Marche des fiertésPourquoi le die-in est le moment le plus fort de la Marche des Fiertés

Par Alexis Patri le 28/06/2019
die-in marche des fiertés

Acte militant qui prend de plus en plus des accents de commémoration collective, le die-in permet, notamment dans le cadre des Marches des Fiertés, de se rappeler de la force de notre nombre. 

Ma première fois fut une grande claque. La vague sonore est partie de très loin. Comme un bruissement interrompant le silence qui avait saisi la Pride et Paris. Les cris de joie, à mesure qu'ils se rapprochaient, gagnaient en intensité. Pour finir par frapper en pleine face, avec la force d'une émotion qui submerge. C’était ma première Marche des Fiertés et c’était mon premier die-in. J’en suis sorti rechargé, rempli de forces pour l’année à venir.

Le die-in consiste à s’allonger au sol en silence pendant quelques minutes, pour dénoncer une mort ou un risque de mort, et la réaction (absente ou insuffisante) des pouvoirs publics. Dans le cas des mouvements LGBT, cette pratique est évidemment rattachée à la lutte contre le sida. Ma prise de conscience de notre force collective s’est opposée à la solitude que l’on ressent face aux regards, aux remarques, aux intimidations, aux insultes, voire aux coups. Et même en apprenant ensuite la signification exacte du die-in, ma manière de le vivre n’a pas vraiment changé.

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Défier la mort

La puissance que peut transmettre la phase finale du die-in, nous sommes nombreux.ses à la ressentir. Militante à Act-Up Paris de 1992 à 1997, Gwen Fauchois a pratiqué ce mode d’action de nombreuses fois, lors de Marches des Fiertés et à d’autres occasions militantes. « Le moment où l’on se relève m’a toujours donné de l’énergie, se souvient-elle. Et l’effet de nombre renforce ce sentiment. »

Qu’on ne s’y trompe pas : le die-in, même à sa fin, n’est pas un moment d’allégresse. « Quand tu te lèves, tu sens que les morts t’accompagnent, explique l’ancienne d’Act-Up Paris. Pour nous, c’était un moyen de faire que nos proches ne soient pas des victimes passives, mortes dans l’indifférence. » Cette invocation de la mort n’est donc pas forcément contradictoire avec la force individuelle et collective que chacun peut en tirer. Pour l’anthropologue Christophe Broqua « se relever après avoir mimé la mort est un moyen de s’en distancier, comme pour la défier ».

« Le geste juste »

En France, le die-in semble indissociable d’Act-Up Paris. Il faut dire que le groupe militant a pour "acte de naissance" deux die-in clandestins organisés par Didier Lestrade, cofondateur de l'association, lors de la Pride de 1989. L’inspiration est assumée : cette manoeuvre collective est emblématique d'Act-Up New-York. Mais ce mode d’action n’est pas né avec la lutte contre le sida. Selon Christophe Broqua, on en retrouve déjà aux États-Unis dans les années 1960 et 1970, dans des mouvements écologistes et contre la guerre du Vietnam.

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« Act-Up New-York a beaucoup utilisé le die-in pour deux raisons, liste l’anthropologue. D’abord parce qu’il faisait partie du répertoire d’actions habituelles des militants américains. Et parce qu’il est très approprié à la cause sida. À l’époque, les militants sont dans une proximité avec la mort que l’on ne peut plus imaginer aujourd’hui». « C’était le geste juste pour rendre visible l’hécatombe que personne ne voulait voir », abonde Gwen Fauchois.

Un mode d’action critiqué

En France, les die-in d’Act-Up Paris ont, selon Christophe Broqua, toujours été intégrés à des actions plus larges : zaps, picketings, enterrements politiques, et donc Marche des Fiertés. Ce qui n’a pas empêché cet acte militant d’être l’objet de critiques. Surtout à ses débuts. Le chercheur se souvient, à titre personnel, d’un ami séropositif sortant avec colère du cortège au moment du die-in. Ayant récemment perdu son compagnon des suites du sida, la charge émotionnelle lui était insupportable.

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L’opposition à cette pratique a divisé pendant de longues années les militants LGBT. En témoigne AIDES, qui s’est longtemps dressée contre un mode d’action jugé inopportun. Arnaud Marty-Lavauzelle, ancien président de l’association avait pour habitude de dire « à Aides, on ne se couche pas face au sida ».

L’Inter-LGBT, qui organise les Pride parisiennes, a elle-même tardé à intégrer officiellement les die-in à son programme, malgré ceux pratiqués (« clandestinement » mais avec une forte adhésion du public) chaque année par Act-Up Paris. Pour Gwen Fauchois, « l’officialisation » des die-in de Pride est finalement arrivée comme « une proposition de compromis » adressée au groupe militant insistant - en vain - pour que le mot d’ordre de la Marche évoque précisément le sida. 

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Protestation ou commémoration ?

Ces divisions sont aujourd’hui très atténuées. AIDES prend désormais part aux die-in. Ils sont devenus un rendez-vous attendu des Marches des Fiertés. Mais celles et ceux qui le pratiquent aujourd’hui lors des Prides en connaissent-ils toujours le sens ? Gwen Fauchois regrette qu'il soit "devenu moins politique aujourd'hui ».

Depuis les années 1990, le die-in semble en effet avoir muté. Il revêt un sens plus commémoratif, sans perdre pleinement ses origines revendicatives. Le pratiquer reste en tout cas d’actualité : l’épidémie du VIH continue, et les mémoires de celles et ceux qui ont vu leurs proches décimés par le sida n’irriguent toujours pas la conscience collective.

https://www.youtube.com/watch?v=rPWHKObUbAM

Crédit photo : Bryan R. Smith / the 46th / AFP