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interviewAntoine Delie de The Voice : "Je n'ai jamais compris pourquoi on avait besoin de faire un coming out"

Par Florian Ques le 10/04/2020
Antoine Delie

En l'espace de quelques semaines, le candidat belge a séduit les juges comme le public avec ses envolées lyriques et son authenticité infaillible. Rencontre, par téléphone évidemment.

Tout droit venu de Belgique, Antoine Delie enflamme le plateau de The Voice depuis sa toute première prestation il y a plusieurs semaines de ça. Tout récemment, cet artiste prometteur de 22 ans a ému les téléspectateurs de TF1 avec une reprise puissante de Charles Aznavour, et un coming out en prime-time. Alors que l'émission est en stand-by à cause du coronavirus, TÊTU lui a passé un coup de fil pour parler de son parcours dans la compétition, de ses influences musicales et, forcément, de visibilité LGBT+.

Comment ça se passe ton confinement en ce moment ?

Le confinement, c'est parfois un peu compliqué. Le pire pour moi, ce n'est pas de ne pas pouvoir sortir mais c'est de ne plus voir les gens et ça me déprime un peu. Mais je dois dire qu'on n'a pas à se plaindre parce qu'il y a des gens qui sont dans des situations beaucoup plus compliquées, qui vont travailler dans les hôpitaux et qui prennent des risques. Alors j'essaie de voir le côté positif des choses et je fais de la musique, je m'occupe, je fais des choses que j'ai pas le temps de faire d'habitude. De toute façon, on attend, on n'a que ça à faire.

Justement, tu t'entraînes pour les prochaines épreuves à venir dans l'émission, même si le tournage n'a pas encore de date de reprise ?

Oui, j'en profite pour travailler les chansons que je pourrais chanter par la suite. Je teste des choses. Évidemment, on est en contact avec Marc [Lavoine, le coach d'Antoine, ndlr] pour pouvoir avancer par la suite. Donc oui, ça, c'est sûr que je travaille pour les prochaines prestations vu qu'on a plus de temps que prévu pour le faire.

J'ai cru comprendre que tu avais déjà participé à la version belge de l'émission. Pourquoi tu as décidé de prendre part à la version française ?

Alors en fait, j'avais participé en 2015 à The Voice Belgique. J'avais vécu une aventure magnifique, jusqu'en quart de finale dans l'équipe de Chimène Badi. Mais bon, j'étais très jeune, j'avais 17-18 ans et à mon sens, je n'étais pas tout à fait prêt. J'étais encore un bébé, je ne m'assumais pas non plus. Je ne savais pas qui j'étais à 100%, en tant que personne et en tant qu'artiste.

Maintenant, c'est tout à fait différent. Je sais mieux qui je suis. Et puis, je n'avais pas prévu de m'inscrire à The Voice en France. On m'a repéré sur Instagram parce que je postais différentes covers depuis presque un an et ils m'ont proposé de le faire. Et vu que je crois au destin, j'ai foncé. J'y suis allé et je ne regrette pas.

J'ai remarqué que tu évoquais souvent ton séjour en Bolivie, dans l'émission ou dans tes interviews. Qu'est-ce qui s'est passé là-bas pour que tu te sentes aussi changé ?

En fait, j'ai pas une réponse exacte par rapport à ça, parce que je ne sais pas quel élément a fait que je me suis senti aussi changé après ce voyage. La découverte d'une autre culture, avoir plus d'autonomie... C'était vraiment la première fois que je partais autant de temps et que j'avais plus de liberté. Cela m'a permis peut-être de me retrouver plus avec moi-même et de me découvrir en tant que personne. Quand je suis revenu de Bolivie, on me disait que j'avais changé, que je n'étais plus moi-même. Et je leur disais que si, justement, je suis moi-même maintenant. Je ne sais pas ce que ce voyage a fait mais ça a bouleversé un peu ma vie, sans trop savoir comment expliquer pourquoi. Des fois, il y a des choses qui ne s'expliquent pas [rires].

De quelle manière penses-tu avoir évolué ?

En fait, j'étais quelqu'un de très timide, de plutôt introverti, qui ne s'assumait pas au final. Pour vraiment être dans le cliché, j'étais un petit enfant modèle, un peu intello [rires]. Je ne critique pas du tout la personne que j'étais, ça fait partie de moi, de mon histoire, mais quand je suis rentré, c'est clair que j'ai commencé à m'assumer. Au niveau vestimentaire déjà... J'adore les couleurs, les paillettes. Maintenant, je me fous complètement de ce que les autres peuvent penser et je crois que c'est ça qui me bloquait. J'avais peur du regard des autres. Je ne me juge plus moi-même et je me fiche un peu des gens qui me jugent. Je suis comme je suis, j'assume tout ce qui fait partie de moi et si ça plaît, tant mieux, si ça ne plaît pas, tant pis.

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Pour en revenir à ta musique, comment tu décrirais ton univers à toi ? Parce que dans The Voice, on t'a surtout découvert à travers des reprises...

J'ai un univers musical assez large. J'aime bien la pop. Ce n'est pas encore ce que j'ai proposé à The Voice mais si je devais faire un projet par la suite, c'est ça que je proposerais. Une pop assez colorée, qui pourrait peut-être faire un peu penser à Mika. C'est un peu un modèle pour moi. Je l'adore. Par contre, ce serait en français parce que je chante beaucoup plus en français qu'en anglais.

Mon univers peut mélanger quelque chose d'assez intimiste, d'acoustique mais en même temps quelque chose de plus pop, électro. Je pourrais partir dans plusieurs styles mais qui me ressemblent quand même, il faut que ça reste cohérent. Vraiment, je n'aime pas rentrer dans des cases donc je n'ai pas envie de me mettre dans un style en particulier pour ne jamais en sortir.

Lors du dernier prime, le 4 avril dernier, tu as repris une chanson de Charles Aznavour, "Comme ils disent". C'est une chanson forte sur l'homosexualité. Qu'est-ce qui t'a poussé à choisir ce morceau-là ?

Pour moi, c'était super important de chanter cette chanson parce que j'avais envie de faire passer un message de tolérance, de respect. Quand elle est sortie, je n'étais même pas né. À l'époque, ça devait être certainement très tabou comme sujet et il fallait avoir beaucoup de courage pour chanter cette chanson. On pourrait dire qu'aujourd'hui, ce sujet est moins tabou mais ça reste pour moi encore vraiment d'actualité. Parce qu'il y a encore beaucoup trop de gens qui sont jugés pour qui ils sont.

Là, on parle de l'homosexualité mais comme je l'ai dit dans l'émission, je voulais chanter cette chanson-là pour tous ceux qui pouvaient se sentir jugés à cause de leur sexualité, mais aussi à cause de leur origine, de leur religion, de leur couleur de peau. Vraiment, tous ceux qui peuvent se sentir critiqués parce qu'ils sont comme ils sont. Dans cette société, j'ai l'impression qu'on a tendance à juger beaucoup les gens et ça m’écœure un peu, je dois le dire. Le choix de cette chanson, c'était à la fois personnel et en même temps assez fédérateur, on va dire.

Cette chanson t'a permis aussi de faire ton coming out officiel dans le cadre de l'émission. Est-ce que c'était quelque chose qui te stressait ou que tu appréhendais ?

C'est vrai que quand j'ai choisi cette chanson, le but n'était pas du tout de faire un coming out officiel. J'avoue que je n'y avais même pas pensé. Je n'ai jamais compris pourquoi on avait besoin de faire un coming out [rires]. Mais je crois que tout le monde se dit ça. En soi, un hétéro n'a pas à faire ça donc je ne vois pas pourquoi on aurait à le faire.

Après, c'est vrai que j'ai réalisé que ça allait peut-être être interprété comme un coming out. Mais je n'avais pas d'appréhension particulière. Quand j'arrive sur la scène, je sais que je vais être jugé. J'ai reçu des messages de haine, de gens qui se cachent sous un faux nom, avec une fausse photo de profil. J'en ai eu mais je ne réponds pas. Une fois, c'était en public sur ma page Facebook, j'ai vu que les gens réagissaient et j'ai juste répondu que ça ne m'atteignait pas, parce que je sais qui je suis et que je ne me laisserais pas juger par quelqu'un d'autre pour ce que je suis.

Par contre, je ne tolère pas ce genre de choses. En m'attaquant moi, ils s'attaquent à plein d'autres personnes qui pourraient être beaucoup plus vulnérables. C'est sûr que c'est un peu un coming out officiel mais le but, à la base, ce n'était pas ça. Après, ça fait partie de moi, de mon histoire, de ma vie et je suis un livre ouvert, je n'ai pas envie de cacher les choses.

En tant que spectateur, on voit ce que l'émission veut bien nous montrer, pas forcément ce qui se passe en coulisses. Est-ce que tu dirais, de ton expérience, que The Voice est quand même un safe space pour une personne LGBT+ ?

Oui, je pense. N'importe qui peut avoir sa place dans cette équipe et dans cette émission et se sentir bien. Personnellement, je me sens hyper bien entouré, on est chouchoutés. Il n'y a pas de favoritisme. Il y a des gens de toutes origines, de toutes religions, de toutes orientations sexuelles et on est tous traités de la même manière. Il y a un vrai climat de partage, il n'y a pas de jugement.

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Sur la scène francophone, il y a de plus en plus d'artistes ouvertement LGBT+, qui s'assument et en parlent dans leurs chansons. Est-ce que tu partages aussi cette impression ?

Oui, c'est vrai qu'il y en a de plus en plus qui assument totalement. En France, je pense à Eddy de Pretto, qui en parle vraiment bien dans ses morceaux, ou Hoshi plus récemment. Il y a des artistes qui savent mettre les mots là-dessus. Je trouve ça bien et hyper positif de le faire. Dans mon cas, je ne sais pas si j'aurais envie de vraiment mettre l'accent là-dessus. Je trouve ça bien d'en parler car il y a des gens qui pourraient se retrouver dans ces histoires-là et ça pourrait peut-être les aider à s'assumer parce que ce n'est pas toujours facile. J'ai de la chance avec ma famille mais je sais que pour certains, c'est beaucoup plus problématique. Mais je sais aussi que je ne suis pas que ça.

Jusqu'ici, tu as repris du Orelsan ou du Charles Aznavour dans l'émission. Si tu pouvais me citer d'autres artistes pour mieux cerner tes influences, tu me donnerais quels noms ?

Freddie Mercury, David Bowie... Ce sont des légendes dont je suis archi fan. Après, plus récemment, il y a Mika, comme je l'ai dit. Je peux dire Vianney aussi. Il y a tellement d'artistes que j'adore que je ne saurais même pas tout dire. En fait, je n'aime tellement pas les cases, j'adore partir dans tous les sens, écouter de la musique classique, du rock, de la pop, de la variété française... En deux minutes, je peux passer d'Orelsan à Françoise Hardy [rires]. J'écoute vraiment de tout et j'essaie de puiser mon inspiration un peu partout pour finalement proposer quelque chose qui me ressemble.

Idéalement, tu espères retirer quoi de ta participation à The Voice ?

The Voice, ça m'apporte énormément de choses. Déjà, au niveau des rencontres que j'ai pu faire. Marc Lavoine est un coach exceptionnel, je ne regretterais jamais de l'avoir choisi. C'est vraiment une personne que j'ai pu apprendre à connaître, qui est toujours là. Il n'est pas là juste devant les caméras. Il nous appelle, il est hyper présent. Puis, toutes les rencontres que j'ai faites avec les talents et avec tous ceux qui travaillent dans l'émission mais qu'on ne voit pas à la télévision.

Au niveau de l'expérience, ça m'a permis de chanter sur une super scène avec des musiciens parmi les meilleurs. Et enfin la visibilité : ça m'a permis d'être vu par pas mal de monde. Il y a de plus en plus de gens qui me soutiennent. J'avoue que je me rends pas trop compte mais je suis hyper touché que les gens aiment ce que je fais. Récemment j'ai posté une cover de Slimane et il l'a repartagé. Ça ne me serait jamais arrivé avant The Voice.

Tu as des projets musicaux qui sont dans les tuyaux pour la suite ?

Évidemment, je pense déjà à ce que je pourrais faire dans le futur. Mais j'ai vraiment envie de me concentrer sur The Voice, sur la demi-finale, même si on ne sait pas encore quand ça va se faire. Mais les choses avancent et j'ai des idées pour la suite afin de pouvoir proposer quelque chose qui me ressemble. Je crois qu'il faut aussi prendre le temps de faire les choses et ne pas se précipiter.

Crédit photo : Bureau 233 / ITV / TF1