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portraitLéon Salin-Chappuis, l'influenceur trans qui fait du bien à Instagram

Par Adélaïde Tenaglia le 20/07/2020
Léon Salin-Chappuis

Sur son compte Instagram, le transactiviste suisse Léon Salin-Chappuis retrace sa transition, à la manière d’un journal numérique, et milite pour une meilleure visibilité des personnes trans. Son arme : son propre corps.

Sur l’un de ses plus récents posts Instagram, Léon Salin-Chappuis s’insurge d’avoir été censuré par le réseau social. Sur cette publication, on peut voir à gauche de l’image une photo de lui torse nu et plat, acceptée par Instagram. À droite, une photo de lui quelques mois plus tôt, poitrine nue, censurée. La différence entre ces deux images : une torsoplastie. Le règlement d’Instagram interdit les photos nues de poitrines dites « féminines ». Une absurdité pour Léon : il était déjà un homme avant sa torsoplastie. Mais pour continuer d’être diffusé, il doit se plier aux règles, aussi ridicules soient-elles. Car sur sa page Instagram, qui compte plus de 9.500 abonnés, ce jeune transactiviste fait de son corps, dans tous ces états, un outil politique pour visibiliser les personnes trans.

C’est un autre compte Instagram, celui de Chella man, un transactiviste new-yorkais, qui a fait réaliser à Léon qu’il était lui-même trans, il y a près de trois ans. Ce jeune Suisse de 23 ans, avait déjà fait son coming out lesbien à l’adolescence, mais il sentait « qu’il lui manquait quelque chose ». C’est sa petite-amie actuelle, Francesca, rencontrée il y a deux ans, qui suggère la première à Léon qu’il est peut-être un homme. « La première fois qu’on a couché ensemble, se souvient Léon, elle m’a dit "en fait je viens de coucher avec un homme, là" ». À ce moment-là, aucun des deux ne s’y connaît vraiment en transidentité. « Je n’avais jamais entendu parler d’hommes trans, ou alors de façon très négative », regrette Léon. « Au début c’était assez flou, renchérit Francesca. Il avait choisi un prénom mais cela a pris du temps pour que ce soit formulé officiellement comme ‘je suis trans’. Je me suis rendu compte que je n’y connaissais rien non plus donc j’ai commencé à suivre sur Instagram des comptes qui parlaient de transidentité ».

Coming out grâce à Instagram

Au départ, Léon ne veut pas prendre de testostérone. Après tout, il n’a pas besoin de ça pour être un homme. Il fait son coming out trans auprès de ses amis, à qui il demande de le genrer au masculin. Jusqu’au jour où Francesca lui montre le compte Instagram de Chella Man. « Il décrit et montre les effets de la prise de testostérone sur ses photos, raconte le jeune Suisse. De le voir si beau, heureux avec sa copine… j’ai eu un déclic ». Sept mois plus tard, en juin 2019, Léon est sous hormones.

Entretemps, il fait son coming out auprès de ses parents, par l’intermédiaire d’une lettre délivrée par sa soeur, « une alliée géniale ». « Ma mère m’a appelé tout de suite pour me dire qu’elle était heureuse d’avoir un fils, ils sont à fond derrière moi », confie Léon, ému. « Cet épisode a marqué officiellement le début de ma transition. » Dans la foulée, il décide de créer son propre compte Instagram, pour parler de sa transition, et de la transidentité en général.  Une sorte de version francophone du compte de Chella Man. « Ce que ce compte t’as apporté à toi, tu peux l’apporter à d’autres personnes », l’encourage alors Francesca.

Car sur Instagram, il existe une vraie disparité entre les hommes trans anglophones et francophones. Les hashtags #hommetrans et #mectrans comptent environ 300 publications, assurées en grande majorité par trois comptes, dont celui de Léon, le plus visible. Le hashtags #transman, en anglais, a lui été recensé plus d’un million de fois. Comme dans un journal intime, Léon se livre tout entier sur Instagram. Son corps est le support de ses publications. Il le montre pour documenter toutes les étapes, hormonales et chirurgicales, de sa transformation physique : pilosité, forme du visage, musculature, voix. Surtout, il s’en sert pour déconstruire les clichés sur le genre, et les personnes trans. « Ma poitrine ne fait pas de moi une femme », peut-on lire sur une photo de lui en caleçon. « Ce que j’ai entre mes jambes ne définit pas mon identité de genre », lit-on sur une autre. 

« Plus j’ai d’abonnés, plus je suis en danger »

Une exposition de son intimité que Léon sait risquée : « Plus j’ai d’abonnés, plus je suis en danger », reconnaît-il. Car s'il reçoit beaucoup de messages positifs sur Instagram, il doit aussi faire face régulièrement à des vagues de haine. « La photo où on voit que j’ai mes règles a cassé internet, se souvient Léon. J’ai reçu des dizaines de commentaires haineux. Les gens me disaient que j’étais une abomination. À chaque fois que je regarde mon téléphone je me demande si je ne me suis pas fait insulter en commentaire de mes posts ».

Cette peur ne s’arrête pas à la sphère numérique. « C’est omniprésent. En plus, Genève ce n’est pas si grand, je croise souvent des gens qui me reconnaissent dans la rue ». Elle est encore plus présente dans espaces genrés. « Je me dis toujours que si un mec me reconnaît dans les vestiaires de ma salle de sport, je suis dans la merde. Et ça, je ne sais pas comment le gérer », confie-t-il.

Pourtant, il n’est pas question ne reculer, malgré certaines réticences dans son entourage. « Quand j’ai lancé mon compte Instagram, mon père m’appelait après chaque post, choqué, outré parce que je mettais des photos de moi torse nu », rigole Léon. Devant la détermination de son fils, le père du jeune suisse finit par céder. Mais il n’est toujours pas abonné à son compte. « Il est très pudique et ne comprend pas pourquoi je fais ça publiquement », explique Léon. 

Ne plus se cacher

Sa soeur Julia en revanche le comprend très bien. « Il n’a pas à avoir honte de son corps. J’ai peur pour lui, mais je ne veux pas qu’il s’habille en femme, je veux qu’il vive son identité pleinement », affirme-t-elle. Une conviction renforcée par le souvenir d’un épisode vécu avec son frère. À l’hiver 2019, Léon est déjà un homme trans, mais il n’a pas encore décidé de prendre de la testostérone, ni de faire son coming out auprès de ses parents. Dans la famille, seule Julia est au courant. On est au mois de février, et il veut inviter sa soeur et sa petite-amie Francesca au restaurant pour la Saint-Valentin.

« C’était la première fois que je le voyais depuis qu’il m’avait fait son coming out. Il avait une moustache, une chemise, il était trop beau, on sentait qu’il était épanoui », se souvient Julia. Mais au bout de quelques minutes, le trio se rend compte que les parents de Léon sont attablés dans le même restaurant, quelques mètres plus loin. « On est partis tout de suite, ça a été très dur pour lui et très marquant pour moi, qu’il doive se cacher alors que je l’avais vu si fier deux minutes avant. Et je suis sûre qu’il a dû vivre plein d’épisodes comme celui-ci ».

Au début de sa transition, sortir de chez lui était un challenge pour Léon. « Les gens ne savaient jamais comment me genrer, c’était douloureux. Aujourd’hui, ils voient que je suis un homme et m’appellent monsieur, donc je n’ai plus cette peur, c’est libérateur ». Mais il lui reste des combats personnels à mener : l’université de Genève, où il étudie, refuse toujours de l’appeler monsieur, car il n’a pas encore changé d’état civil.

Plus largement, il milite pour l’autodétermination des personnes trans en Suisse. « Aujourd’hui pour avoir accès aux hormones et aux opérations il faut avoir un certificat de dysphorie de genre. Il ne peut être délivré que par un psychiatre et ça peut prendre des années. C’est épuisant émotionnellement ». Le jeune activiste est conscient que son pays n’est pas encore prêt pour ce changement, mais il reste optimiste : « On n’a même pas légalisé le mariage gay encore… Mais l’autodétermination pour les trans existe dans d’autres pays, ça viendra, j’y crois. »

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