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PridePourquoi le drapeau arc-en-ciel ne fait plus consensus

Par Léa Fournier le 22/06/2020
Drapeau arc-en-ciel

Une cinquantaine d'associations et personnalités LGBTQ+ se sont engagées contre le racisme dans une tribune, en demandant métaphoriquement "l’ajout du noir aux couleurs de l'arc-en-ciel". Une proposition qui a provoqué de nombreux débats sur le drapeau arc-en-ciel, un symbole des luttes LGBT+ qui ne fait plus consensus.

Ajouter du noir au drapeau arc-en-ciel : une démarche anti-raciste, en réaction au mouvement international qui a découlé de la mort de George Floyd le 25 mai dernier. Cet afro-américain de 46 ans a été tué à Minneapolis, immobilisé pendant huit longues minutes sous le genou d’un policier. Depuis, le monde entier manifeste son indignation, y compris en France, où des rassemblements contre le racisme ont lieu. Des associations et personnalités LGBTQ+ ont donc voulu apporter leur pierre à l’édifice, en signant une tribune qui demande métaphoriquement à "ajouter du noir aux couleurs de l'arc-en-ciel" pour lutter contre le racisme.

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« Nous sommes toutes et tous abasourdi·e·s, indigné·e·s, révolté·e·s », écrivent-ils dans la tribune, publiée sur franceinfo. Les signataires expliquent leur démarche ainsi : « Si nous nous sommes engagé·e·s à être plus inclusif·ive·s et plus représentatif·ive·s de toutes les diversités de la société, le temps est venu de nous mobiliser plus encore aux côtés des antiracistes. »  L’initiative n’a cependant pas été du goût de tous. Sur Twitter, les opposants y vont de leurs commentaires : « Le noir n’existe pas dans l’arc-en-ciel car c’est le spectre de la lumière », « Les noirs LGBTQ+ se reconnaissent déjà dans le drapeau », « Ajouter du noir et, c'est séparer les personnes racisées du reste, et créer une ségrégation. Le contraire de l’inclusion. »

L’arc-en-ciel, historiquement inclusif

Le drapeau arc-en-ciel est aujourd’hui rouge, orange, jaune, vert, bleu et violet. Il est devenu le symbole de la fierté LGBT « à la fin des années 1970, grâce à son créateur Gilbert Baker », raconte Flora Bolter, la codirectrice de l’observatoire LGBT+ de la fondation Jean Jaurès.  En 1978, la huitième Gay Pride de San Francisco est organisée en Californie. Gilbert Baker, alors âgé de 27 ans, y participe. Cet ancien soldat de l'armée américaine devenu artiste crée une banderole faite maison. Elle est ornée de « huit couleurs, avec chacune une symbolique », précise Flora Bolter. Baker utilise le rose pour la sexualité, le rouge pour la vie, l’orange pour la guérison, le jaune pour le soleil, le vert pour la nature, le turquoise pour l’art, l’indigo pour l’harmonie et le violet pour l’esprit humain. 

« Le message du drapeau, c’était de dire qu’on ne pouvait pas nous réduire uniquement à la sexualité, qu’on était des êtres multidimensionnels », analyse Flora Bolter. « Et que la communauté LGBT était un ensemble de personnes très diverses, ce qui faisait notre richesse. » Lorsque Baker essaye de commercialiser son drapeau, il se rend compte que la couleur rose vif et le turquoise sont impossibles à adopter pour une production de masse, et laisse tomber l'indigo pour un "bleu royal".  Le nombre de couleurs passe donc de huit à six, et conserve ainsi un nombre pair. Mais Baker n’a pas choisi d’utiliser l’arc-en-ciel par hasard, comme il l’explique dans une interview à Radio Liberty en 2013. « À un niveau symbolique, ce que j’aime et ce qui est toujours pertinent aujourd’hui, c’est qu’il y a toutes les couleurs… C’est l’idée d’inclusion. » 

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Un drapeau en évolution permanente

Par la suite, le drapeau arc-en-ciel a été « décliné sous pas mal de formes », retrace Flora Bolter, la co-directrice de l’observatoire LGBT+ de la fondation Jean Jaurès. « On a toute une kyrielle de drapeaux liés à la communauté LGBT, il existe aujourd’hui des drapeaux transgenre, bi, aromantique, agenre… » Mais finalement, l’arc-en-ciel, qui se voulait universel, a dû faire de la place à des drapeaux plus spécifiques. « La difficulté avec ce qui se veut universel, c’est que c’est rarement le cas. Le rainbow flag est surtout une porte d’entrée, une façon de dire 'nous sommes des personnes LBGT+' », précise Flora Bolter.

C’est « en 2017, dans la foulée de la naissance des mouvements Black Lives Matter » que l’usage de la bande noire et/ou brune « s’est un peu généralisé aux États-Unis », poursuit-elle.  La première fois, en 2017, à Philadelphie. « Dans une autre version du drapeau, un chevron a été ajouté : un triangle avec les couleurs du drapeau transgenre, et avec du brun et du noir ». En 2019 aussi, la pride de Manchester, en Angleterre, décide d'ajouter le marron et le noir au drapeau officiel, pour inclure les personnes trans et racisées dans le drapeau arc-en-ciel. Une décision qui a fait grand bruit, alors qu'au moment de l'épidémie de sida, une bande noire avait été ajoutée en commémoration aux victimes. 

Pour Flora, ce processus montre, certes, que « les mouvements LGBTQ+ cherchent à s’ouvrir de plus en plus »... Mais cela « signale aussi qu’il y a des exclusions », explique l’experte. « C’est un mouvement de perfectionnement permanent. Si ces personnes ne sont pas représentées, ça veut dire qu’on ne fait pas bien notre boulot et qu’on est pas assez inclusifs. Donc le faire évoluer, ça me semble très bien… »

La bande noire qui divise 

Ce manque de représentation dans la communauté, c'est tout à fait le sentiment de Youssef Belghmaidi. Cette femme trans, racisée et militante de l’association Saint-Denis Ville au Cœur, qui organise la pride des banlieues populaires fait partie des personnes qui préfèrent utiliser le drapeau transgenre plutôt que le rainbow flag. Elle estime que « le drapeau arc-en-ciel a perdu de sa signification initiale »., et elle le perçoit comme « beaucoup plus comme synonyme de ‘gay’ que de ‘LGBTQ+’, car le militantisme LGBTQ+ s’est énormément focalisé sur les hommes gays et cis. » Pour elle, il faudrait justement « changer ce drapeau ». 

Comme Youssef, Florence Pic, co-fondatrice du Collectif Irrécupérable, juge le drapeau arc-en-ciel peu représentatif de toutes les personnes LGBT+, voire « utopique ». Le Collectif Irrécupérable lutte contre l'instrumentalisation raciste et libérale des luttes LGBT+. « La communauté LGBT+ est comme la société : patriarcale et raciste », estime-t-elle. « Dans notre communauté, les femmes lesbiennes et les personnes transgenres sont mises à la marge. Et les personnes racisées sont invisibilisées, fétichisées ou stigmatisées. » 

Racisme chez les LGBT+

Youssef est directement concernée. Elle vit le racisme « de bien des façons » au sein de la communauté, à la fois pour ses origines maghrébines mais aussi parce qu’elle habite un quartier populaire. « Aborder la question juste à travers le prisme de la couleur de peau, c’est insuffisant. C’est une question de culture et de rapport à la culture dominante. » L’idée d’ajouter une simple bande noire à l’arc-en-ciel ne lui plait donc pas. À choisir, elle préfère le drapeau à chevron, car « même s’il est fourre-tout, il montre une évolution ». 

Concernant l’ajout d’une bande noire au drapeau, Florence Pic du Collectif Irrécupérable s’interroge. « Est-ce que c’est pas juste du coloriage ? On ajoute une bande noire, mais qu’est-ce que ça change sur le fond ? » Car le symbole ne reste qu'un symbole. Florence voudrait que la communauté LGBTQ+ ait « une prise de conscience totale, et pas juste des annonces et des bons principes ». « On ne devrait pas à avoir à ajouter une bande noire pour que les gays blancs se rappellent que les Noirs font partie de la communauté. Je ne crois pas qu’on ait besoin de ça », se désespère la militante. « Cette initiative prouve qu’on a encore cette idée stéréotypée que les LGBTQ+ sont tous Blancs. »