Pour son deuxième format court acclamé, la réalisatrice Josza Anjembe propose une incursion poignante toute en subtilité dans le milieu carcéral. Il figurera au programme de FIER.E.S ET TÊTU, notre évènement digital pour célébrer nos fiertés.
Quelques années après Le bleu blanc rouge de mes cheveux, son premier essai remarqué au rayon courts-métrages, Josza Anjembe passe la seconde avec une nouvelle fiction saisissante. De parcours journalistique, avec plusieurs documentaires à son actif, cette réalisatrice native de la capitale confirme son talent avec Baltringue, une plongée empreinte de réalisme dans le secteur carcéral qui lui aura tout de même valu le prix du Meilleur film au Nova Frontier Film Festival.
L'histoire d'Issa (justement incarné par Alassane Diong), un jeune détenu qui, après deux années passées dans un pénitencier, s'apprête à retrouver sa liberté. Mais ses plans déraillent lorsqu'il fait la rencontre de Gaëtan (Yoann Zimmer), un beau blond aux airs de poète maudit qui commence tout juste à purger sa peine. Des sentiments troubles vont naître en lui, au point de remettre en question sa sortie imminente. En une vingtaine de minutes, Josza Anjembe décortique une idylle homosexuelle naissante, dans un milieu machiste et hétéronormé.
Faisant de la prison une métaphore pour le cloisonnement psychologique dont beaucoup d'hommes gays refoulés souffrent, la réalisatrice propose une exploration très sensible de l'homophobie intériorisée. Elle mise d'ailleurs sur un scénario travaillé et une photographie sobre, offrant une allure presque documentariste à son deuxième court-métrage.
Alors que Baltringue fait partie du line-up de FIÈR.E.S & TÊTU, notre Pride digitale prévue pour ce samedi 27 juin, on a échangé avec la réalisatrice pour revenir sur les origines de ce court-métrage mais également parler de la représentation des personnes queers et racisées en France.
Comment vous est venue l'idée de Baltringue ?
L'idée du film est arrivée il y a deux ou trois ans. Comme beaucoup de personnes LGBT+, j'éprouvais les plus grandes difficultés à admettre et à dire qui j’étais devenue. Et paradoxalement, plus je m’assumais, plus je devais faire face à un enfermement mental et social que je n'arrivais plus à affronter. J’ai alors commencé à me questionner à la fois sur cet enfermement – c'est l’idée de la prison dans le film – et sur les raisons de mon propre empêchement.
Combien de temps avez-vous passé à travailler sur ce court-métrage ?
Il y a eu plusieurs étapes d’écriture. Dans un premier temps, j'ai passé énormément de temps à me documenter. Je suis une femme qui met en scène des hommes. Il fallait donc les rencontrer, les interviewer et confronter ma vision des relations homosexuelles à leur réalité. La seconde étape a consisté à étudier la filmographie LGBT+. J'ai passé une année entière à regarder et décortiquer tous les films LGBT+ auxquels j’avais accès pour comprendre les enjeux posés et trouver l’endroit singulier du récit que je voulais donner à voir.
D'ailleurs, sur ce point, je considère davantage ce film comme une tentative d’explorer, y compris cinématographiquement, toutes ces questions qui me traversent et qui restent encore très largement en mouvement et à l’état de réflexion. La troisième étape consistait à mener des ateliers en prison. Écrire sur un tel univers nécessitait d’en mesurer à minima ses contours, son fonctionnement, sa violence, de comprendre ce système pour ne pas me contenter de représenter une vision qui aurait été fantasmée et donc erronée.
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Quelles sont, selon vous, les thématiques essentielles abordées par votre court-métrage ?
L’homophobie intériorisée, l’homophobie tout court, l’enfermement, l’amour.
Votre court-métrage se pare d'un nom provocateur, l'insulte "baltringue". Pourquoi avoir opté pour ce titre-là ?
L’insulte, le stigmate et ce qu’ils engagent en matière de dépréciation et de dévalorisation de soi est une réalité. Je ne voulais pas la nier. C'est comme ça que j'ai choisi de l’évoquer.
Baltringue a pour personnage principal un homme gay et noir. Que pensez-vous de la représentation des personnes queers et racisées en France ?
La question de la représentation des queers racisées ne se pose pas sans poser celle de "qui" les représente et dans quelle visée. Et plutôt que de parler de représentation, je préfère poser la question de ce qu’il advient de ces corps dans l’espace public surtout au regard de l’actualité. Il n'y a qu’à voir ce qu’il s’est passé pendant la récente crise sanitaire. Qui sont les personnes qui ont payé le plus lourd tribut ? Les agressions contre les lesbiennes et les trans, y compris racisé.e.s, n’ont eu de cesse de se multiplier pendant le confinement. Idem pour le moment que nous traversons en ce moment avec les violences policières. Les Lamine, les Adama, les Zyed, les Bouna, les Théo... Nul besoin de faire un dessin.
Trouvez-vous que le cinéma français est à la hauteur sur ces questions-là ou pas du tout ?
La réponse est dans la fin de votre question. C'est évident. Prétendre le contraire aujourd'hui, et déjà hier, c'était et c'est une façon de nier cette question ou de choisir de ne pas la traiter, sinon de la regarder.
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Les États-Unis ont eu Moonlight, un film dramatique explorant notamment la relation de deux hommes gays noirs, qui a d'ailleurs été récompensé aux Oscars en 2017. Pensez-vous qu'un tel film soit envisageable en France ? Avec un tel succès ?
La comparaison est intéressante. On accepte de comparer la France aux US quand il s'agit de cinéma mais pas pour les maux de notre société. Or le cinéma, l'art, c'est aussi une vision de cette société qui permet de rendre plus visibles les luttes que beaucoup engagent et ont engagé depuis fort longtemps. Alors oui, j’ai espoir qu’un jour, ni moi, ni quiconque n’ait à répondre à cette question.
Crédit photos : Yukunkun Productions