qu’une énorme partie de ton public est LGBT+. Comment expliques-tu cela ?
C'est vrai. Et j'en suis vraiment reconnaissante. J’ai ma petite idée théorie sur ce lien : je crois que c’est parce que mes premiers albums comme Family Jewels et Electra Heart —mais aussi Froot d’une certaine manière — exploraient la question de l’identité. Beaucoup de mes chansons parlaient de ces moments où l'on t’oblige à te sentir comme un que tu n’es pas. Mon intuition, c’est que les personnes LGBT+, lorsqu'elles grandissent, traversent ce genre de discriminations. Elles ont parfois l’impression que c’est mal d’être qui elles sont. Moi, j’ai ressenti cela pour d’autres raisons mais je pense que c’est pour cela que la communauté gay se sent si connectée à ma musique. Je pourrais te répondre que c’est parce que mes shows sont très théâtraux et qu’il y a beaucoup d’humour noir mais je n’identifie pas la communauté gay à ces traits.
« Si je pouvais parler à la Marina que j'étais à mes débuts je lui dirais : 'Arrête de te mettre la pression pour écrire des tubes. Ça n’est pas si important.' »
Sur ton album, il y a une chanson intitulée "No more suckers". C’est quoi un « sucker » (expression que l'on pourrait traduire par sangsue, ndr) ?
Un « sucker », c’est quelqu’un qui te vide de toutes tes forces juste parce qu’il a besoin de projeter ses problèmes sur toi. Si tu imposes des limites très claires, tu les chasses naturellement. Par contre, si tu n’en mets pas et que tu laisses tout le monde rentrer dans ta vie, ça attire ce genre de personnes. Il faut garder un peu d’énergie pour soi. Dans le passé, je n'ai pas toujours mis ces barrières. Je reste une fille ouverte mais j’ai des limites à ne pas franchir. Par contre, je reconnais un sucker quand j’en vois un. (rires)
Ce contenu n'est pas visible à cause du paramétrage de vos cookies.
Que dirais-tu à la Marina du clip de "How To Be A Heartbreaker" si tu pouvais lui parler ?
Je crois que je lui dirais « Arrête de te mettre la pression pour écrire des tubes. Ça n’est pas si important. » Voilà ce que je lui dirais. A cette époque, je produisais des chansons fabriquées pour les radios. Et même si j’adore ces musiques, ce n’est pas une pression très agréable à subir lorsqu’on est une artiste.
Pourtant sur ce disque, il y a ta collaboration avec Clean Bandit qui est déjà un énorme hit !
Sauf que, maintenant, je m’en fous ! (rires) Bien sûr, c’est agréable si ça survient naturellement. Je ne sais pas comment cet album va être reçu par le public mais je n’ai subi aucune pression pour être une artiste commerciale. Si ça avait été le cas, mon label ne m’aurait pas laissé publier un tel disque. Et j’aime cette liberté.
Ce contenu n'est pas visible à cause du paramétrage de vos cookies.
"Love+ Fear" de Marina est sorti chez Atlantic/Warner Music. L'album est disponible en CD et vinyles sur toutes les plateformes de streaming et de téléchargement.
Crédits photos : Warner Music