Le 17 mars 2020, afin de préserver le système de santé surchargé par l'épidémie de Covid-19, la France entrait dans son premier confinement général. Pour la "génération Z", alors dans sa vingtaine, fini les sorties et soirées qui font le sel de la jeunesse… Avec le recul, quel a été pour ces jeunes l'impact d'une telle mise entre parenthèses de leur vie sociale ?
"Nous sommes en guerre" (répété six fois). Le 16 mars 2020, au cours d'une allocution solennelle délivrée depuis l'Élysée, Emmanuel Macron annonçait à la France le premier confinement lié à l'épidémie de Covid-19, qui s'étalera du 17 mars à la réouverture du 11 mai. Près de deux mois à regarder les conférences de presse de Jérôme Salomon, alors directeur général de la Santé (cf. photo d'illustration), avant d'applaudir à 20h le personnel soignant depuis nos fenêtres… S'ensuivront encore deux autres confinements, à l'automne 2020 et au printemps 2021, ainsi que des périodes de couvre-feu qui limiteront drastiquement notre vie sociale pendant plus d'un an, jusqu'au 20 juin 2021.
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Fermeture des lycées et universités, interdiction des déplacements et des réunions amicales… pour les jeunes adultes de la génération Z (celle née au tournant des années 2000), ce bouleversement s'est produit à un âge où normalement on multiplie les soirées et les sorties, a fortiori les jeunes queers qui ont besoin de cette socialisation pour se trouver leur famille choisie. Cinq ans plus tard, têtu· est allé parler à cette "génération Covid" afin de savoir quelles conséquences a eues pour elle cette jeunesse entre parenthèses.
Jeunesse en confinement
"On m'a volé ma jeunesse", tranche Jean-Baptiste, 20 ans à l'époque. Il venait alors à peine, depuis quelques mois, de s'assumer gay : "C'était une renaissance, j'avais l'impression de découvrir tout un monde, de vivre enfin pleinement. Je sortais dans des bars et des boîtes gays, je voyais des mecs, c'était magique d'être enfin soi ! Mais le Covid-19 est arrivé et a tout balayé au moment où j'avais l'impression que le monde s'ouvrait à moi…"
"C’était une période très déstabilisante pour des jeunes LGBTQI+ qu'on privait subitement de sociabilité universitaire ou professionnelle mais aussi de sociabilité queer, confirme le sociologue Gabriel Girard. Et ce, a fortiori pour les jeunes trans, précaires, racisées et/ou vivant loin des grandes villes." Pour beaucoup, le "retour à la maison" a été synonyme d'un retour au placard, et certains jeunes queers ont même été forcés de se confiner dans leur famille LGBTphobe. "Lors du premier confinement, j'ai quitté mon logement au Crous, qui était le premier logement solo de ma vie, pour aller chez mes parents, raconte Stan, 19 ans en 2020. Alors que je commençais à affirmer ma transidentité auprès de mes potes, j'ai eu l'impression d’un retour en arrière car j’ai dû recommencer à être très discret sur ma transition."
"C'est vraiment au déconfinement que j'ai senti que j’appartenais à une communauté."
Plus globalement, le covid a comme suspendu la vie queer. "La pandémie a mis un frein aux nouvelles rencontres, se souvient Jalil, 20 ans en 2020. Comme je vivais dans une petite ville sans lieux de vie LGBT+, j'étais très dépendant des rencontres en ligne, mais elles étaient devenues plus difficiles. Ça m'a aussi poussé à aller vivre dans une ville plus grande." Pour beaucoup, les déconfinements ont donc été "une véritable libération", comme le dit Jean-Baptiste : il était enfin possible de retrouver les bars, les boîtes, les potes, la famille choisie. "C'est vraiment au déconfinement que j'ai senti que j’appartenais à une communauté et que je n'étais pas était pas seul", souligne-t-il.
Néanmoins, cette période hors du temps a permis à certains de mûrir. "Paradoxalement, je suis content que le covid m’ait permis de me concentrer sur mes études, affirme Jalil. Sans ça, je serais venu à Paris plus tôt et j'aurais pu m'immerger plus jeune dans le milieu communautaire, mais cela aurait sûrement été avec moins de maturité et j'aurais sans doute été plus facilement exposé à des situations à risque, en termes de consommation de produits ou de pratiques sexuelles." Un "reculer pour mieux sauter", résume-t-il : "En arrivant à Paris avec deux ans de plus, j'étais mieux armé."
100 ans de réflexion
Pendant les confinements, certains d'entre nous ont appris à cuisiner, multiplié les challenges vidéos avec leurs collègues ou les apéros-zoom, tandis d'autres ont profité de ce moment pour réfléchir sur eux-mêmes : des jeunes adultes ont ainsi pu prendre conscience de leur identité queer. "C'est pendant le confinement, alors que j'étais chez mes parents que j'ai commencé à me questionner sur mon identité de genre, retrace Théo, 17 ans en 2020. Je l'aurais sans doute fait tôt ou tard mais ce temps de pause m'a permis de me concentrer moi-même et de faire mon introspection."
Ines, qui avait 20 ans et qui était retournée vivre en famille, abonde : "Le confinement a agi comme un révélateur, il m'a forcée à me poser des questions essentielles sur mon identité et mes désirs. J'ai alors pris la décision de recontacter une femme que j'avais écartée par peur de m'accepter. En dépit des restrictions, j'ai réussi à la rejoindre et nous avons renoué une relation." Si cette histoire n'a pas duré, Ines garde le souvenir d'une période riche : "J'ai enfin osé aller plus loin dans l'acceptation de moi-même. En m'inscrivant sur des applications de rencontres, j'ai pu appréhender différemment les échanges, sans la pression immédiate d'un rendez-vous du fait du confinement. Par ailleurs, en découvrant du contenu LGBTQI+ sur TikTok, j'ai enfin compris qu'aimer une femme n'avait rien de honteux, que c'était beau et légitime. Tout cela a été décisif. Sans cette période de retrait imposé, j'aurais peut-être mis plus de temps à accepter qui je suis. Pour moi, le confinement a aussi été un moment clé de construction de mon bonheur actuel."
"Le confinement m'a aussi ouvert à des parties de moi que je chéris aujourd'hui."
Et le bonheur, pour certains, ça passe par le couple : le confinement a aussi pu agir comme un déclic pour tenter une relation stable. Mais est-ce si spécifique à la vie sous pandémie ? "Il est possible que le covid ait joué un rôle, à la fois par désir de reconnaissance, par désir de se poser et d'avoir un espace safe, mais il est difficile de voir une vraie relation de cause à effet, d'autant qu'une telle crise a pu aussi amener des gens à avoir envie de brûler la vie par les deux bouts", minimise Gabriel Girard. Il est difficile mesurer l’impact général des confinements sur les jeunes LGBTQI+, tant les trajectoires sont variées. Mais si cette période a laissé des traces, elle est loin d'avoir anéanti la jeunesse queer qui témoigne aujourd'hui de sa capacité à rebondir et à mieux comprendre ses aspirations profondes.
"Si le confinement a été difficile et m'a rendu vulnérable, il m'a aussi ouvert à des parties de moi que je chéris aujourd'hui, et sans lesquelles je trouverais la vie bien fade", témoigne Nathan, 19 ans en 2020. À l'époque, lui était sûr d'être hétéro – "en tout cas, je me convainquais que je l'étais". Il vivait alors dans une grande colocation entre potes, et, plutôt que de retourner chez ses parents, avait choisi de passer le confinement avec eux. Entre deux angoisses et trois applaudissements, on a tous testé des choses pendant cette période. Nathan aussi : "C'est à cette occasion que j'ai eu ma première relation avec un garçon. Mon monde et mes certitudes se sont complètement effondrées." Même si cette première histoire a tourné court, il est formel : "Le confinement a vraiment changé ma vie. Je pense que j'aurais fini par découvrir ma sexualité, mais peut-être des années plus tard ! Beaucoup de mes choix ont découlé de cette découverte sur moi : mon master en études sur le genre, mon travail dans une entreprise communautaire, mon mode de vie, mes rencontres, l'arrêt de certaines relations, le commencement de nouvelles…" S'il y a bien une chose que la tragédie du sida nous avait déjà apprise, c'est qu'il faut plus qu'une épidémie pour abattre notre communauté.
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Crédit photo : Christophe Archambault / AFP