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interviewPauline Peyraud-Magnin : "Il y a beaucoup plus d'ignorance que d'homophobie"

Par Florent Métois le 10/11/2020
Pauline Peyraud Magnin

La gardienne de l'Atlético de Madrid et de l'équipe de France de football, Pauline Peyraud-Magnin, a fait cet été son coming out dans un post Instagram. Pour TÊTU, la joueuse de 28 ans a accepté de se confier longuement, peut-être pour la dernière fois, sur son orientation sexuelle.

Dans le monde du football, Pauline Peyraud-Magnin a un palmarès des plus solide. À 28 ans, la gardienne passée par l’Olympique Lyonnais et Arsenal compte une Ligue des champions, trois titres de championne de France et un d’Angleterre, ainsi qu’une Coupe de France. En juillet dernier, elle quitte l’Angleterre pour relever un nouveau défi dans les cages de l’Atletico de Madrid.

Pourtant, l’entretien qu’elle nous accorde ne concerne pas ses prestations footballistiques. Le 27ı août dernier, la Lyonnaise poste une photo sur Instagram où elle s’affiche aux cotés de sa petite-amie Camille dans un des parcs de sa nouvelle ville. Ce qui devait être, selon elle, un post anodin est devenu un coming out médiatique. Elle décide alors d’assumer une orientation sexuelle qu’elle n’a jamais cachée. La gardienne n°1 de l’équipe de France depuis septembre est aujourd’hui la première footballeuse française en activité à assumer ouvertement le fait qu’elle soit lesbienne.

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Vous avez fait votre coming out public à la fin de l’été. Etait-ce quelque chose de réfléchi ? 

Pas du tout. Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait des retombées médiatiques ou à ce que des journalistes me posent la question. Et suite à ça, je me suis dis "pourquoi pas le dire ouvertement". Après, je ne suis pas quelqu’un qui me cache, je réponds honnêtement. 

Vous redoutiez le fait d’assumer votre homosexualité médiatiquement ?

Pour moi, c’était quelque chose de banal. Je suis contente des réactions.  Je me suis dis que ça me dépassait, que ça allait au-delà de ma personne. J’appréhendais un peu les réactions, c’est vrai, mais pas dire qui j’étais. Ça, tout le monde le sait, je ne cache rien. Je me dis aussi que ça peut servir à des jeunes, afin qu’ils comprennent qu’il ne faut pas avoir peur.  J’ai reçu un nombre incalculable de messages positifs comme "Merci à toi d’ouvrir cette porte". En revanche, je tiens vraiment à dire que je n’ai reçu aucun message négatif. 

"Je ne me suis jamais dis que je n’étais pas normale, ou que c’était anormal d’être attirée par les filles."

De nombreuses personnalités qui font leur coming out médiatique craignent parfois de devenir le porte-étendard de la communauté LGBT+. Ça a été le cas pour vous ? 

Je n’ai pas fait mon coming out pour ça. Mais c’est une cause qui me touche, notamment parce que je suis lesbienne. Quand j’entends des histoires d’ami.e.s à moi qui se sont fait rejeter, qui ont vécu des choses immondes, je me dis que je ne peux pas ne pas parler. Il y a deux sortes de personnes : les homophobes et les ignorants. Et il y a beaucoup d’ignorance. Probablement plus que d’homophobie. 

Êtes-vous d’accord avec Megan Rapinoe quand elle déplore l’absence de soutien contre les LGBTphobies de la part de grands footballeurs ? 

C’est toujours compliqué de dire ce que l’on pense quand on est un ou une sportif.ve. Cela peut susciter beaucoup de réactions. Je me mets à leur place aussi. Je suis d’accord, sur le principe, avec Megan Rapinoe, parce que ça pourrait faire avancer les choses, mais est-ce que le monde est vraiment prêt pour ça ? 

"En France, faire changer les mentalités, dans le foot comme ailleurs, sur les questions LGBT+,  ça prend plus de temps."

Dans un entretien accordé à L'Equipière, vous avez dit : “En Angleterre et en Espagne, je me suis rendue compte que c’était normal" [d’assumer son homosexualité]. C’est triste que ce ne soit pas le cas en France.” La France est donc en retard selon vous sur les questions LGBT+ dans le sport ? 

Oui, clairement ! Ce n’est pas péjoratif mais en France, j’ai l’impression qu’on est peut être un peu plus conservateurs qu’en Espagne ou en Angleterre. Faire changer les mentalités, dans le foot comme ailleurs, sur les questions LGBT+,  ça prend plus de temps. Je crois qu’il faut continuer à  parler de ces choses-là. Je suis persuadée que plus on va en parler, moins on va en entendre parler. Ça va se normaliser. 

En juin dernier, vous avez également dit à RMC Sports que vous ne vouliez pas rentrer en France pour la suite de votre carrière, que vous aviez “envie de continuer de découvrir d’autres choses”. Le fait que la France ne soit pas aussi ouverte sur les questions LGBT+ pèse-t-il aussi dans ce choix ?

Non, c’est un choix purement sportif. Mon homosexualité ne m’a d’ailleurs jamais interdit quoi que ce soit, ne m’a jamais coincé. Je sais que je suis lesbienne depuis que je suis toute jeune, et ça n’a jamais été vraiment un élément que j’ai pris en compte dans mes choix de carrière. Tout le monde parle d’un coming out médiatique mais moi, mon coming out, je l’ai fait quand j’avais 15-16 ans. 

Comment ça s’est passé ? 

Pour la petite anecdote, quand je l’ai dit à ma mère, on était devant la télé. Elle regardait son émission et moi, à un moment, je baisse le son. Elle me dit "pourquoi tu baisses ?". Je lui ai répondu "J’ai quelque chose à te dire. Voilà, je préfère les filles." Elle a dit "Tout ça pour ça ?" (rires) Après, elle est venu me voir et m’a dit : "Tu es qui tu es et je t’aimerai tout autant". Mon père l’a su, ma soeur puis tous mes proches. Et après, je ne l’ai plus jamais caché. D’ailleurs, dans ma famille, quelqu'un m’a dit, avec plein de bienveillance, évidemment : "Tu n’as pas choisi la vie la plus simple". Je ne suis pas d’accord ! C’est à toi de te la rendre plus simple, en n’attachant pas autant d’importance à l’orientation sexuelle des gens.

"J’ai déjà connu des petites piques dans la rue, des regards appuyés, ou alors des gens qui passent et qui sortent des insanités. Mais à un moment, on n’y prête plus attention. À quoi bon ?"

C’est à cet âge-là que vous avez pris conscience de votre homosexualité ? 

C’est une très bonne question. Tout le monde pense que ça nous tombe dessus. C’est un peu vrai. Ça peut nous tomber dessus comme une évidence. Mais pour ma part, avec le recul, je pense que je le savais bien avant. Jusqu'à mes 16 ans, je ne me posais pas la question si je voulais être avec un garçon ou avec une fille. Pour moi, je m’éclatais au foot et c’est tout ce qui comptait. Après je me suis dis, "ok, les garçons c’est pour être mes amis et je préfère les filles".

Je vis dans une famille relativement ouverte et on m’a toujours accompagnée. Je me suis entourée de gens ouverts, avec qui on ne se posait pas la question. Au lycée, on était une quinzaine d’amis, il y avait tous les styles de personne et on vivait bien ensemble. Ce n’est pas notre orientation sexuelle qui nous définit. Après, c’est un choix, soit on l’assume ou soit on se cache parce qu’on a peur ou qu’on a pas de soutien. Et c’est ce qui est malheureux. Quand je rencontre quelqu’un, je ne dis pas "Bonjour, je m’appelle Pauline, j’ai 28 ans et je suis lesbienne". Ça vient dans la discussion. Si tu ne l’acceptes pas, on ne va pas être potes, mais je peux comprendre que ça te dérange. J’ai l’impression que les gens font parfois une fixette là-dessus, alors que ça ne devrait pas être un sujet.

Vous avez déjà été victime de remarques ou d’insultes homophobes ? 

Oui, j’ai déjà connu des petites piques dans la rue, des regards appuyés, ou alors des gens qui passent et qui sortent des insanités. Mais à un moment, on n’y prête plus attention. À quoi bon ? Si je dois réagir à chaque fois… Qu’on réponde ou qu’on réponde pas, ce sera pareil. À une époque, j’avais les cheveux plus courts qu’aujourd’hui, je ne m’habille pas de manière très “féminine” non plus et je ne me maquille peu voire pas du tout... Quand j’arrive dans un magasin et qu’on me dit "Bonjour jeune homme". J’ai 18 ans et je suis prépubère, c’est ça ? (rires) Après, ça me fait rire. Par contre, ce qui est triste, c’est d’arriver encore aujourd’hui, à des actes de violences ou d’agressions.

"J’ai décidé de prendre la parole, non pas pour changer les choses, mais pour, peut-être, amener d’autres athlètes à faire pareil ou même amener des personnes à s’assumer comme elles sont." 

Vous souvenez-vous de la première fois que vous en avez parlez dans le monde du foot ?

J’ai toujours été honnête mais je n’ai jamais étalé ma vie non plus. Et quand on me demandait "comment il s’appelle ?", je disais "non, elle s’appelle…". Là, on discute de quelque chose qui est normal. C’est fou. Quand j’évoquais les messages que j’ai reçus, je ne m’y attendais pas du tout. Parce que pour moi, encore une fois, c’est normal. 

Dans le foot français, il existe les journées contre l’homophobie. Est-ce que cette lutte menée par les instances est suffisante ? 

Ces journées, c’est bien qu’on y prête attention mais pas seulement. Il faut qu’on en parle mais plus en amont, aux enfants par exemple. Ça fait partie de l’éducation aussi, de faire comprendre que tout le monde est différent et qu’il faut de tout pour faire un monde. À l’école, on nous apprend plein de choses, les maths, le français, être poli. Mais on ne nous parle des questions LGBT+. Ces journées-là sont une très bonne initiative avec le brassard LGBT, les numéros ou les lacets. Moi j’ai mis des lacets de toutes les couleurs l’année dernière. Mais c’est comme la journée mondiale contre le racisme ou la journée du droits des femmes. Les personnes noires, les femmes, les personnes LGBT+ existent aussi le reste de l’année. Ce sont les moeurs, les mentalités qu’il faut changer. Aujourd’hui, j’ai décidé de prendre la parole, non pas pour changer les choses, je n’ai pas cette prétention, mais pour peut-être, amener d’autres athlètes à faire pareil, pour normaliser la présence de personnes LGBT+ dans le sport ou même amener des personnes à s’assumer comme elles sont.

En France, il y a plus de sportives qui assument leur homosexualité que de sportifs…

Ce n’est pas normal. Mais c’est compliqué pour un homme aujourd’hui d’assumer son homosexualité, parce que ça engendre plus de négativité. Quand on voit toute cette violence à l’encontre des couples homosexuels hommes, je comprends qu’il y en ait qui veulent se cacher ou ne pas en parler. Même par rapport à l’image qu’un sportif peut avoir aussi. Ça peut faire peur. Alors que ce soit dans le sport masculin ou dans le sport féminin, c’est la même chose. Il suffit qu’il y en ait un mais c’est compliqué d’être le tout premier. Personnellement, j’ai eu de la chance car je n’ai eu que des retombées positives et il y avait déjà des exemples avant moi de footballeuses homosexuelles. 

Si vous deviez faire passer un message aujourd’hui, quel serait-il ? 

Aujourd’hui, je défends la cause LGBT et je suis à fond. C’est important que les gens comprennent que ce n’est pas quelque chose que l’on choisit mais quelque chose que l’on est et qu’on ne peut pas changer. Les jeunes doivent prendre conscience qu’ils peuvent  être ce qu’ils veulent. Et s’ils ont peur d’être rejetés, ça ne s’arrête pas là. Il y aura toujours des gens ou des associations comme le Refuge, qu’il ne faut pas hésiter à contacter, qui seront là pour répondre au téléphone, les écouter, les accompagner, devenir des amis. Et ceux qui les auront rejetés au début reviendront peut-être en s’excusant. Il ne faut pas perdre espoir.

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Crédit photo : Wikipedia Commons