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cinéma"Le film dépasse le sujet de la transidentité" : rencontre avec le réalisateur et l'actrice de "Lola vers la mer"

Par Romain Burrel le 10/12/2019
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Lola vers la mer raconte l'histoire d'une jeune fille transgenre qui fait face à un père intolérant incarné par l'acteur Benoît Magimel. Rencontre avec son réalisateur Laurent Micheli et la jeune actrice Mya Bollaers.

C'est son premier film. Mais elle crève l'écran. Dans Lola vers la mer, la comédienne belge Mya Bollaers campe une adolescente trans insoumise, aux prises avec un père qui n'accepte pas son identité (Benoît Magimel). Le deuil, celui de la mère de Lola, va réunir ces deux êtres qui ne se comprennent plus mais s'aiment encore.

En confiant ce rôle à une actrice elle-même trans, Laurent Micheli réussit le miracle dont le cinéma, qu'il soit francophone ou hollywoodien, est si souvent incapable : respecter l'identité des personnes transgenres. Ce détail qui compte aurait pu se retourner contre le film s'il n'était qu'une énième coming out story gorgée de pathos. Mais Lola vers la mer est un film généreux et rafraichissant. Poignant et juste. Dur et doux. Engagé et nécessaire.  TÊTU a voulu réunir le cinéaste et son actrice pour revenir sur la genèse d'un film dont on n'a pas fini de parler. Jusqu'aux Césars ?

Mya, c’est ton premier film. Jusqu'ici tu n’étais pas actrice et voilà que tu exploses dans Lola vers la mer. Comment as-tu obtenu ce rôle ?

Mya Bollaers : J’ai répondu à une annonce publiée sur les réseaux sociaux. L’équipe de casting cherchait des personnes trans pour interpréter Lola. Je me souviens, c’était un dimanche et je n’avais rien à faire de particulier. Je me suis dit: « Je vais répondre, je n'ai rien à perdre ». La directrice de casting, Karen Hottois, m’a demandée de lui envoyer une video de présentation que j’ai faite dans la foulée. Une dizaine de jours plus tard, elle m’a recontactée. On a organisé une première rencontre à Bruxelles où j’ai vu Laurent pour la première fois.

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Laurent, c’était inenvisageable de confier ce rôle à une actrice cisgenre ?

Laurent Micheli : Inenvisageable ! Pour moi, il n’y avait pas de plan B. C’est pour ça que j’ai commencé le casting bien plus tôt que d’habitude, un an et demi avant le tournage. Je ne savais pas si ça allait être facile ou non de trouver une personne trans ou non-binaire qui serait à même d'incarner Lola. C’est un rôle exigeant et un rôle principal. Quand on le confie à une jeune fille de 18 ans qui n’a jamais joué de sa vie, ça implique un temps de formation et de répétition conséquent. Ce qui est chouette, c’est que j’ai toujours été suivi par mes producteurs. Ils ne m’ont jamais dit « Bon, prends une actrice cisgenre, ça sera plus simple ! ».

"Le film dépasse le sujet de la transidentité" : rencontre avec le réalisateur et l'actrice de "Lola vers la mer"
Laurent Michel et Mya Bollaers sur le tournage de "Lola vers la mer".

Pourtant, c'est encore un réflexe largement partagé dans le cinéma de confier ces rôles à des personnes non-concernées par la transidentité. On l’a encore vu récemment avec le film Girl de Lukas Dhont ou la polémique autour d'un film où Scarlett Johansson devait jouer un homme transgenre...

Laurent : On vit une époque où cette prise de conscience est nécessaire. Idéalement, les personnes trans pourraient jouer des rôles cisgenres. Et les actrices cis, des personnage trans. Mais on n'y est pas encore. Il faut donc oeuvrer pour la visibilité. Il faut faire en sorte que les personnes concernées puissent se réapproprier leurs histoires, leurs vécus. C’est donc un geste politique. Mais cinématographiquement, ça m’intéressait aussi de filmer une fille trans. Lorsque j'entends certaines personnes critiquer le film à cause d'un un plan de trois secondes sous la douche où l'on voit un peu de nudité, je ne suis pas d'accord. Il faut faire super gaffe à la censure. J’ai envie de filmer le corps d’une personne trans de la même manière que celui d’une personne cis. Il ne faut pas cacher les corps. Au contraire, il faut les montrer ! Ces corps existent, ils font partie du monde, de la société ! Ma démarche, c’est de décloisonner les choses.

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Mya, te considères-tu comme une personne militante ? Est-ce que tu perçois toi aussi ce film comme un geste politique ? 

Mya : Plutôt, oui. D'ailleurs, ce coté militant est quelque chose qui m'a rassuré. Quand j'angoissais un peu, Laurent était là pour me rappeler qu'il s'agissait d'une oeuvre de fiction. Que ça n’était pas la réalité...

Laurent : Cette envie de faire un film qui parle d’une personne trans comme on estime qu’il faut en parler, c’était quelque chose qui nous réunissait. Je vais dire un truc un peu culcul mais on avait vraiment le sentiment que c’était plus grand que nous. Il fallait dépasser nos peurs.

"Mais j’ai bien conscience que chaque parcours, chaque personne trans, est différente."

Mya : Exactement. Mais j'avais parfois peur qu’il y ait des choses dans le scénario qui ne soient pas proches de la réalité. Certes, je suis moi-même concernée par la transidentité. Mais j’ai bien conscience que chaque parcours, chaque personne trans, est différente. Il y a autant de personne trans que de façon de vivre sa transidentité. Alors je ne voulais pas qu'on schématise. Bien sûr, c’est une fiction, c’est l’histoire de Lola. Mais il fallait aussi laisser comprendre que ce n’était pas l’unique modèle de transition. C’est pour ça qu’il y a certaines répliques, certains passages dans le film dont on a beaucoup discuté avec Laurent. J’ai moi-même pu apporter quelques phrases, modifier quelques répliques.

Peux-tu nous donner un exemple ?

Mya : Il y a une scène au restaurant où Lola dit à son père: « De toute façon que je fasse cette opération ou pas, ça change rien au fait que je sois déjà une femme. Il faut l’accepter ». C’est une réalité. Beaucoup trop de gens considèrent que si une femme trans n’est pas opérée, si elle n'a pas subi de vaginoplastie, elle n'est pas vraiment une femme. Et bien si ! Et je n’avais pas envie que le film véhicule l’idée qu’il faut être opérée pour être une femme. On a beaucoup discuté avec Laurent pour ne pas exclure des personnes trans qui ne se retrouveraient pas dans une transidentité qui ne passerait que par une opération.

Laurent : L'opération de réassignation de Lola fait partie de son vécu. Mais ça n’est pas central dans l’histoire. Ça surgit dans l’intrigue puis ça disparait.

"Le film dépasse le sujet de la transidentité" : rencontre avec le réalisateur et l'actrice de "Lola vers la mer"

Lola est un personnage assez dur. C'est une fille qui sait exactement qui elle est et elle ne laissera personne d'autres, pas même son père la contredire. Le tournage a-t-il été éprouvant ?

Mya : Non. J’ai passé un super moment. Laurent s’est entouré de personnes extrêmement bienveillantes. Les techniciens, la régie... Même la cantinière était super à l'écoute. Par exemple, je suis végane. à elle me préparait des plats végétariens. Cette bienveillance allait au-delà du seul respect de ma transidentité. Elle prenait en compte toute ma personne. Et ça, j'adore !

Laurent : Pour moi faire un film, ce n'est pas juste une posture, c’est tenter de changer les choses. Il faut que le tournage soit à l’image de ce que le film veut défendre. Je voulais que Mya se sente bien. Pour parvenir à ce climat, un jour j'ai réuni toutes mes équipes autour d'une table et je leur ai dit: "Si vous avez des questions sur la transidentité, posez-les maintenant. Après, on passe à autre chose. Et s’il y’a un seul acte de malveillance qui survient, ça va très très mal se passe. Moi je vous choisis vous, mes chefs de postes. Vous choisissez votre équipe. Sachez qu’il faut choisir ses membres avec beaucoup de soin. On ne va pas commencer à faire venir sur un plateau des gens irrespectueux !"

Mya : Je n'ai jamais eu de questions déplacées de la part de l'équipe. Parfois j'ai fait face à un peu de curiosité personnelle mais pas à l'égard de ma transidentité. Par exemple, on m’a demandé :« Est-ce que tu préfères les filles ou les garçons? » J'ai fait une réponse totalement floue. J’aime bien brouiller les pistes. (rires)

"Avec Benoît, on s'est pas mal fritté dans la réalité"

Mya, face à toi, il y a une bête de cinéma, Benoît Magimel. Il a un rôle pas facile. Celui d'un père transphobe qui n'accepte pas la transition de son enfant. C'était difficile de séparer le rôle et l'acteur ?

Mya : Avec Benoît, on s'est pas mal fritté dans la réalité. C’était inévitable. Lorsqu’on sort d’une scène de violence folle, on n’a pas envie de faire un câlin à son partenaire de jeu dans la seconde qui suit ! (rires) Ce que je retiens du tournage avec Benoît, c'est qu’il a 32 ans de carrière. Même si en amont, j’ai eu des mois de préparation et des coachs de jeu pendant un an et demi, Benoît, c’est la meilleure école. Grâce à lui, j’ai appris beaucoup de choses. En terme de nuance de jeu, de façon d’incarner un personnage, d’interagir avec l'autre... Rien que par sa présence, il me nourrissait.

"Le film dépasse le sujet de la transidentité" : rencontre avec le réalisateur et l'actrice de "Lola vers la mer"

Dans l'interview qu'il a accordé à TÊTU et publiée dans le nouveau magazine, Benoît Magimel nous explique qu’il a eu des moments où il avait conscience d’être brutal avec toi. Des moments où entre les prises il te disait: "Chiale pas. T’as pas le droit de pleurer. Lola elle est forte, elle ne pleurerait pas". Ca ne t'a pas blessée ? 

Mya : Je me souviens très bien de la scène dont il parle. Et c’est vrai qu’il était dur. Mais encore une fois, c’était entouré de bienveillance. Il faut le comprendre. Benoît ne voulait pas que mon personnage puisse paraitre misérable ou faible. Il m’a dit "Lola, elle est forte face à son père. Elle n’est pas dans le doute. Elle n’est pas dans la tristesse. elle se bat." Et il avait raison.

Laurent : J'ai tendance à penser que si un personnage comme celui de Lola doit chialer, c'est soit tout seul, soit avec son meilleur pote. Elle a un comportement de combattante. Elle se dit « Je tiens face au monde », face à une société qui la fait chier. On ne voulait pas la réduire à quelque chose de misérabiliste. 

"Lorsque j'ai annoncé à mes parents que j’étais homo, j'étais assez agacé de voir qu'ils mettaient du temps à l'accepter."

Le cinéma présente souvent les personnes trans comme des victimes. Là, on a un personnage fort qui tient tête à un père. Diriez-vous que le personnage de Magimel représente en quelque sorte la transphobie de la société ?

Mya : Exactement ! Comme des personnes en souffrance.

Laurent : A priori, une personne trans va bien d’elle à elle-même. La transidentité n’est pas une chose si compliquée à vivre que ça. C’est dans le regard des autres que se situent les difficultés. Je trouve dangereux de dire que c’est un « problème de soi à soi ». Parce que ça amène la transidentité sur le terrain de la psychiatrie. Au contraire, il s’agit de dire : "Si on laisse les gens vivre ce qu’ils sont sont. Ils le vivent bien." Effectivement Philippe, le personnage joué par Benoît Magimel, est une sorte de métaphore de ce qu’est la société. Le regard qu'elle porte sur les personnes trans, comme sur les autres minorités. C’est important de dire que c’est ce père qui doit évoluer. Mais en même temps, je ne voulais pas le diaboliser. C’est un père maladroit. Perdu. Je ne pense pas que ce soit un père malveillant qui veut du mal à son enfant. Mais la transidentité de sa fille interroge dans sa paternité.

"Le film dépasse le sujet de la transidentité" : rencontre avec le réalisateur et l'actrice de "Lola vers la mer"

C'est aussi un personnage en chemin...

Laurent : Tout ça part de mon histoire intime : mon coming out lorsque j’étais ado. Lorsque j'ai annoncé à mes parents que j’étais homo, j'étais assez agacé de voir qu'ils mettaient du temps à l'accepter. Et puis je me suis dit: "Attends, Laurent. T’as eu des années pour réfléchir dans ton coin à la question. Tu peux leur laisser cinq minutes, histoire qu'il digère l'info !" (rires) Et je pense que c’est la même chose. Ecrire ce personnage, c’était aussi permettre à un autre type de spectateurs de rentrer dans le film par une autre porte. Lui permettre de s’identifier. Il y a des gens qui s’identifient au personnage de Lola, d’autres à celui de Philippe. Ces gens-là doivent entrer dans le film. Il faut parvenir à leur parler. Et ça fonctionne. A la fin des projections, des gens viennent nous voir et nous disent: « Je n’y connaissais rien à ce sujet. Maintenant, je n’ai qu’une seule envie, c’est d’aller me renseigner parce que je me sens un peu ignare. » On n’est pas là pour faire de la pédagogie. Ça reste un film de cinéma. mais ça fait du bien !

Est-ce qu'avant d'entamer l'écriture d'un film, on regarde tous les films traitant de la transidentité ?

Laurent : J’en ai vu beaucoup, oui. Pas tous ! Mais j'en avais vu des tas bien avant l’écriture de ce long-métrage car ce sujet m’intéresse. J'ai vu pas mal de films, de docus, j'ai rencontré de nombreuses personnes trans, des parents et d’enfants de personnes trans... C'est important de se demander: qu’est-ce qui a été fait ? Quels points de vues ont été adopté ? Il y a des films qu’il m’ont vachement plu. Une femme fantastique (de Sebastián Lelio, ndr) par exemple est un film qui m’a beaucoup touché. Parce que cette actrice, Daniela Vega, est magnifique et qu’elle n’est pas résumée à sa seule transidentité, il y a quelque de chose de plus vaste dans ce film. C’est une femme qui aime et qui s’assume pleinement.

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De son aveu, Mya n'est pas très cinéphile. Est-ce que c'était délicat de diriger une actrice débutante ?

Laurent : C’est à la fois un gros atout est aussi une énorme difficulté. (rires) Tu demandais tout à l'heure si le tournage avait été éprouvant. Je suis content que Mya dise que non... J’ai plutôt tendance à dire que oui ! Il avait de beaucoup de pressions, beaucoup de responsabilités... Et donner le premier rôle à quelqu’un qui n’avait jamais joué la comédie, c’était vraiment anxiogène mais je l’ai assumé du début à la fin. Mya est quelqu’un que tu dois aller provoquer. Ça demande plus de travail en terme de direction d’acteur. Et ce n'est pas grave. Tu n’as pas en face de toi quelqu’un qui possède un bagage technique de jeu. C'était un duo particulier car tu ne diriges pas de la même manière quelqu’un qui a fait 80 films et quelqu’un qui en a fait zéro. (rires) Mais il faut faire en sorte qu’ils soient au même niveau de jeu. On en parlait beaucoup avec Benoît. Notamment de la manière dont quelqu’un qui n’a jamais joué apporte quelque chose de naturel. Et comment ça déstabilise un acteur ultrabalisé dans sa technique. C’était passionnant comme travail.

"Je voulais faire un film universel avec un personnage qui a une singularité."

Le grande partie du film se passe dans une voiture. C'est à la fois un huis clos et un roadtrip. C'était aussi l'occasion de montrer un peu la Flandre ?

Laurent : Pas vraiment. Mais lorsque tu quittes Bruxelles en bagnole, après 30 minutes, t’es en Flandre. Donc il fallait bien en faire quelque chose ! (rires) Du coup, d'autres questions ont surgi. Qu'est-ce que cela signifie de vivre dans ce pays où l'on parle plusieurs langues ? Un pays très segmenté, où on ne se mélange pas beaucoup... Je me suis dit que je devais m'en servir. Il y a enfin des réalisateurs qui commencent à mélanger les deux langues dans un film. Mais c'est rare que des acteurs flamands et wallons se retrouvent dans le même projet. J’étais ravi de travailler avec des actrices flamandes.

Le film montre le travail de deuil et de dialogue. C'est un trajet physique. mais c’est aussi un trajet métaphysique et spirituel. Ce père et cette fille voyagent dans leur relation. Ils vont vers leur passé. Je voulais faire un film universel avec un personnage qui a une singularité. Certes, Lola est trans mais le film dépasse aussi ce seul sujet. Il vient aussi interroger ce que sont les rapports filiaux. C’est quoi l’amour filial ? C’est une recherche identitaire pour elle mais surtout pour le personnage du père. Lui aussi est vraiment en train de se demander qui il est. Il se rend compte qu’il n’a pas été le père qu’il rêvait d’être. Ni le mari qu’il croyait d’être… C’est un mec qui se prend plein de trucs sur la gueule. Lola, elle, sait bien mieux qui elle est que lui !

"On voit bien qu'il y a une recrudescence de transphobie et d’homophobie ! On est dans une période où il faut s’engager !"

Il y a un très joli second rôle dans le film. Une très belle relation entre le personnage de Samy Outalbali (que l'on retrouvera au casting de la saison 2 de Sex Education sur Netflix) qui joue Samir, un jeune gay viré de chez lui, et le personnage de Mya. Il y a une belle fraternité entre un garçon gay et une fille trans. C'est une façon d'appeler à l'amour entre deux communautés qui ne se côtoient ou ne se comprennent pas toujours ?

Laurent : Je crois. Il y a quelque chose qui ne se définit pas dans la relation entre Lola et Samir. J’avais envie de parler de la fraternité et de la sororité. Selon moi, les minorités doivent se fédérer. Il doit y avoir une convergence des luttes. On doit tous et toutes ensemble faire bloc face à un monde souvent hostile. Ce film est là pour dire : il y a une possibilité de se réunir, d’être ensemble. C'est une notion très importante dans ma vie. Je me considère comme une personne queer. Le fait que je sois homo est politique, c’est quelque chose dont j’ai envie de me servir. Je suis hyper effrayé par le fait que beaucoup de personnes LGBT abandonnent les luttes et qu'elles votent même à la droite de la droite par exemple...

Ca a commencé à me faire peur il y a très longtemps. Quand j’ai lu le livre de Didier Lestrade « Pourquoi les gays sont passés à droite ». Je me suis dis : "Comment c’est possible ?" Parce qu'on aurait atteint une sorte de confort, parce qu'on se sentirait protégé, on ressentirait une sorte de luxe de protection car la société nous accueille enfin, alors soudain le reste des luttes disparaitrait ? C’est vachement égoïste ! Il reste encore beaucoup de boulot ! On voit bien qu'il y a une recrudescence de transphobie et d’homophobie ! On est dans une période où il faut s’engager ! Le cinema, selon moi, doit servir à cela. Je veux qu'un engagement sous-tende mes films. Je ne veux pas faire un documentaire militant. Je veux faire de la fiction. Je veux raconter des histoires. Mais je veux parler du monde. Et de ce qui m’anime moi.

"Le film dépasse le sujet de la transidentité" : rencontre avec le réalisateur et l'actrice de "Lola vers la mer"

Mya, tu es sur la liste des révélation pour les prochains Césars. Est-ce que cela vient déjà conforter ta carrière en tant qu'actrice ? 

Mya : Évidemment, je suis contente. C’est déjà une réussite en soi. Il me semble que c’est la première fois qu'une femme trans apparait dans cette liste en France. D’un point de vue politique, c’est super. Mais je veux prendre les choses avec une certaine distance. Quant à ma carrière, je vais être directe : des films dont le sujet est la transidentité, il ne s'en monte pas tous les jours. Quand bien même, on n’aurait pas envie de voir la même actrice dans chacun d'entre eux ! Pour tout dire, je ne suis pas certaine que le cinéma français soit prêt à confier des rôles de femmes cisgenres à des femmes trans... C’est pour ça que je ne me projette pas dans cet avenir-là. Je ne me ferme pas la porte non plus. Mais je n’y mets aucune ambition. C’est une façon de me protéger. Je vais sûrement reprendre des études de psycho l’année prochaine. J'aimerais devenir une psychologue trans pour aider les personnes trans. Ça me parait pas mal !

"Comment peut-on être transphobe à ce point ?"

Lola vers la mer a été présenté au festival du film d’Angoulème. Et le soir de la présentation, Dominique Besnehard, producteur et délégué général du festival, t'a mégenré et tu l'as très mal vécu. Que s'est-il passé ?

Mya :  Ce qui s’est passé c’est qu’en trois minutes, en deux mots, on a invalidé ma féminité. Il a nié qui je suis. Ce sont des années de construction pour parvenir à avoir confiance en soi. Pour savoir qui on est. Pour se construire. Il ne se rend pas compte de la violence que c’est pour une personne trans que de recevoir des propos pareils. Rien que d’en parler là, je suis émue. (Les yeux de Mya se gonflent de larmes, ndr) Je peux pas dire qu’il voulait me blesser… Mais si il a aimé le film, si il l’a sélectionné pour son festival et qu’il insiste pour le présenter, comment peut-il être transphobe à ce point ? Je lui ai envoyé un mail pour lui expliquer ma façon de voir les choses. Mais il ne m’a jamais répondu.

>> Lola vers la mer, de Laurent Micheli, avec Mya Bollaers et Benoît Magimel. Sortie en salles 11 décembre 2019. 1h30.

Crédits photos : © Kim Leleux