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thérapies de conversion"Thérapies de conversion" : Laurence Vanceunebrock-Mialon rencontre les auteurs de "Dieu est amour"

Par Guillaume Perilhou le 25/11/2019
thérapies de conversion

Les "thérapies de conversion" existent bien en France, même si elles ne disent pas leur nom. On en a discuté avec Timothée de Rauglaudre et Jean-Loup Adénor, auteurs d'une enquête édifiante sur le sujet, et la députée Laurence Vanceunebrock-Mialon, qui compte les interdire. Interview croisée.

Le voile se lève enfin sur les "thérapies de conversion". Avec "Dieu est amour", paru aux éditions Flammarion, les journalistes Timothée de Rauglaudre et Jean-Loup Adénor livrent une enquête sur ces thérapies destructrices, et montrent qu'elles existent aussi en France, même si elles sont très vigilantes sur le choix des mots... Ils ont également co-écrit un documentaire à ce sujet, qui sera diffusé sur Arte ce mardi 26 novembre.

Pendant plusieurs mois, ils se sont infiltrés dans deux associations qui veulent nous « guérir ». Prières de « délivrance », appels à l’abstinence, exorcismes et groupes de paroles, les moyens déployés dans le but d’amener les homos vers l’hétérosexualité sont nombreux. Trop d’hommes et de femmes qui ont cru y voir un moyen de soulager leur malaise, tiraillés entre leur foi et leur sexualité et aveuglés par des discours souvent convaincants, en sont sortis brisés. La députée LREM de l’Allier Laurence Vanceunebrock-Mialon arrive de son côté au terme d’une mission d’information à l’Assemblée nationale sur la question. Un objectif : une proposition de loi visant à interdire ces soi-disant thérapies. Interview croisée.


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TÊTU : Comment est né ce livre ?

Jean-Loup Adénor : Lors d’une session d’enquête à l’École supérieure de journalisme de Lille, il y a deux ans. Les premières semaines, on pensait qu’on se trompait. On n’avait rien. Mais on a constaté que si, que les thérapies de conversion non seulement existent, mais sont de plus en plus nombreuses.

Laurence Vanceunebrock-Mialon : Leur persévérance a été fructueuse. C’est certainement très dur de vivre ça de l’intérieur, c’est dur aussi ne serait-ce que d’entendre ce qui est dit lors de ces « thérapies ». Lors des auditions à l’Assemblée avec la mission d’information que je mène avec mon collègue Bastien Lachaud (LFI), j’entends des témoignages particulièrement touchants. Je pense par exemple à des gens comme Benoit Berthe (qui a subi une thérapie de conversion à l’adolescence, NDLR), grâce à qui j’ai vraiment compris je crois ce qu’est la foi. Et la douleur qu’il pouvait ressentir, en tant que croyant, d’être confronté à sa religion, à son Église qui le rejette.

Timothée de Rauglaudre : Ce qui m’a le plus frappé peut-être dans toute l’enquête, c’est aussi le témoignage de Benoit Berthe. C’est un homme qui a été envoyé dans ces sessions de « guérison » par sa mère. Et par amour ! Au fil des années, elle s’est rendu compte que son fils pouvait être heureux en tant qu’homosexuel. Elle a complètement changé de perspective. Elle était au départ dans une version conservatrice de la religion et se bat aujourd’hui pour changer les choses. J’ai en tête aussi le témoignage de Jean-Michel Dunand, un homme qui au cours de ces sessions a quant à lui subi huit séances d’exorcisme… Ça été très violent. Il a tenté de se suicider.

JLA : Ce sont des gens qui, quand ils parlent de Dieu, ont les yeux qui brillent. Ils croient en l’action immédiate de Dieu. C’est cette croyance inébranlable qui m’a le plus impressionné, plus, étrangement, que les discours homophobes auxquels je m’étais préparé. La motivation des responsables des associations qui pratiquent ces « thérapies de conversion » sont parfois les bonnes. Mais leurs méthodes sont mauvaises, et les conséquences parfois graves. Il y a une vraie souffrance des participants, aux mains de gens qui ne savent pas ce qu’ils font…

Comment s’est passé l’infiltration dans ces groupes ?

JLA : Plus facilement que prévu. Évidemment, il y avait de la méfiance au début. Certains responsables nous ont demandé des recommandations de prêtres. Mais ce sont des gens qui ont une tradition d’accueil, une charité chrétienne. Des gens convaincus. J’ai été infiltré plusieurs semaines dans différents groupes, en province et à Paris, au sein de deux associations. Et au bout d’un moment, comme ils sont convaincants, j’en suis venu à presque épouser la cause qu’ils défendaient ! Heureusement que Timothée était là, que j’avais des gens à qui parler chez moi en rentrant le soir.

LVM : Cela montre bien l’emprise psychologique qui est à l’oeuvre…

Les auditions des associations que vous avez infiltrées, Torrents de vie et Courage, ont eu lieu récemment à l’Assemblée. Qu’en retenez-vous ?

LVM : Ce qui me frappe, c’est la capacité que ces associations ont à faire de la communication sur un sujet aussi délicat. Certains utilisent un vocabulaire très moderne, comme pour parler aux jeunes. C’est un vernis moderne pour un fond archaïque. La principale difficulté est qu’ils n’utilisent pas, justement, ce terme de « thérapie de conversion ». L’autre difficulté dans la lutte contre ces groupes, c’est que c’est un sujet très à la marge dans l’opinion publique… Et même chez les députés, quand j’ai commencé à parler desdites "thérapies de conversions", certains m’ont dit « Ah oui, quand les gens veulent changer de sexe ? » Il y a un énorme travail de pédagogie à faire !

JLA : Il y a aussi le problème de la qualification de « victime ». Leur argument contre notre travail est de dire : « Il n’y a pas de victime. Les gens sont libres. » Effectivement, je n’ai jamais vu personne de contraint y venir. Les hommes que j’ai vus, pour beaucoup, viennent dans ces groupes de leur plein gré parce qu’ils sont malheureux avec leur homosexualité et c’est la ligne de défense de ces organisations.

Vous avez, avec cette enquête, mis au jour des liens entre ces groupes et la Manif pour tous...

TDR : La Manif pour tous est un terreau. Elle a libéré la parole. D’un côté, une grosse partie des diocèses a eu une prise de conscience, pour mieux accompagner les personnes homosexuelles. Mais de l’autre côté, une petite minorité s’est dit : « Dans l’Église, il n’y a rien chez les homosexuels qui soit conforme au magistère. » Par exemple, le père Louis-Marie Guitton est le père fondateur d’un collectif fondateur de la Manif pour tous qui s’appelle "Tous pour le mariage", concrètement la vitrine du diocèse de Fréjus et de Toulon.

Encore aujourd’hui, l’adresse de la Manif pour tous à Toulon est l’adresse du diocèse. Aux yeux de Louis-Marie Guitton, le droit chemin pour les homosexuels, c’est l’abstinence. Il est allé chercher ce programme aux États-Unis, rencontrer les responsables de Courage - qui existe là-bas depuis 1980. On a aussi vu que Philippe Auzenet, un pasteur évangélique très proche de Torrents de vie, est administrateur d’une association qui s’appelle Famille et liberté, fondée par Christian Vanneste, et qui elle aussi était constitutive de la Manif pour tous.

Laurence Vanceunebrock-Mialon, vous pensiez au départ faire une proposition de loi contre ces « thérapies » de conversion. Aujourd’hui, vous penchez pour une modification des textes existants. Pourquoi ce recul ?

LVM : Techniquement, je vais passer par une proposition de loi, mais plus succincte, disant : « Les pratiques prétendant modifier l’orientation sexuelle et l’identité de genre sont interdites. » Mais ensuite, il faudra reprendre tous les articles du code pénal qui s’approchent de cela, comme l’abus de confiance, le harcèlement sexuel ou les violences, et rajouter un alinéa à chaque fois. Au départ, j’avais prévu un texte définissant ce que sont ces thérapies, avec déclinaisons de peines et circonstances aggravantes. Mais le dispositif retenu sera plus simple.

Ne risque-t-il pas d’être moins percutant ?

LVM : C’est justement en discutant avec Benoit Berthe que je me suis dit qu’il fallait un symbole, qu’il trouve aussi indispensable. Donc on va écrire quelque part que ces pratiques sont interdites. Ce n’est pas que je veuille aller à l’économie, mais concrètement, la meilleure façon de faire est d’améliorer les articles existants déjà.

 Vous pensez que vous aurez une majorité de soutien ?

LVM : Sincèrement, je ne vois pas comment, si on fait de la pédagogie en expliquant ce que sont ces « thérapies » de conversion, on ne peut pas ne pas me suivre ! Quand je parle d’exorcisme, quand je parle d’excision qui existe aussi pour certaines lesbiennes, tout le monde est effaré. Je suis confiante. Je parle beaucoup de ce sujet autour de moi, si important.

TDR : Il faudra voir ce qui se passe du côté des Républicains. Au Parlement européen, la droite s’est globalement abstenue sur cette question-là (lors du vote, le 1er mars 2019, d’un texte appelant les États membres à interdire lesdites thérapies, NDLR). Et le RN a plutôt voté contre.

Ce sera pour quand ?

LVM : La mission d’information que je mène à l’Assemblée se termine fin novembre. On fait la communication qui en résulte la semaine du 9 décembre. On présentera ensuite un texte tout début 2020. Mais je ne sais pas quand il sera au calendrier, ça c’est autre chose… On a vu que, pour la PMA par exemple, on a attendu.

Vous pensez que ce sera suffisant ?

TDR : En Angleterre, le gouvernement de Theresa May s’était engagé à interdire de tels groupes et a surtout lancé une étude qui a montré que 7% des personnes LGBT interrogées s’était déjà vues proposer une « guérison » de leur orientation sexuelle ou identité de genre. Ce qui serait peut-être bien, en parallèle du travail législatif, c'est d’avoir une connaissance plus scientifique du phénomène.

JLA : On sait que depuis la création de Torrents de vie en France en 1995 ces groupes se multiplient, mais on ne sait pas précisément combien de personnes sont touchées. Arrêtons en tout cas de dire que c’est marginal. Si une seule personne était touchée, ce serait déjà dramatique.

Le 1er octobre, le gouvernement a annoncé la suppression de la Miviludes, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Cela parait antinomique avec la volonté de lutter contre les associations dont on parle…

LVM : Oui. C’est pour cela que j’ai écrit, avec Raphaël Gérard (député LREM, NDLR), à Christophe Castaner. On ne comprend pas. J’ai fait cette proposition au ministère de l’Intérieur de conserver quelque chose d’extérieur, ou en tout cas une antenne au ministère qui rassemblerait la Miviludes, le CIPD (Comité interministériel de prévention de la délinquance) et la Dilcrah (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT). Ces trois organismes manquent de moyens, mais groupés, ils apporteraient de vraies réponses…

TDR : La Miviludes avait d’ailleurs été la première institution publique qui s’était saisie de la question en 2012, à propos de Torrents de vie puis de Courage. La Mission avait fait un travail pour essayer d’alerter. Elle parlait de « pré-dérives » sectaires.

« L’homoérotisme est problématique, favorisant le narcissisme. » Voilà ce qu’on peut lire entre autres choses dans un manuel scolaire d’un lycée privé de Lyon, le lycée Saint-Marie. Que fait-on à ce propos ?

LVM : Je me suis fendue d’un courrier au ministre de l’Éducation nationale. Je suis tombée de ma chaise quand j’ai lu ça, mais ce n’est pas la première fois que cet établissement se fait connaitre.

JLA : Le problème de cette page c’est qu’en creusant, on se rend compte que dans le lycée, un groupe appelé Teenstar s’occupe de l’éducation sexuelle des jeunes…

TDR : C’est une association d’éducation « sexuelle et affective » qui vient des États-Unis, et qui intervient dans des collèges et des lycées privés. Elle propage ce discours selon lequel l’homosexuel est une « déviance psycho-spirituelle ». C’est ce que m’a expliquée elle-même la responsable pédagogique de ce lycée.

JLA : Son discours aux États-Unis prône aussi plus largement la contraception par l’abstinence. Je trouve dommage que la question de ce simple livre occulte la question de fond de qui ils sont, parce qu’ils ne sont pas présents uniquement dans ce lycée de Lyon...

LVM : Au fur et au mesure qu’on avance, on se rend compte qu’il y a énormément de sujets problématiques… J’aurais adoré, au sein de l’Assemblée, avoir une commission d’enquête avec plus de moyens légaux...

JLA  :  Il faudra en écrire des articles !