Après des semaines de recherches, la dernière librairie LGBT+ de Paris, "Les Mots à la bouche", a trouvé ses nouveaux locaux. Les libraires devront quitter un Marais miné par la gentrification pour atterrir dans le onzième arrondissement, avec l'espoir d'y créer un "îlot LGBT+".
Le bail a été signé ce vendredi 7 février dans la matinée. "On est soulagés et enthousiastes", confie à TÊTU Nicolas Wanstok, libraire dans l'établissement depuis douze ans et responsable de la communication. Les Mots à la bouche, dernière librairie LGBT+ de Paris, devrait emménager début avril au 37, rue Saint-Ambroise dans le onzième arrondissement de Paris, à côté de la station de métro Saint-Maur. "Il y a le M'sieurs Dames et le 17 pas loin, poursuit le libraire. C'est un quartier en plein changement, très gay-friendly, avec plein de commerces gays. Je ne sais pas si ça pourra devenir un nouveau Marais, c'est compliqué avec les prix des loyers. Ça m'étonnerait que ça migre en masse, mais on pourrait recréer une sorte d'îlot LGBT+."
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L'annonce avait fait l'effet d'une bombe dans la communauté LGBT+. Le 8 novembre dernier, après des rumeurs de fermeture sur les réseaux sociaux, TÊTU avait raconté l'obligation des Mots à la bouche de quitter ses locaux du 6, rue Sainte-Croix de La Bretonnerie, après trente-six ans de présence dans le Marais. En effet, le propriétaire proposait à la librairie de doubler voire tripler le loyer après l'expiration du bail le 31 mars 2020, "souhaitant profiter de la gentrification du quartier", avait indiqué Les Mots à la bouche dans un communiqué. Les gérants s'étaient alors activés pour trouver un nouveau local.
"Ils n'avaient rien pour nous dans le Marais"
Pour cela, la mairie de Paris et celle du quatrième arrondissement ont tenté d'apporter leur aide, en privilégiant le Marais. Les libraires ont alors visité, via le GIE Paris Commerces, "cinq ou six" lieux dans le quartier, mais aucun ne semblait convenir. "C'étaient souvent des lieux où il n'y avait pas de passage du tout ou ne donnaient pas sur la rue, raconte Nicolas Wanstok. Ou bien, les locaux étaient trop grands, trop chers et nécessitaient trop de travaux. Honnêtement, au départ, ça nous a beaucoup inquiétés quand on s’est rendu compte qu’ils n'avaient rien pour nous dans le Marais. Dans le privé, les droits au bail étaient hors de prix. Ça a été un peu la panique à bord." En décembre, les libraires, "très inquiets", avaient même publié un appel à l'aide sur leur page Facebook.
Finalement, les nouveaux Mots à la bouche ne seront pas dans le Marais. "On peut parler d'hypergentrification du quartier, au point où on en est, soupire Nicolas Wanstok. Avec l'arrivée des grandes chaînes de luxe, tous les loyers ont explosé. Le Marais est en train de se vider de ses habitants, pratiquement plus personne n'a les moyens d'y vivre. On n'a quasiment plus de clientèle de voisinage, à part les plus âgés qui ont emménagé il y a longtemps. Après, il y a sans doute d'autres facteurs : c'est possible que les jeunes sortent moins dans les bars, ayant une application de rencontre sur leur téléphone. Ça joue peut-être aussi sur les commerces LGBT+."
D'ailleurs, via les messages reçus sur les réseaux sociaux et des discussions avec les clients, les librairies se sont rendu compte "qu'au moins la moitié" d'entre eux réside dans le onzième arrondissement. Finalement, les nouveaux locaux ont été trouvés "par [leurs] propres moyens", par le biais de la Semaest, société d'économie mixte de la Ville de Paris. Pas de propriétaire privé, pas de droit au bail : "Normalement, ça nous assure une pérennité à long terme." Ouf.
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