Renommé Identités trans: Au-delà de l'image en version française, le long-métrage salvateur de Sam Feder appose un regard inédit et nécessaire sur la représentation des personnes trans.
Historiquement, le monde de l'entertainment – qui englobe cinéma, séries ou encore littérature – n'aura jamais autant accompli d'efforts en matière de représentation trans qu'aujourd'hui. En l'espace d'une décennie, une flopée de personnalités trans se sont fait un nom sur la scène hollywoodienne, de Jamie Clayton, solaire dans Sense8, à Indya Moore, révélation de Pose. Contribuant, de fait, à une meilleure visibilité des personnes concernées dans l'espace médiatique. Néanmoins, cette lutte ne s'arrête pas là... et, surtout, existe depuis un moment.
C'est bien ce que veut prouver Disclosure (Identités trans: Au-delà de l'image), le dernier documentaire sensation de Netflix. Ajouté il y a peu au catalogue grandissant de la plateforme, ce long-métrage passe au crible le lien étroit, complexe et conflictuel qu'ont longtemps entretenu les personnes trans avec la sphère médiatique. "C'était très important de clarifier le fait qu'on ait toujours été là, avance Sam Feder, son réalisateur, lui-même trans. On n'est pas une nouveauté. Je voulais donner aux personnes trans et non-trans davantage de contexte pour comprendre notre histoire et comment on en est arrivés à une telle visibilité. Et c'était tout aussi important pour moi de ne pas perdre de vue que cette visibilité n'est pas la finalité. C'est juste un moyen pour atteindre un plus grand but".
Éclairer le passé pour illuminer le futur
En un peu moins de deux heures, Disclosure s'apparente à une incursion sensiblement chronologique de la représentation trans à Hollywood. "On sait qu'en regardant le passé, on comprend le présent et on peut ainsi changer le futur", atteste le réalisateur. Pour ce faire, Sam Feder répertorie de nombreux extraits d'œuvres de fiction – parfois anciennes (A Florida Enchantment, film muet paru en 1914), parfois plus contemporaines (le controversé The Danish Girl de 2015 avec Eddie Redmayne). Il décrypte avec acuité la façon dont ces récits-là ont dépeint les individus trans tout en analysant leur impact sociétal, déterminant ainsi s'ils ont contribué à une meilleure visibilité de cette communauté longtemps ignorée... ou tout le contraire.
Mais plus qu'une rétrospective linéaire, Disclosure est en grande partie un condensé d'interviews, où des personnes trans (et uniquement des personnes trans, précisons-le) s'expriment face caméra et partagent des bribes de leur vécu. "La plupart des gens qu'on voit dans le film sont des personnes avec qui j'ai collaboré et qui sont devenues mes amis, confirme Sam Feder. Et les conversations que l'on retrouve dans le docu, on les a depuis des années". En découle une vision presque kaléidoscopique de la transidentité, thématique aussi complexe et nuancée que les individus concernés. Car s'il y a bien une chose que met en lumière ce documentaire, c'est qu'il n'y a pas un vécu trans universel, mais des parcours pluriels et singuliers.
Ce contenu n'est pas visible à cause du paramétrage de vos cookies.
Au fil de sa narration, le documentaire brasse des réflexions minutieuses, souvent bien articulées par les invités devant l'objectif de Sam Feder. Pêle-mêle, on retrouve ainsi Chaz Bono (dont la transition avait fait l'objet d'un docu sorti en 2011, Becoming Chaz), Angelica Ross, Jen Richards ou encore Laverne Cox, d'ailleurs coproductrice de Disclosure. Chacune des personnes impliquées cherche avant tout à éduquer un public potentiellement ignorant. Grâce à elles, le film décortique plusieurs sujets habituellement sous-exploités, comme la transphobie dans le milieu queer ou encore les répercussions néfastes que peuvent avoir les films portés par des acteurs cis endossant des rôles trans sur la société.
Un projet inclusif et politique
La spécificité de Disclosure, c'est aussi son engagement hors-champ. En effet, dans les coulisses, Sam Feder a fait son maximum pour s'entourer uniquement de personnes trans, ou presque. "Derrière la caméra, on a priorisé l'embauche d'employés trans, stipule le documentariste. Et quand ça n'était pas possible, on engageait quelqu'un pour servir de mentor à une personne trans afin d'apprendre le métier. C'était vraiment un échange, puisque les employés trans apprenaient sur le terrain et partageaient en même temps leur histoire avec leurs mentors".
À LIRE AUSSI – Les anciens élèves de Poudlard prennent la parole contre J.K. Rowling, elle répond
Un effort fructueux à en croire le principal intéressé, puisqu'une des éclairagistes cis du projet est retournée à son université après la mise en boîte de Disclosure et s'est démenée pour mettre en place un stage de sensibilisation à la transidentité dans son établissement. "Ça m'a époustouflé, confie Sam Feder. J'ai alors réalisé que si un petit projet indépendant pouvait contribuer à faire ça, les projets issus des gros studios n'avaient vraiment aucune excuse".
Ouvrir le débat
Le réalisateur espère maintenant que le secteur de l'entertainment hollywoodien enclenchera une remise en question. Dans un premier temps selon lui, il s'agirait de cesser les castings de personnes cis pour incarner des personnages trans, sous prétexte qu'il faille choisir le plus méritant. Une explication biaisée et bancale que Sam Feder a en horreur.
"Cet argument me rappelle mes années fac, déclare-t-il. On disait à l'époque qu'il ne fallait pas étudier l'histoire des femmes parce que c'était plus logique d'étudier l'histoire de tout le monde. Or ça efface les dynamiques de pouvoir qui sont présentement en jeu. Alors oui, idéalement, tout le monde peut raconter n'importe quelle histoire sous n'importe quelle forme. C'est une utopie où il n'y a pas de répercussions à l'histoire que tu racontes. Mais ça n'est pas le cas, pas aujourd'hui. Les personnes trans ont du mal à trouver du travail de manière disproportionnée, elles n'ont pas aussi facilement accès à des soins et à un hébergement que les personnes cis, et elles sont brutalisées, non seulement dans les rues mais aussi au yeux de la loi. Il y a une épidémie de meurtres chez les femmes trans, et encore plus chez les femmes trans noires. C'est ça, la réalité dans laquelle on vit et on ne peut pas avoir ce débat sans prendre en compte cette réalité".
Cependant, malgré son amertume légitime envers le microcosme hollywoodien, Sam Feder relativise. Il garde espoir et estime que la transidentité est en voie d'être mieux considérée dans les années à venir. "Je pense qu'on est à une étape charnière où l'industrie est prête à nous entendre, avance-t-il. Mais de là à comprendre vraiment en profondeur les choses, je pense qu'il y a encore un sacré bout de chemin". En croisant les doigts pour que Disclosure, avec son rayonnement international rendu possible par Netflix, aide à faire avancer la discussion.
Crédit photo : Ava Benjamin Shorr/Netflix