covid-19Coronavirus et VIH : pourquoi la théorie du Pr Montagnier est très contestable

Par Guillaume Bietry le 19/04/2020
Coronavirus

Pour le virologue français Luc Montagnier, spécialiste du VIH, le virus du SARS-Cov-2, à l'origine du Covid-19 a été accidentellement créé par l'homme dans un laboratoire à Wuhan. Une hypothèse difficilement crédible.

C’est un Prix Nobel de médecine qui le dit, mais c’est très improbable voire complètement impossible. Le Pr Luc Montagnier, auréolé en 2008 aux côtés d’autres chercheurs pour ses travaux sur la découverte du VIH, a fait parler de lui vendredi en affirmant dans une interview au site Pourquoidocteur.fr que le virus SARS-CoV-2 à l’origine de la pandémie de Covid-19 a été créé de toute pièce dans un laboratoire en Chine, dans le cadre de travaux sur un futur vaccin anti-VIH.

Pour lui, la théorie du virus provenant d’un marché aux animaux à Wuhan, dans la province du Hubei, est fausse. “C’est une belle légende mais ce n’est pas possible”, a-t-il estimé sur le plateau de Cnews. Le scientifique préfère une autre version des faits : “le virus sort d’un laboratoire de Wuhan” spécialisé “sur ce type de coronavirus [la famille de virus à laquelle appartient le SARS-CoV-2, ndlr] depuis très longtemps”.

 

Vaccin contre le sida ?

L’homme, habitué des positions scientifiques polémiques, dit avoir travaillé avec un ami mathématicien, Jean-Claude Perez, sur le génome du SARS-CoV-2. “Nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il y a eu une manipulation sur ce virus. Une partie, je ne dis pas le total. il y a un modèle qui est le virus classique, venant surtout de la chauve-souris, mais auquel on a ajouté par-dessus des séquences du VIH.” Et d’ajouter : “Ce n’est pas naturel, c’est un travail de professionnel, de biologiste moléculaire, d’horloger des séquences”.

Le but de tout cela ne serait pas très clair. “La possibilité c’est qu’on a voulu faire un vaccin contre le sida. Donc on a pris des petites séquences [du VIH] et on les a installées dans la séquence plus grande du coronavirus”, avance Luc Montagnier, adoubé sur les réseaux sociaux par plusieurs personnalités dont le sociologue et philosophe Edgar Morin et le député européen d’extrême-droite Gilbert Collard.

S’il se défend de tout “complotisme”, le Prix Nobel prend ici le contrepied du consensus scientifique et alimente l’une des fake news les plus diffusées dans les milieux complotistes, celle de la création délibérée du nouveau coronavirus dans le but de provoquer une épidémie. La théorie du Pr Montagnier n’a toutefois aucun fondement scientifique. “Beaucoup de gens ont scruté en détail tous les éléments du virus et clairement, la méthodologie qui a été utilisée pour dire qu’il y a des fragments qui ressemblent au VIH est erronée”, note Etienne Simon-Lorière, chercheur à l’Institut Pasteur.

Etudes contestées

Si on regarde les séquences qui sont étudiées et reportées par certains comme provenant du VIH, on se rend compte que c’est faux parce qu’elles sont bien plus proches d’une séquence de coronavirus qui circule dans la nature. Cela a été montré par des analyses robustes publiées dans des revues : il n’y a aucune séquence du coronavirus qui proviendrait du VIH”, assure de son côté Lucie Etienne, chercheuse CNRS en virologie et biologie évolutive au Centre international de recherche en infectiologie (CIRI).

Pour étayer ses propos, le Pr Montagnier cite une étude indienne publiée fin janvier sur une plateforme de prépublication, où les travaux sont diffusés sans relecture ni validation par d’autres scientifiques. Cette étude évoquait une similarité dans les séquences des génomes du SARS-CoV-2 et du VIH de type 1, laissant penser que des morceaux du second virus ont été insérés dans le premier. Ces travaux ont été très contestés (notamment par des virologues chinois et américains), conduisant les chercheurs à retirer eux-mêmes leur étude.

"Homologies sans valeur"

Dans une vidéo réalisé pour France culture, le directeur scientifique de l'Institut Pasteur, Olivier Schwartz, martèle que le fait de retrouver des similarités dans les séquences des deux virus “n’a aucune signification”. Il explique : “La séquence du virus, c‘est une suite d’acides nucléiques, de bases, c’est 30.000 lettres différentes qui se suivent, c’est 30 pages d’un livre par exemple. [Les chercheurs indiens] ont comparé les 30 pages d’un livre [celui du SARS-CoV-2] à 30 pages d’un autre livre, celui du VIH, et ils se sont aperçus qu’il y avait des groupes de 3 ou 4 lettres en commun. C’est comme si, dans un roman, il y a écrit le mot ‘chat’ et dans un autre roman, il y a également le mot ‘chat’ parmi des dizaines de milliers de mots. Statistiquement, il y a des homologies mais cela n’a aucune valeur. C’est juste dû au hasard”, souligne Olivier Schwartz.

Les scientifiques sont quasi-unanimes pour écarter l’hypothèse d’un SARS-CoV-2 créé en laboratoire ; tout laisse en effet à penser qu’il s’agit d’un virus naturel, passé plus ou moins directement de l’animal à l’homme après mutation. Grâce à la phylogénétique, les chercheurs ont pu recréer l’”arbre généalogique” du SARS-CoV-2 et montrer qu’il se rapproche (à 90% voire 98%) d’un coronavirus présent chez certains animaux comme la chauve-souris et le pangolin.
Ces conclusions ont d’ailleurs été publiées dans les revues Nature et Cell, qui font référence dans le monde scientifique.

Les antécédents du Pr Montagnier

Selon Lucie Etienne, “on peut généralement distinguer un virus fabriqué d’un virus naturel, et ici il n’y a aucune évidence de telles manipulations humaines”. “Il n’y a aucune trace de quelque chose de synthétique”, abonde Etienne Simon-Lorière. Tout comme l’hypothèse d’une manipulation génétique délibérée, celle d’une création accidentelle par culture in vitro est elle aussi improbable, considère le chercheur Damien Goutte-Gattat, membre du collectif de vulgarisation scientifique KezaCovid19, dans un article publié mercredi.

Luc Montagnier n’en est pas à son coup d’essai en matière de polémiques et de positions à contre-courant de ses collègues. Agé de 87 ans, cet ancien du CNRS et de l’Institut Pasteur est entre autres connu pour soutenir la thèse d’une origine microbienne de l’autisme, que l’on pourrait donc traiter avec antibiotiques. En 2017, il est parti en croisade contre les vaccins à l’occasion des débats sur l’extension des vaccinations pédiatriques obligatoires, ce qui lui a valu de virulentes critiques de la part des académies de médecine, de pharmacie et des sciences. “Le Prix Nobel m’a donné ma liberté de pensée, et j’en use, mais mes théories sont basées sur des faits scientifiques”, confie-t-il au Monde en août 2018.

Climat de suspicion

Si les hypothèses du Pr Montagnier, dont les soutiens sont peu nombreux parmi ses pairs, semblent plus que contestables, il est vrai que de nombreuses inconnues demeurent sur le SARS-CoV-2, notamment sur sa propagation. Vient-il effectivement du marché aux animaux de Wuhan ? S’est-il échappé accidentellement du laboratoire de la ville après avoir été récupéré dans la nature (ce qui est peu probable) ? Comment a-t-il contaminé l’homme ? Directement depuis une chauve-souris ou via un animal hôte, le pangolin ? Reste aussi à savoir comment le virus se transmet et se réplique chez l’homme, à expliquer pourquoi les symptômes sont différents en fonction des patients (voire absents chez certains) et à déterminer si une réinfection est possible après une première guérison.

Autant de questions en suspens qui nourrissent un climat de suspicion sur l’épidémie. Les choses ne devraient pas s’arranger à l’avenir. Le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a annoncé jeudi que les Etats-Unis menaient une "enquête exhaustive sur tout ce que nous pouvons apprendre sur la façon dont ce virus s’est propagé, a contaminé le monde". En France, Emmanuel Macron a déclaré jeudi dans une interview au Financial Times qu’"il y a manifestement des choses qui se sont passées qu’on ne sait pas" sur la gestion chinoise de l’épidémie.

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