Jonas et Thibault font le show à leur balcon depuis plus de 50 jours sur des playlists aussi joyeuses qu’éclectiques. Le couple a tenu la cadence pendant tout le confinement, pour mettre du baume au cœur du « Village Cyrano » et des internautes.
« Il est 19h30. Et à 19h30, on fait quoi ? » Les voix enthousiastes de Jonas et Thibault lancent le début des festivités chaque soir dans la rue Cyrano-de-Bergerac à Paris. En réponse à cet appel, des approbations résonnent dans toute l’impasse, unanimes : « À 19h30, on danse ! » Alors, Jonas, 31 ans et Thibault, 28 ans, se mettent en scène à leur balcon pendant une trentaine de minutes. Musique à fond, micro en main, perruque sur la tête… Pendant le confinement, les deux tourtereaux ont décidé de lutter contre la solitude et la morosité ambiantes avec ces petites animations... devenues presque une occupation à plein temps !
Un spectacle pour lutter contre l’ennui
« J’étais entrain de finir les costumes quand vous avez appelé ! », nous lance Jonas, jovial, sur Facetime. Lui et Thibault sont en pleins préparatifs pour leur prochain « show ». Ce week-end, Jonas a prévu de se déguiser en sept stars internationales différentes : « Il y aura Madonna… En papier aluminium et en bolduc. »
« C’est la dernière soirée, ça va être assez dingue », s’amuse Thibault. Ensemble, ces deux bruns aux cheveux courts ont enchaîné des soirées pop, rock, électro ou encore années 80. « On a même fait une soirée à thème spéciale pour les anciens, avec du Charles Aznavour, du Jacques Brel », raconte Thibault.
L’idée de ces demi-heures de musique est venue de Jonas, inspiré par les initiatives italiennes relayées dans les médias. « J’étais très sensible à tout ce qu’il se passait en Italie. Les happenings aux balcons, les gens qui projetaient des films dans les cours intérieures à travers leurs fenêtres… », raconte le jeune homme.
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Un besoin pour le couple
Réalisateur de métier, Jonas est désœuvré et ressent le besoin de créer lui aussi. Il l’admet volontiers : au départ, il voit ces représentations comme un moyen de se faire du bien. Il aime la musique, la danse, la fête. Pas question de vivre dans « un climat trop anxiogène » pendant tout le confinement. « Je l’ai avant tout fait pour moi ! » dit-il en riant.
« Je suis tombé sur une page Facebook qui s’appelle ‘Les 10 minutes du peuple’. La page invitait les gens à voter pour trois chansons, qui étaient ensuite diffusées à 19h30. Donc on a commencé comme ça : en ouvrant la fenêtre et en diffusant les trois chansons sélectionnées. »
À la fin des morceaux, pour encourager le voisinage à applaudir les soignants, Jonas et Thibault s’époumonent dans un micro… Si certains voisins auraient crié aux nuisances sonores, les habitants de leur impasse du XVIIIe arrondissement accueillent l’initiative avec joie et incitent le couple à continuer.
« Des anges-voisins »
Jonas et Thibault ont donc décidé de faire de cette fête quotidienne un « rendez-vous collaboratif avec la rue ». Ils ont créé une adresse mail dédiée pour être directement contactés par leurs voisin, qu'ils ont inscrite en gros sur une pancarte et sur des affichettes, avec le compte Instagram de Jonas, @monchatetmoi. Ils sont en live un jour sur trois sur le réseau social. Ils se déhanchent, font de la guitare avec leur aspirateur et chantent à tue-tête dans leur micro-haut-parleur. Le couple fait en sorte que ces moments soient participatifs. Les voisins se présentent par mail, proposent des musiques, fêtent des anniversaires tous ensemble.
Leurs performances rencontrent un double succès. Sur la toile, elles sont regardées quelques milliers de fois et même parfois partagées par des célébrités, comme les chanteuses Angèle, Christina Aguilera, Axelle Red ou encore Gloria Gaynor.
Dans leur quartier, elles suscitent les applaudissements et les cris de joie. « Ils ont commencé un soir sans prévenir. Au début, c’était une dizaine de minutes. Depuis, c’est une demi-heure de musique. Ça nous change. On trouve ça génial » raconte Dzien, leur voisine de 35 ans. À 19h30 avec son compagnon, elle s’attendrit devant leur fille de 3 ans, Elona, qui « adore ça, applaudit et danse en robe de princesse ».
Géraldine, 48 ans, les qualifie d’« anges-voisins ». « Dès le début du confinement, sur leur balcon, ils nous ont couverts d’amour et de compassion. » Elle a vu les fenêtres de la rue s’ouvrir petit à petit. Au bout de quelques jours, elle a remarqué que tout le voisinage était réuni.
Au fur et à mesure, Jonas et Thibault réalisent non seulement qu’ils y ont pris goût, mais en plus, que toute la rue compte sur eux. « Tu n’as plus le choix en fait : ça ne t’appartient plus », explique Jonas. « Tu ne le fais plus pour toi, tu le fais pour les autres, pour les petites Agathe et Adèle qui attendent devant leur fenêtre à 19h28, pour les vieilles dames, seules, qui ouvrent leurs fenêtres et sont trop contentes. »
Soutien essentiel en période de crise
Jocelyne, 60 ans, vit seule dans un appartement au rez-de-chaussée de la rue Cyrano-de-Bergerac depuis dix ans. Elle n’avait jamais parlé à ses voisins des autres immeubles. « C’est Jonas et Thibault qui m'ont permis d’ouvrir les fenêtres », affirme-t-elle, émue. « Mi-mars, j’ai été très malade du coronavirus, je ne suis pas sortie pendant 18 jours. Ces garçons m’ont aidé à supporter cette période. J’attendais tous les soirs 19h30, pour timidement mettre mes oreilles sur le pas de la porte, pour capter leur énergie, leur gentillesse et leur volonté de partage. »
Pour Jonas, la crise du coronavirus devient une véritable épreuve lorsque sa grand-mère meurt du Covid-19. « En 15 jours, elle est décédée. Ça a été très très compliqué, on n’a pas pu aller la voir à Lyon. » Le soir même, les garçons doivent faire le show. À la place, ils offrent un hommage à la défunte grand-mère de Jonas. « J’ai diffusé les titres qui me rappelaient ma grand-mère et ma famille. Comme on est en live, toute ma famille s’est connectée. La rue entière a fait la cérémonie avec nous. Les voisins ont écrit son prénom avec des craies sur le trottoir. C’était incroyable. »
Une rue devenue village
En moins de deux mois, ces « petites touches d’amour » se transforment en amitiés et en projets. « Une communauté, le village Cyrano, s’est créée », se réjouissent Jonas et Thibault. Plus de quarante personnes, qui se disaient à peine bonjour auparavant, communiquent désormais quotidiennement sur un groupe WhatsApp.
Deux voisins, Cyril et Joseph, se sont eux aussi mis à faire des concerts. Un artiste de la rue Cyrano, Ruppert, a commencé à exposer chaque soir l’une de ses toiles. D’autres ont créé des drapeaux en wax, accrochés au dernier étage des immeubles pour former un ciel en fanions. Certaines ont fabriqué des masques pour toute la rue. Des riveraines racontent que chacun s’est mis à nettoyer l’impasse. Le voisinage a même mis des livres en libre service, désinfectés au préalable.
Dès que le contexte sanitaire le permettra, les joyeux voisins ont déjà prévu d’organiser un banquet tous ensemble, en faisant travailler tous les restos de la rue. Un projet de végétalisation est également en train d’éclore, alors qu’il avait échoué jusqu’à présent, faute d’implication des habitants du quartier. Pour le futur, tous en sont convaincus : le « Village Cyrano » restera soudé.
Merci à Jeanne Frank pour la photo