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coupleCouple, bonheur et préjugés : ils ont 20 ans d'écart... et alors ?

Par Nicolas Scheffer le 06/08/2020
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Jérôme et Vincent sont en couple depuis sept ans. Au départ, ils craignaient que leur relation souffre de leurs 20 ans d'écart. Mais difficile de mettre de côté l'amour...

Sur les applications de rencontre, le critère d'âge est l'un des plus fatals. Sur un profil sur trois, on peut lire "autour de mon âge". Quand ce n'est pas un "Pas plus de 30 ans" agrémenté d'un emoji sens interdit. À tel point que certains n'hésitent pas à mentir un peu sur leur âge dans l'espoir d'un date avec un garçon.

Pour cause, les couples avec une différence d'âge sont globalement mal perçus des intéressés. Les plus âgés passent pour des prédateurs. Les plus jeunes, eux, apparaissent comme cupides.

Pourtant chez les hétéros, la différence d'âge est presque une norme : dans 20% des couples, l'homme est né plus de six ans avant la femme, note l'Insee. Tandis que nous, nous avons toujours du mal à considérer la différence d'âge comme épanouissante. Et pourtant.

Vincent, 23 ans et Jérôme, 43 ans se sont rencontrés le 23 avril 2013. Ce jour-là, l'Assemblée nationale vote l'ouverture du Mariage à tous les couples. À Lille, Jérôme rejoint la manifestation qui célèbre ce jour important dans l'histoire des droits des personnes LGBT+. Dans le cortège, il fait la connaissance de Vincent, qui milite au Mouvement des jeunes socialiste. Il est accompagné d'un couple hétéro qui n'arrête pas de s'embrasser. "Eh, c'est pas la journée des hétéros, mais celle des pédés !", lâche-t-il, à l'adresse des deux tourtereaux. Mais le couple ne se laisse pas démonter : ils conseillent à Jérôme d'embrasser Vincent s'il souhaite honorer les couples LGBT+. Les deux garçons ne se font pas attendre. Pour la blague, ils passent la journée à se bécoter alors même qu'ils ne sont pas ensemble.

Un regard particulier sur les couples homos

L'amour, ça crève les yeux. Au moment de leur rencontre, Jérôme est militant au parti socialiste et bientôt candidat à l'élection municipale de Wasquehal, à quelques kilomètres de Lille. Le soir même de la manifestation, Vincent lui propose de s'investir dans sa campagne. Très vite, ils deviennent cul et chemise. Vincent lâche même la fac pour se consacrer à temps plein dans la campagne. Ils se voient tellement que dans l'équipe, tout le monde croit que le candidat et son premier supporter sont en couple. "Alors qu'on n'était pas encore ensemble, mais il y avait déjà une alchimie très forte entre nous. Lorsque je n'arrivais pas à terminer mes phrases, il le faisait à ma place. Quand je ne répondais pas au téléphone, c'est lui qu'on appelait pour me joindre", se souvient l'ancien candidat.

"Jérôme a su me redonner confiance"

À l'approche des fêtes de fin d'année, Vincent apprend que Jérôme va passer le nouvel an seul. Il annule ses plans pour lui proposer de passer la soirée ensemble. Manque de pot, Jérôme a invité un ami. Mais Vincent tient à son tête-à-tête... et s'invite à passer la nuit. Immanquablement, le couple consomme sans préméditation son amour naissant. Cette passion a été nourrie par plusieurs mois de bloquages. "J'ai été violé par un homme plus âgé alors que j'avais 17 ans. Au début, c'était impossible pour moi d'entrer dans cette relation. J'ai eu besoin de temps avant de me sentir en confiance. Ce n'était pas contre lui, mais je ressentais une peur que je ne m'expliquais pas. Nous en avons discuté longtemps. Jérôme a su me redonner confiance et me permettre de tourner la page. Je me sens bien avec lui et c'est ce qui fait son charme. Ce 31 décembre, j'avais besoin d'être avec lui", témoigne aujourd'hui Vincent. Être bien avec quelqu'un, ça n'a pas d'âge.

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"C'était une évidence que nous étions faits l'un pour l'autre, on ne pouvait pas lutter plus longtemps contre nos sentiments", raconte Jérôme. Ils ont attendu la fin de la campagne électorale pour arrêter de nier qu'ils sont en couple lorsqu'on leur posait la question. Car le regard des électeurs peut être compliqué. "Les camarades n'arrêtaient pas de nous demander. Ça crevait les yeux. On s'est embrassé le soir du résultat parce qu'il n'y avait plus d'enjeu", dit Jérôme. Vincent précise : "On avait perdu la campagne. Jérôme était en pleurs dans le local et je l'ai embrassé. Il y avait toute l'équipe autour de nous, mais je ne les ai même pas vus". Mignon.

"On a peur des freins à notre relation. Mais on se rend compte qu'ils n'existent pas"

"Désormais, tu peux dormir ici"

Mais il y avait un autre frein à leur vie de couple : Jérôme a deux enfants, Mathieu (le prénom des enfants a été modifié) et Louise qui ont déjà vécu une rupture compliqué de leur père avec leur mère. Pendant la campagne, Vincent passe régulièrement du temps avec eux et ils apprennent à s'apprécier. "Dans un premier temps, on n'a pas voulu dire aux enfants qu'on était ensemble. C'était une manière de les protéger si ça ne se passait pas comme nous l'espérions", explique Vincent. Mais ce sont eux qui sont venus vers les amoureux.

Un jour, Jérôme est avec son fils, au supermarché. Le jeune adolescent veut absolument acheter du Banania, alors que son père refuse. Le fils lui sort l'argument massue : "c'est le chocolat qu'aime Vincent. Comme ça, il pourra dormir à la maison !". Et quand il range les courses, Mathieu envoie une photo du pot de chocolat à Vincent avec ce commentaire, "désormais, tu peux dormir ici, il y a le petit déjeuner". C'est ce qu'on appelle le sens de l'accueil.

"On prend mon copain pour mon père"

Jérôme, se met à pleurer de joie. "On a peur des freins à notre relation. Mais on se rend compte qu'ils n'existent pas", insiste-t-il. À l'entendre, la seule différence repose sur les choix musicaux. Au supermarché, le couple est tout de même regardé du coin de l'oeil. "C'est parce que nous sommes deux hommes", croit savoir Jérôme. Vincent est plus embêté lorsque la caissière prend son copain pour son père. Malgré tout, il perçoit plutôt cette différence comme un avantage : "J'ai toujours évolué avec des personnes plus âgées que moi, je suis le dernier de ma fratrie. J'ai besoin d'une relation plus posée qu'avec les garçons de mon âge."

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Résultat, il n'attend qu'une chose : se marier avec son copain. Pendant un moment, c'était Louise, la fille de Jérôme, qui était contre le mariage, de peur de reproduire le schéma nocif que son père a eu avec son ex. Un jour, elle leur annonce tout de go sa bénédiction "à condition que vous vous marriez le 7 juillet 2017 à 17 heures 17. Jérôme aura 47 ans et Vincent 27. Ce sera de bon augure", lâche-t-elle dans la voiture. Il lui fallait simplement du temps.

La famille est-elle vouée à s'élargir ? Vincent prend très à cœur son rôle de beau-père lorsqu'il s'agit de faire réciter ses leçons aux enfants. "J'ai deux beaux-enfants mais je n'en n'ai pas moi-même. Ça me travaille depuis 4 ans. Je suis encore jeune, je n'ai pas encore de CDI mais le temps presse un peu", se désole Vincent. Mais contrairement à son copain, Jérôme ne se voit pas retourner au milieu des couches à presque 50 ans.

 

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