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magazineUne audience avec sa majesté Troye Sivan : "Je n’ai aucune honte d’être gay ! Je suis parfaitement à l’aise avec ma sexualité !"

Par Romain Burrel le 01/09/2018
Troye Sivan

Trois ans après son premier disque, Troye Sivan sort Bloom, un deuxième album qui risque fort de lui offrir le monde sur un plateau. Dix nouvelles chansons pop imparables où la star "millennial" évoque sans pudeur sa jeunesse, sa vie amoureuse et même sa sexualité. Rencontre avec un chanteur ouvertement gay, honnête et attachant.

Sous nos latitudes, Troye Sivan est, disons, modérément connu. À peine passe-t-il à la radio. Mais aux États-Unis ou en Angleterre, le jeune chanteur âgé de 23 ans est une star. Une version queer de Justin Bieber. Il remplit des Arenas. Fait grimper les filles dans les aigus. Et vient de s'afficher coup sur coup en couverture des magazines Out, Attitude ou Paper. Acteur devenu Youtubeur puis chanteur, Troye Sivan est le parfait produit de la génération "millennials". Il en connaît tous les codes, pour en avoir lui-même écrit quelques-uns. Comme lorsqu'en 2013, il fait son coming out dans une vidéo YouTube, alors qu’il a à peine 18 ans.

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Délaissant les poses mallarméennes qui faisaient le charme de son premier album, Blue Neighbourhood, l’Australien (Sivan a grandi à Perth mais est né en Afrique du sud) revient ces jours-ci avec un deuxième effort, Bloom, où il est largement question de sexualité gay. Un excellent disque de pop, au charme évident, à ranger entre ceux de Lorde et d’Ariana Grande (qui chante d’ailleurs sur l’album).

Têtu a interviewé le chanteur en deux temps. On le retrouve au téléphone, en plein mois d’août, pour finir une conversation entamée les yeux dans les yeux, à Paris, au printemps dernier. Minet à la beauté surréelle. Cheveux blond platine. Bouche lippue. Une peau si claire qu’on jurerait se voir dedans. Troye Sivan est, avec l’acteur Timothée Chalamet, la preuve vivante que les minets sont de retour et bien décidés à conquérir le monde. Car l'Australien est en passe de réussir là où des tas d’autres chanteurs (au hasard, Adam Lambert) avant lui se sont cassé les dents : devenir une pop star planétaire, subjuguant filles et garçons, après avoir fait son coming out.

En découvrant ton nouvel album, on s’est dit que c’était le disque d’un garçon éperdument amoureux…

Troye Sivan : Je suis d’accord. J’étais dans un chouette moment lorsque je l'ai écrit. Je me sentais en confiance, bien dans ma peau et très amoureux. Je voulais tenter d'écrire une musique heureuse. Ma pente naturelle m’emmène souvent vers des musiques mélancoliques, des chansons plus réflectives. Et il y a aussi quelques moments de ce genre sur l’album. Mais je voulais capturer ce bonheur en musique.

Il t’a fallu du temps avant d’assumer en interview que Bloom est une chanson sur le sexe gay. Et plus précisément sur la passivité…

C’est vrai. (rires gênés) Tu sais, ma famille lit mes interviews…. Ça peut être embarrassant. Mais je n’ai absolument pas honte de cette chanson ! D'ailleurs, mon public a compris de lui-même le sujet la chanson. Je me suis dit : "Bon. Faut assumer. Je dois être honnête !" On s’est beaucoup marré en l'écrivant. J’étais en session d’écriture avec Leland (le chanteur et songwriter Brett McLaughlinqui écrit aussi pour MNEK et Selena Gomez, ndr), qui est l'un de mes meilleurs amis. La journée n’était pas très productive. On a commencé à travailler sur cette chanson en rigolant. Puis le producteur l’a retournée dans tous les sens et en a fait totalement autre chose. En la réécoutant le lendemain, on s’est dit "Mais en fait c’est bon ! Super campy et fun !" Ça m’a pris un peu de temps avant de me décider à la mettre sur l’album. Mais au final je suis content de l’avoir fait. C’est une de mes chansons préférées.

La sexualité est très présente sur le disque. Le clip de "My My My", le premier single extrait de l'album, était d'ailleurs vraiment chaud. C'est une façon d'assumer auprès de ton public l'image d'un garçon sexy et gay ?

C’est vraiment ce que j’ai voulu faire ! J’ai l’impression qu’on arrive à un stade où dans l’industrie musicale, c’est enfin "ok d’être gay". Et ça c’est vraiment cool. Souvent, je me dis que je dois calmer mes ardeurs. Que je dois davantage accompagner mon public. Cette fois, je me suis dit : "J'en ai marre. Je veux être honnête et vrai. Je veux pouvoir faire ce que les autres pop stars font !" Je me suis autorisé à être fun et sexy. J’espère qu’une chanson comme "My My My" envoie un message d’empowerment. Le clip est une sorte d’énorme soirée gay dans un entrepôt. Ça pourrait se passer à New York ou Berlin. Ça m’est arrivé de me retrouver dans ce genre d'endroit !

Dans le clip, on aperçoit l’acteur porno Justin Brody. C'est toi qui l'as repéré, paraît-il. Tu l'avais découvert dans un de ses films ?

(Visiblement gêné) Euh non… Je l’ai croisé en soirée. J’ai trouvé qu’il était très beau et qu'il avait un super look. C’est tout. Je ne suis pas familier de son travail… (rires)

Tu es dans une relation amoureuse stable depuis pas mal de temps maintenant. Mais tu es constamment présent sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram. C’est difficile de garder cette partie de ta vie véritablement privée ?

Pas vraiment. On se débrouille plutôt bien. On passe beaucoup de temps ensemble. On a de la chance, ni lui ni moi n’avons de "vrai travail". (rires) Ça fait un bail maintenant que j’ai identifié les choses que je dois garder privées : ma famille, mes amis, ma relation amoureuse... Je suis très défensif sur cet aspect de ma vie.

Revenons à l'album. L’un de mes morceaux préférés s’appelle "Animal". Dans les paroles, tu chantes : "I want you all to myself" ("Je te veux entièrement pour moi seul"). C'est une chanson sur la monogamie ?

Pas nécessairement. Ça parle plutôt du moment lorsque tu es au début d’une relation avec quelqu’un. Le mec est toujours dans ta tête. Tu ne penses qu’à lui. Tu as l'idée assez orgueilleuse que tout ne se passe qu’entre vous deux…

Et sur "Seventeen", tu nous parles de tes 17 ans...

Cette chanson est très personnelle. C’est une réflection sur cet entre-deux étrange, entre l'adolescence et l'âge adulte. C’était un moment très compliqué pour moi. Quand j’avais 17 ans, à Perth, je ne connaissais aucun homosexuel. Bien sûr, il y a des bars et des clubs gays... Mais il faut avoir 18 ans pour y rentrer. Alors tu dois te procurer une fausse carte d'identité, tu traines sur Grindr... J’étais encore un gamin mais je voulais être un homme. J’avais envie d’avoir des expériences mais en même temps, j’étais mort de trouille. La chanson parle de ça. Parfois je me dis que j’aurais préféré que cela se passe autrement mais ça a fait de moi celui que je suis aujourd’hui...

"La communauté LGBT est tellement diverse. Je représente une infime partie de cette communauté. J'ai vraiment conscience d'être un jeune gay blanc super-privilégié."

Il y a des icônes gays dont tu t’inspires ?

Bien sûr ! Mais c’est une inspiration musicale. Je n’essaie pas d’émuler la carrière de qui que ce soit. Je veux être respecté en tant qu’artiste. Que ce soit dans la musique, le cinéma, la mode... Je ne pense pas que quelqu’un avant moi ait pu réussir cela parfaitement. Quelqu’un dont je pourrais me dire "Ok. Lui il a craqué le code. Je vais copier ce gars-là". Je laisse ma carrière prendre forme toute seule. Par exemple, je n’aurais jamais pensé sortir un film cette année mais c’est arrivé. Et soudainement je me retrouve à jouer à nouveau la comédie. On verra où cela me mène. Je prends du plaisir à laisser les choses se produire.

Tu ne regardes pas la carrière de George Michael, par exemple, en te disant : c’est un exemple à suivre ou à ne pas suivre ?

Honnêtement, je pense que l’époque a tellement changé que c’est une comparaison très difficile à faire. George Michael a été forcé à sortir du placard, il a assumé son homosexualité beaucoup plus tard dans sa carrière….Je ne pense vraiment pas que ma trajectoire puisse suivre un autre schéma.

Tu as fait ton coming out très tôt. Pourquoi avoir choisi YouTube pour le faire ?

C’était un moment où j’acceptais ma sexualité. Je regardais des tonnes de vidéos de coming out sur YouTube. J’avais ma propre chaîne, et donc une plateforme pour m’exprimer. J’avais aussi envie de rendre quelque chose à la communauté qui m’a tellement soutenu. J’étais "out" auprès de ma famille depuis trois ans déjà. Mes parents m’ont dit : "Es-tu sûr de vouloir le faire ? Certaines personnes ne vont pas être tendres avec toi." J’ai répondu : "Ouaip !" Alors il m’ont dit "Ok". Et c’était tout. Evidemment j’avais peur. J’en ai parlé à très peu de gens. Je savais que s’il y avait "trop de chefs dans la cuisine", comme on dit, ça serait une mauvaise chose. Après tout, c’est mon truc. Ma sexualité. Mon choix. Je voulais le faire à ma manière, quand j’étais prêt. Je voulais vraiment faire mon coming out avant de signer avec une maison de disque. Je ne voulais pas avoir quelqu’un à coté de moi pour me dire "Ne le fais pas. Reste dans le placard. C’est mieux pour ta carrière" ou ce genre de conneries...

Etais-tu motivé par l’idée de servir de rôle-modèle à tes fans, notamment LGBT ?

Je l’ai d’abord fait pour moi. Et parce que je n’avais aucune honte d’être gay. Je suis parfaitement à l’aise avec ma sexualité. J’avais envie de le partager avec le monde entier. J’étais honnête sur tous les autres aspects de ma vie. Pourquoi devrais-je cacher une chose dont je n’ai pas honte ? Mais tu as raison, j’avais aussi le secret espoir que d’autres personnes voient cette vidéo et y trouvent l’inspiration suffisante pour assumer qui ils sont.

Que penses-tu du statut d’icône gay millennial que la presse essaye de te coller ?

Je pense que les étiquettes sont par nature spécieuses. La communauté LGBT est tellement diverse. Je représente une infime partie de cette communauté. J'ai vraiment conscience d'être un jeune gay blanc super-privilégié. Je suis heureux si ne serait-ce qu’une personne peut me voir comme une forme d’inspiration parce que je vis mes rêves tout en étant absolument moi-même. Si je peux réussir cela, c’est tout ce que je demande.

Tu peux nous l'avouer, ton duo avec Ariana Grande : c'est une tentative de faire exploser le gay internet, non ?

(Il explose de rire.) Il y a de ça ! C’est vraiment une très bonne amie. Il m’arrive de lui envoyer les chansons sur lesquelles je bosse par texto pour savoir ce qu’elle en pense. C’était cool d’arriver à travailler ensemble. Elle est tellement douce. Elle soutient tout ce que je fais. Tout est plus simple quand tu bosses avec des amis. Quand on a tourné la vidéo, on s’est vraiment marré.

"J’ai l’impression que la pop masculine manque de flamboyance. Il n'y a plus de Freddie Mercury, de David Bowie, d’Elton John ou de George Michael. Et ça me manque beaucoup !"

Sur l'album, il y a aussi un featuring de Gordi. Et on sait qu'il existe une collaboration avec Carly Rae Jepsen qui finalement n'a pas trouvé sa place sur le disque. Avec-qui d'autres aimerais-tu travailler ?

J’adorais bosser avec Perfume Genius ou Taylor Swift ! Et avec Christine and the Queens, aussi ! On s'est parlé rapidement. Mais la moindre chance que j’ai de travailler avec elle, je la saisirai !

Aujourd’hui dans la pop, les filles sont bien plus audacieuses que les garçons. Comment l’expliques-tu ?

J’ai l’impression que la pop masculine manque de flamboyance. Il n'y a plus de Freddie Mercury, de David Bowie, d’Elton John ou de George Michael. Et ça me manque beaucoup ! Je ne vais pas dire que je compte combler ce vide à moi seul, ça serait terriblement prétentieux. Mais il y a de la place pour des artistes mâles qui s'amuseraient avec la masculinité, la féminité. Ils devraient tous se laisser aller !

Lorsque tu croises des garçons comme Sam Smith ou Olly Alexander de Years and Years, qui comme toi sont ouvertement gays, est-ce que vous échangez un peu sur vos carrières respectives ?

De la manière la moins prétentieuse possible, c’est une expérience très spécifique que ma vie. Nous, les chanteurs, nous menons des existences très particulières. Alors c'est toujours agréable de croiser quelqu’un qui traverse la même chose que toi. Tu peux leur demander : "Je dois faire Saturday Night Live, qu’est-ce que tu penses que je devrais dire ?" Ce genre de trucs. Mais on ne se réunit pas en se disant "Nous, artistes gays, nous devrions faire ci ou ça." Il n’y a pas de club secret d’artistes homosexuels qui se demandent comment conquérir le monde. (rires) Mais on devrait peut-être en fonder un ! Ça serait sûrement plus efficace ! Je devrais organiser des réunions hebdomadaires avec Sam et Olly  ! (rires)

Tu seras à l’affiche de Boy Erased, le deuxième long-métrage de Joel Edgerton. C’est ton retour au cinéma après avoir joué dans Wolverine et quelques comédies lorsque tu étais encore ado…

J’avais clairement mis la comédie de coté. J’attendais de tomber sur le bon projet. Et le scénario de Boy Erased est arrivé à mon bureau. C’est un film qui parle des thérapies de conversion homosexuelles et j’ai adoré le script. J’ai passé une audition. Et quand j’ai eu connaissance du reste du casting, j’étais estomaqué : Nicole Kidman, Lucas Hedges, Russell Crowe… J’avais tellement envie de ce rôle ! Ce n’est pas tant un film pour mes fans que pour leurs parents. C’est eux qui doivent comprendre que ces thérapies sont une torture. Je suis tellement amoureux du projet que j'ai donné la chanson "The Good Side" pour la bande-annonce. Puis j'en ai composé une autre, "Revelation", spécialement pour le film.

Quel conseil donnerais-tu à une célébrité qui hésite à faire son coming out ?

C’est une expérience intime. Je ne sais pas si je lui donnerais vraiment des conseils. Personnellement, je ne peux que recommander de faire son coming out. Pour moi, ça a été une expérience géniale. Mais parfois, c’est plus complexe. Je ne blâmerai jamais quelqu'un qui souhaite rester dans le placard. Je suis conscient que pour certains d'entre nous, c’est compliqué. Moi, j'ai vraiment eu de la chance...

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Crédits photos : Hedi Slimane, Jules Faure, DR